Montpellier : bilan pour des gilets jaunes de la région réunis en assemblée, déterminés à continuer le combat

Le Poing Publié le 23 octobre 2022 à 15:42 (mis à jour le 24 octobre 2022 à 00:49)

Une soixantaine de gilets jaunes et citoyens révoltés se sont retrouvés ce samedi 22 octobre au local associatif La Carmagnole à Figuerolles. Une assemblée qui aura permis d’échanger sur un bilan de l’action des gilets jaunes ces dernières années, de nouer et renouer le contact, et de poser les difficultés rencontrées.

Les invitations lancées depuis plusieurs semaines par les gilets jaunes montpelliérains du rond-point Près d’Arènes n’auront pas été vaines. Ce samedi 22 octobre en milieu d’après-midi, une soixantaine de gilets jaunes de la région, rejoints par quelques citoyens jusqu’ici peu engagés dans le mouvement, se sont retrouvés au local associatif La Carmagnole pour une assemblée générale.

L’idée initiale était de dresser ensemble un bilan de ces dernières années de lutte contre le rouleau compresseur de la Macronie, de renforcer les liens entre les différents groupes, et d’avancer dans la coordination du mouvement dans la région.

Disparus, les gilets jaunes ? Pas vraiment. S’il est évident que le mouvement n’a plus du tout l’ampleur qu’on lui a connu entre novembre 2018 et mars 2020, tout le monde n’a pas remisé son gilet.

Le groupe montpelliérain du Près d’Arènes, en plus de sa présence en soutien de nombreuses luttes sociales locales, continue de se donner rendez-vous deux fois par semaine sur le rond-point, le mardi à 16h et le samedi à 17h, pour une distribution de tracts aux automobilistes. Avec un accueil qui reste chaleureux. C’est que le gilet permet l’identification, continue d’agir comme un signe de reconnaissance,  : « au premier coup d’œil les gens nous situent, ceux qui ont des galères et qui ne veulent plus de ces injustices sociales y reconnaissent des leurs », témoigne un des acharnés du rond-point.

Un autre prend la parole, venu en binôme d’Avignon. Près de la cité des Papes, il reste une poignée de personnes qui se réunissent régulièrement autour d’une cabane, assurent la même visibilité qu’au Près d’Arènes. Des liens ont été tissés avec le Syndicat Gilet Jaune, et on est fiers de raconter comment on a pu bousculer direction et syndicats traditionnels jugés trop endormis pour l’amélioration des conditions de travail dans un hyper Grand Frais.

Sur le rond-point des gilets jaunes d’Uzès, dont l’animation repose sur un noyau dur d’une dizaine de personnes, on enfile le chasuble fluo une fois par semaine à peu près. Par là-bas, des liens ont été tissés avec le comité local de résistance et de reconquête des acquis de 1936-1945. Et un bouquin sur l’aventure populaire locale, réalisé par les premiers concernés, est tout prêt à sortir. Ça s’appelle « Le P’tit jaune, une vie de rond-point », et on peut aider à en financer l’auto-édition par ici.

Une chose frappe : si beaucoup ici se sont investis assez tôt dans le mouvement, ils ont été rejoints, parfois de manière pérenne, par d’autres qui ont investis le mouvement sur le tard. Certains pendant le gros de la crise sanitaire, d’autres juste après, révoltés par les suspensions de soignants applaudis aux fenêtres quelques mois plus tôt, ou écœurés par le désossement de l’hôpital public et ses conséquences. La même chose se produit un peu partout, on peut pour s’en convaincre jeter un œil aux articles que la presse quotidienne régionale continue de consacrer aux quelques occupations de rond-point qui se poursuivent. A la marge, mais de manière bien réelle, loin des caméras des mass média, le mouvement des gilets jaunes continue à être un espace populaire de sociabilisation, de résistances sociales et de partages.

Un autre, qui tenait en fin de mâtinée un stand sur le Référendum d’Initiative Citoyenne place de la Comédie, est venu de Millau. Lui et quelques uns de ses collègues, absorbés par la réflexion sur un processus constituant, ont fini par s’organiser un peu à l’écart des autres GJ aveyronnais moins portés sur le RIC, et ont fondé une association, Les Prisonniers du Système.

Une dame héraultaise a de son côté tourné son intérêt vers les parlements citoyens de l’eau, qui se distinguent des instances participatives existantes par leur absence d’élus, par une conception plus directe de la démocratie directe.

Un petit groupe de participants à l’assemblée montpelliéraine contre la vie chère qui a eu lieu plus tôt dans la journée sont aussi venus faire du lien.

Si, pour les raisons évoquées plus haut, le gilet reste cher à beaucoup, personne n’est dupe : le gros du mouvement est passé, et il y a de fortes chances pour que lors des prochains mouvements sociaux autonomes vis à vis des corps intermédiaires (syndicats, partis etc…), le gilet ne soit pas porté par une majorité.

D’ailleurs l’AG du jour se voulait ouverte à des citoyens révoltés, sans qu’ils se soient forcément investis chez les GJ. Ce qui n’est pas resté lettre morte, avec une poignée de personnes évidemment solidaires du mouvement, sans y être.

Côté bilan, on constate dans l’assemblée la pertinence des intuitions de base du mouvement GJ : unité autour des fins de moi difficiles, méfiance nette envers les politiciens et la politique des partis.

Les thématiques abordées par les uns et les autres sont plus variées, voir dispersées, que lors de l’assemblée contre la vie chère du début d’après-midi. On évoque pass sanitaire, gestion citoyenne de l’eau, processus constituant, guerre en Ukraine ( un appel à rejoindre le traditionnel rassemblement antimilitariste du 11 novembre a d’ailleurs été lancé ). Un intervenant évoque la pédocriminalité. On évoque aussi les sujets qui ne nous parlent pas, qui ne font pas partie de nos indignations personnelles, voir de notre imaginaire de réflexion. Sans rejet, les désaccords restent bon enfant. Et l’évidence est là sur ce qui uni la force populaire, comme au début de l’assemblée du jour quant les mots d’ordre universels au mouvement GJ ne sont même pas détaillées tellement il paraît à tous qu’elles tombent sous le sens : stop aux inégalités sociales, une vie digne pour tous.

Côté clivage autour des choix, options, opinions politiques, on en a fait l’expérience. Elle est amère. Le second tour de l’élection présidentielle a été une épreuve pour de nombreux groupes de gilets jaunes. Les camarades de luttes du quotidien se sont déchirés. « Après tant d’année à essayer de dégager Macron et sa politique, la question s’est posée au rond-point du Près d’Arènes, entre l’abstention et le vote pour l’adversaire de Macron. », témoigne Richard, ancien inspecteur du travail en retraite. « Plus une question tactique qu’une question de valeurs. Au final chacun a fait son choix. Mais quand on a voulu trancher tous ensemble, ça nous a fait beaucoup de mal. »

Il y a bien quelques opinions qui transparaissent par ci par là. D’un côté on se réjouit des députés progressistes de la NUPES envoyés à l’Assemblée Nationale après les élections législatives, on y voit un grain de sable de plus pour provoquer des failles dans la gouvernance de la Macronie. Trois chaises plus loin on appelle Asselineau, Philippot, Jacques Cheminade a rejoindre le peuple ( et pas l’inverse, comme le souligne énergiquement le gilet jaune en question). Ensemble on se réjouit que sur Montpellier les fachos, les vrais n’aient pas fait long feu sur les ronds-points, parfois mis de côté après avoir tenté de faire de l’immigration un sujet primordial dans le mouvement, le plus souvent auto-exclus d’un mouvement de contestation sociale puissant, impertinent, débordant, rassembleur, aux aspirations démocratiques et égalitaires profondes, bref, peu compatible avec les valeurs du fascisme.

Aux quelques grimaces que soulève telle ou telle sympathie, on a des gardes fous à opposer. Le réflexe antipolitique évoqué par Samuel, agriculteur, qu’un autre préfère appeler « être apartisan ». Les valeurs de tolérance. « On a pas le choix que de s’unir si on veut vivre autrement que dans la misère avec ce qui se passe et ce qui nous attend », analyse une cinquantenaire en gilet jaune. « Et si on veut s’unir on est obligé d’accepter les univers des uns et des autres. Souvent aujourd’hui les gens, y compris dans le mouvement, veulent trop convaincre, ou dénoncer. C’est humain, c’est sûr, mais c’est dommage. Parfois on ne cherche même plus à comprendre pourquoi une autre personne pense différemment, pourquoi telle ou telle chose lui pose problème, ce qu’il peut y avoir de juste là dedans ou ce qui fait dans la situation des uns et des autres, dans la vie de famille, que telle ou telle idée s’est enracinée. Sur les ronds-points on a un peu retrouvé ça, même si après ça a pu revenir. »

Chacun y va de son analyse. Samuel l’agriculteur situe assez bien ce qu’il a vécu comme une bascule dans le mouvement : « La grande force des gilets jaunes au début, c’était que la société s’identifiait à eux, et qu’ils s’identifiaient à elle. C’est symbolique, mais j’ai vécu comme une bascule très forte, dans le mauvais sens, certains moments en manif où on s’est mis à chanter le slogan ”travailles, consommes et fermes ta gueule”. Parfois on avait l’impression que c’était dirigé contre les gens en terrasses ou croisés dans la rue, que ça marquait comme un ”eux” et un ”nous”, et pas le bon, qui nous a fait mal. »

Une fois évoquée la richesse des discussions sur le bilan de ces quatre dernières années de combat, il faut bien dire que de l’avis même de tous les participants le second objectif de cette journée d’assemblée n’aura pas été pleinement satisfaisant. Certes, une liste de contacts mails a tourné, pour améliorer la communication. Les échanges sur les activités des uns et des autres auront été riches et instructifs. Des contacts plus rapprochés ont eu lieu autour de la buvette après la clôture de l’assemblée. Il n’empêche que la coordination et la structuration des groupes de gilets jaunes de la région reste embryonnaire, instable, rendue difficile par le manque de force numérique des collectifs, l’augmentation des prix qui restreint les déplacements, la fatigue.

Rappelons nous que la première initiative, le premier mouvement social d’ampleur peut très vite venir réactiver ce qui s’est tout juste assoupi de capacités de révolte dans le pays.

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