Marche des fiertés à Montpellier : TPBGQIAP + contre hégémonie LGBTQI +

Le Poing Publié le 21 juillet 2019 à 13:26 (mis à jour le 21 juillet 2019 à 16:52)

Prise de parole sauvage contre discours d’élus : parmi tous les invisibiliséEs, les intersexes et raciséEs ont été misES en avant par le cortège alternatif à la Pride officielle.

C’est pas qu’on se plaise en rabat-joie. On peut même l’avouer : de la Marche des Fiertés, d’un bon nombre de personnages qui s’y révèlent, émane une tonalité de Montpellier qu’on pourrait bien aimer : juvénile, sensuelle et libre de mœurs, jusqu’à l’exubérance. Cela ne s’est pas démenti dans le cortège de huit mille personnes qui s’est déplacé du Peyrou à la Comédie, puis retour par les boulevards de ceinture, samedi 20 juillet, pour une vingt-cinquième édition.

Or il faut y regarder à deux fois. Par exemple, il fallait avoir très bonne vue et écarquiller les yeux, pour consulter la galerie de photos qui couronnait le sommet du char des organisateurs. Soit des documents remontant aux émeutes de Stonewall, voici pile un demi-siècle à New-York. La clientèle de ce bar, à peine tolérée, en fait harcelée par les policiers, décidait soudain de se rebeller. C’est ce fait historique que sont censées commémorées les Prides, même si une écrasante majorité de leur foule en ignore tout.

C’est un peu comme l’insurrection du 14 juillet, avec ses casseurs qui réussirent leur coup, devenu prétexte à la pire démonstration annuelle de puissance étatique nationaliste. Une chose est de se référer aux luttes anciennes, plus ou moins mythifiées. Autre chose est d’être dans l’invention et l’action de ses propres combats aujourd’hui.

Par exemple, on peut agiter gentiment toute une gadgéterie arc-en-ciel, sorte de logo qui ne déparerait pas sur un baril de lessive (spécial pinkwashing). Ou on peut se bricoler, chacunE à sa façon, un dress-code noir et rose : là est l’appel du Pink Bloc, qui se souvient des deux couleurs respectivement attribuées dans les camps nazis aux homosexuels masculins et aux « asociales ».

Par exemple, on peut noyer un cortège sous une sous-techno commerciale (rien à voir avec l’expérience inouïe d’une rave), laissant chacun.E plus ou moins sourd.E et muetTE. Ou bien, comme dans le cortège du Pink bloc, tenir un propos articulé sur des slogans réfléchis, affirmés, et de combat :  « queers, vener, et révolutionnaires », « patron, patrie, patriarcat – mêmes racines, même combat ». Enfin défouler : « Macron, Macron, on t’encule pas – La so-do-mie, c’est entre amis ».

On peut « orner » ses chars d’un graphisme standardisé, gamme de visuels designées par des agences de com’, comme une foire aux logos chics-modernes d’institutions officielles, et autres associations cogestionnaires normalisées, prônant des attitudes aussi vagues que consensuelles, sur bannières façon pub et flyers en quadrichromie.

On ne s’étonnera pas que la Région Occitanie et la Ville de Montpellier manquent de se bégayer l’une sur l’autre. La première nous dit « fort(e) de notre diversité » , la seconde se voulant « fière de ses diversités ». Tout comme l’Université de Montpellier, qui en rajoute une couche. Il est des pentes glissantes, où à force d’être platement divers, on n’est plus rien du tout. À quoi s’opposent les panneaux individuels faits mains, brandis à hauteur de bras dans le cortège Pink bloc : « Je suis un dur à queer », « nos corps, nos vies, vos gueules », « vos normes sont trop étroites pour penser nos réalités », « no gender / no master ».

Enfin il faut narrer cette halte au stand d’Homosexualité et Socialisme : « Vous connaissez ? » s’empresse un jeune militant charmant et avenant. On répond : « Ah oui, les social-traîtres, pendant cinq ans on a dégusté ». Désamorçage : « Ah mais, on est une association in-dé-pendante ». Déduire – c’est déjà ça – qu’il est dorénavant plus honteux de s’avouer membre du PS que militant gay. Proposé à l’achat : un Jeu de l’Oie (l’Oie blanche?) intitulé Quelle histoire. Ça oui, les socialos, quelle histoire ! Avant-dernière case du parcours historique sur le plateau de jeu déplié : le mariage pour tous. Image illustrative : François Hollande (même pas Chrstiane Taubira !).

Retour au cortège. L’officiel. Qui est en tête ? Michaël Delafosse. Hussein Bourgi. Les leaders et prétendants socialistes. A leurs côtés : des sous-représentants de Saurel, le Macronien en chef local. Auront-ils eu l’idée de parler de Steve, comme dans le cortège Pink bloc ? Steve, ce jeune techno kid, poussé à la noyade par les exécuteurs du boucher macronien Castaner, directement issu du PS ? C’est une logique qui se poursuit. Renoncement à l’autonomie politique. Le cortège se range en position de dépendance clientéliste aux pouvoirs installés, fussent les marionnettes pré-groupusculaires d’une social-démocratie crépusculaire.

L’autre cortège a pris ses responsabilités. Pris la parole. Contre la néo-norme des LGBTQI+, il s’est imposé en tête de la marche. À fait re-présence, des invisibiliséEs, des TPBGQIAP + : Trans, Pédés, Bi-es, Gouines, Queers, Intersexes, Asexuel.les et Aromantiques, Pansexuel.les, plus toutes autres diversités fluides, non-binaires et non alignées. Sans oublier les TDS (travailleurs du sexe), chômeurs, anticapitalistes, anti-État.

Cette parole était à imposer, à l’arrache, au beau milieu des discours d’élus satisfaits. Sur la banderole de ces « ultra-revendicatifs » (dixit Midi Libre), imposée contre le char officiel, on lit : « Stop mutilation des intersexes ». Ceulles-ci risquaient de rester un alinéa de la loi de bio-éthique en cours de préparation. Il.les sont nés à la marge fluctuante des marqueurs bilologiques de la normativité sexuée. En toute bonne conscience, la médecine les opère, les mutile, encore en bas-âge, alors que même l’ONU condamne la France en cela pour traitements inhumains. Nul n’en parle. Très peu sont au courant. Ultra-invisibilisation.

Autre grand moment de ce discours arraché à la barbe du consensus : celui traitant des personnes raciséEs, et leur place dans la culture érotiqe LGBTQI+ : « Il existe dans ce milieu un racisme  qui projète sur les corps fantasmés d’origine coloniale : l’arabe, le noir viril, dominateur, sauvage, queutard ». Mieux : « Même s’il est prétri de racisme, d’exotisation, de fétichisation voire de violence, ce regard porté sur les personnes racisées devrait déjà être considéré comme une sorte de faveur ». Et toute la lecture de la longue liste des prises de position au sein du Pink bloc, fait apparaître qu’un grand nombre des points soulevés supposeraient déjà une remise en cause dans les rangs même des LGBQIAP+, dominateurs de leurs propres minorités.

Crédits photos : Alicia

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