Midi Libre et les gilets jaunes : misère d’un journalisme de préfecture

Le Poing Publié le 19 juin 2019 à 14:33 (mis à jour le 19 juin 2019 à 14:58)
Les gilets jaunes ne sont pas particulièrement tendres avec les journalistes, en particulier avec ceux issus des « grands » médias. Midi Libre, le quotidien de référence en Occitanie, s’attire lui aussi les foudres des contestataires. Appartenant au groupe « La Dépêche du Midi », dirigé par Jean-Michel Baylet, ancien ministre de Manuel Valls, la direction de la rédaction est assumé par Olivier Biscaye. Ce dernier a publié le 9 juin un édito virulent contre les gilets jaunes dans lequel il appelle « le pouvoir en place » à ne pas « rester les bras ballants » face à « ces groupes incontrôlables ». Ce n’est pas la première fois que les propos du quotidien s’apparentent à ceux de la préfecture. Le Poing vous propose une compilation des articles de Midi Libre les plus virulents à l’encontre des gilets jaunes.

Illuminés [aux] théories complotistes abjectes

Dès le 16 décembre, dans « le billet Poivre & Sel d’Olivier Biscaye », sobrement intitulé « La dérive vers le n’importe quoi », le patron de la rédaction estime que « là, il faudrait vraiment s’arrêter. Sans mesure, on finit par lasser et même susciter un tel rejet que la cause défendue devient inaudible ». Tellement « inaudible » que six mois après, cette cause est toujours d’actualité. Le rédacteur en chef pointe du doigt une « dérive folle vers le grand n’importe quoi » avant de se poser une question somme toute pertinente pour un journaliste : « De quoi parle-t-on ? » Réponse du patron : « De ces illuminés et de leurs théories complotistes abjectes développées au soir même de l’attentat qui faisait quatre morts et plusieurs blessés à Strasbourg. De ces trop nombreux ‘‘gilets’’ qui s’en prennent aux forces de l’ordre par la violence, par les mots et les slogans haineux ». Olivier Biscaye résumerait-il les gilets jaunes au complot et à la haine ? Que nenni ! Il admet « cela n’empêche pas de saisir la détresse, les difficultés accrues, l’impossibilité de se réinsérer. » Merci mon seigneur, vous êtes trop bon !

Gilets jaunes et l’État islamique, même combat ?

Dans un billet titré « L’ire… Respect » (on sait rigoler à Midi Libre) publié le 23 décembre, le directeur du développement éditorial du quotidien, Philippe Palat, dresse une liste des événements participant au « délabrement des valeurs fondamentales qui font l’unité d’un pays » : « Les attitudes sont là. Têtues, bornées, imbéciles, négatives, cruelles. À Paris, on bafoue l’Arc de Triomphe, on piétine la tombe du soldat inconnu. Plus de respect pour notre Histoire. On incendie les voitures, on pille les boutiques, on détruit l’espace public. Plus de respect pour les biens d’autrui. On veut marcher sur l’Élysée, on guillotine la marionnette du Président, on casse du flic. Plus de respect pour l’autorité. » Jusque-là, le propos est cohérent, il s’agit de casser du sucre sur le dos des gilets jaunes. Mais Philippe Palat ose alors un parallèle détonant : « À Strasbourg, on tue au nom de la croyance. Le fanatisme profane la religion. Plus de respect pour le culte. » En somme, le directeur du développement éditorial de Midi Libre compare les émeutes des gilets jaunes à l’attentat meurtrier du marché de Noël de Strasbourg – 5 morts, 11 blessés – perpétré par un islamiste ayant prêté allégeance à l’État islamique. Si les gilets jaunes avaient véritablement des velléités terroristes, Philippe Palat aurait sans doute du souci à se faire !

Cachez ce policier que je ne saurais voir

Le 29 décembre, lors de l’acte 7 des gilets jaunes, plusieurs manifestants sont gravement blessés au visage par des tirs policiers de lanceurs de balle de défense (LBD). Le 4 janvier, Midi Libre publie un article relatant la tentative de dépôt de plainte de deux blessés au bureau de police de la Comédie, à Montpellier. Dans cet article, le journaliste réussit l’exploit de ne jamais confirmer les tirs de LBD, ni le fait que les policiers soient les tireurs. Ainsi, on peut lire que « Kaïna, 31 ans, affirme avoir été blessé », qu’un homme « aurait reçu un tir de flashball » ou bien encore que Laurent B. « a été blessé à la tête ce même samedi, près de la préfecture, selon lui par un tir de lanceur de balle de défense ». Prudent, le journaliste parle de ces « personnels qui utilisent ces matériels ». À aucun moment, le journaliste relate clairement un fait évident, largement documenté : des policiers ont fait usage de LBD le 29 décembre à Montpellier, blessant gravement plusieurs gilets jaunes. Les faits sont têtus, les journalistes de Midi Libre sont pires encore.

Merci la police !

Le 5 janvier, lors de l’acte 8 des gilets jaunes, un manifestant est touché par des tirs policiers et tombe inconscient, avant d’être littéralement savaté par des policiers. Dans un rapport, la section montpelliéraine de la Ligue des Droits de l’Homme a décortiqué une vidéo et a constaté que le blessé a subi trois agressions : « le premier [policier] le frappe d’un coup de pied à la tête, le second lui assène des coups de matraques alors que le troisième lui donne des coups de pied dans le corps ». Dans la même journée, une autre vidéo montre un CRS en train de jeter des pavés sur les manifestants dans la rue de l’Aiguillerie. Dans son édito du 6 janvier, Olivier Biscaye dénonce justement la « violence [qui] s’est abattue » lors de cette manifestation : « Les images parlent d’elles-mêmes. Elles sont choquantes, inadmissibles ». Seulement voilà, bien qu’il évoque « des pavés jetés », le patron de la rédaction ne parle pas des violences policières, mais des « graves exactions » des gilets jaunes. Ayant visiblement confondu son bureau de rédaction avec celui de la préfecture, il conclut en affirmant qu’ « être républicain et démocrate, c’est dire sa solidarité aux forces de l’ordre ». Les gilets jaunes mutilés savent ce qu’ils leur restent à faire : « dire [leur] solidarité aux forces de l’ordre » !

« La haine les a transformés »

Le 8 janvier, le quotidien publie un article intitulé : « ‘‘La haine les a transformés’’ : un policier se confie à Midi Libre après la manifestation des ‘‘gilets jaunes’’ à Montpellier ». Ce policier anonyme profite de la tribune pour se lâcher : « On ne se rend pas compte de la puissance de la foule. Et dès qu’ils nous ont vu, on a pris une pluie de projectiles divers et variés… On ne pense même pas à sortir son arme de service. » Mais alors pourquoi en parle-t-il ? « Ils ont foncé sur nous, ils avaient la haine de l’autorité. » C’est grave, docteur ? Le journaliste écrit que pour « cet observateur avisé […], certains manifestants ne craignent plus les moyens traditionnels de défense : canons à eau, le gaz lacrymogène ou les coups de tonfa des policiers. » C’est bien connu, se prendre un jet d’eau à haute-pression, respirer des gaz toxiques et se faire ouvrir le crâne n’a jamais fait peur à personne ! « Le gaz au poivre, ils s’essuient et ils reviennent » affirme le policier. Le vendeur de bombes lacrymogènes « AntiAgression » note quant à lui : « Une bombe lacrymogène peut selon son contenu et sa puissance, piquer très fortement les yeux ce qui crée le réflexe de s’essuyer le visage et répand encore plus le produit ou peut carrément aveugler totalement l’agresseur pendant une bonne demi-heure. » C’est ballot. « Certains ont trois, quatre blousons et pantalons, des coquilles protège-tibia… Si vous ne lancez pas de grenade, c’est eux qui chargent ! Je ne sais pas à quoi ils marchent, à la cocaïne ou autre, ou alors c’est la haine qui les a transformés » conclut le policier. Merci Midi Libre, pour cette belle tribune policière, et vive les grenades !

Dormez tranquille, la police veille

Dans un article publié le 1er février intitulé « ‘‘Gilets jaunes’’ : à Montpellier, les policiers restent sous pression », Midi Libre se met encore au chevet de la police. « [Les policiers] ne comptent plus les projectiles esquivés » affirme le journaliste. « Ces hommes se disent ‘‘harcelés, en permanence, lors des opérations de maintien de l’ordre’’, épiés par les manifestants qui enregistrent leurs moindres faits et gestes ». Les manifestants qui prennent des photos, voilà l’ennemi ! « Les fonctionnaires se découvrent, sur les réseaux sociaux, visages non floutés » s’apitoie le journaliste, qui omet de dire que cette pratique est parfaitement légale, et qu’une note du directeur de la police parisienne adressée à tous les chefs de service rappelle aux forces de l’ordre qu’elles « ne peuvent faire obstacle à l’enregistrement ou à la diffusion publique d’images ou de paroles à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ». « ‘‘Certains [manifestants] nous parlent, nous provoquent s’alarme le policier interviewé par Midi Libre. L’autre jour, une manifestante nous filmait en nous disant : ‘‘pas la tête, pas la tête’’, ses mots résonnent encore dans la mienne ». Incroyable ! Des gilets jaunes « parlent » aux policiers et leur demande de ne pas viser la tête ! Mais pour qui se prennent-ils ? « Quant aux jeunes qui biberonnent aux applis sur leur smartphone et diffusent un flux continu leur expérience de manif, ‘‘certains se croient dans un jeu vidéo’’ Le retour à la réalité, sous forme d’interpellation, est parfois rude. Reste que, pour nombre de policiers, la réponse pénale ne serait pas toujours à la hauteur des risques encourus acte après acte » analyse le journaliste. En somme, l’article justifie tranquillement d’interpeller celles et ceux qui filment les policiers, et réclame une « réponse pénale » sévère. Mais n’ayez crainte, les policiers sont bien intentionnés nous assure le journaliste : « les hommes du commissariat de Montpellier font tout pour éviter l’embrasement ». Dormez tranquille, la police veille…

Tuez-les tous ?

Le 9 juin, après l’acte 30 des gilets jaunes, marqué à Montpellier par une intense répression policière, Olivier Biscaye se lâche en publiant un édito dans Midi Libre intitulé « Acte 30 des gilets jaunes à Montpellier : révoltant et indigne ». Le propos mérite d’être retranscrit dans son intégralité. « Manifestez, défendez vos convictions, marchez pour la liberté, mais ne touchez pas à nos villes, nos commerces, nos bâtiments publics, notre patrimoine commun, par votre violence et vos dégradations. » Que vous souhaitiez exprimer des revendications, pourquoi pas, mais en silence s’il vous plaît, et respectez les passages cloutés ! « Ce à quoi nous avons assisté ce samedi à Montpellier est révoltant. Indigne. Comment les “gilets jaunes” du 17 novembre peuvent encore se retrouver dans ce pseudo-mouvement qui prétend soutenir les plus faibles. » Pour la lutte contre les nantis, comptez plutôt sur Olivier Biscaye, patron de la rédaction de Midi Libre, ancien directeur du groupe Nice-Matin et du groupe des Hebdos normands. « C’est une escroquerie, voilà tout. Une de plus portée par les tenants d’une ligne sociale et économique généreuse et équilibrée. Les scènes observées samedi illustrent haine et rejet, usurpation et radicalisation. Épicentre national de la contestation ? Ils étaient à peine 2 000 dans les rues de Montpellier. Qu’incarnent-ils encore ? 1 % à peine aux européennes. C’est dire… » Olivier Biscaye sait-il que la plupart des gilets jaunes rejettent les politiciens, d’où qu’ils viennent ? Sait-il que les candidats qui se sont autoproclamés comme les représentants des gilets jaunes aux européennes ne jouissaient d’à peu près aucune légitimité au sein du mouvement ? Sait-il que parmi les gilets jaunes qui ont voté, les suffrages se sont exprimés pour à peu près tous les partis politiques ? Bien sûr qu’il le sait. Cette petite phrase n’a qu’un but : exprimer son mépris de classe. Le ton devient ensuite menaçant : « Le pouvoir en place ne peut pas rester les bras ballants face à ces groupes incontrôlables. Agissez avant qu’il ne soit trop tard. » Pendant l’acte 30, de nombreuses personnes ont été blessées, certaines gravement, et 19 autres ont été interpellées, dont quatre qui sont partis en détention dans la foulée. Mais Midi Libre veut plus de sang, plus de larmes, plus d’incarcérations. L’article se termine sur une phrase mystérieuse : « Montpellier ne peut plus se reproduire. » Si cela peut empêcher Midi Libre d’exister, ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle…

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