Montpellier : deux militants de BDS jugés pour “dégradations” à la maison des relations internationales

Elian Barascud Publié le 11 décembre 2024 à 17:30 (mis à jour le 11 décembre 2024 à 17:44)
Des militants étaient venus soutenir les deux membres de BDS convoqués au tribunal pour des dégradations ce mercredi 11 décembre. (Photo "Le Poing")

Ce mercredi 11 décembre, deux militants pro-palestiniens étaient jugés pour dégradation de bien d’autrui après avoir versé de la gouache rouge sur un drapeau américain à la maison des relations internationales de Montpellier en juin dernier pour dénoncer le génocide en cours. L’un a été relaxé, l’autre condamné à une amende avec sursis de 150 euros

Dès le moment où les soutiens des deux militants de la campagne BDS Montpellier s’installent dans la salle du tribunal d’instance de Montpellier, ce mercredi 11 décembre, la procureure donne le ton de l’audience : “Nous vous demandons de retirer tous les signes qui font penser à la Palestine, ou vous sortez de la salle.” Les keffiehs sont alors immédiatement rangés et les affaires commencent à défiler.

C’est aux alentours de 10 heures que s’avancent à la barre un jeune militant de BDS et José-Luis Moraguès, co-animateur historique de l’association non-violente montée en 2005 à Montpellier “à la demande des Palestiniens” pour faire pression sur l’État d’Israël via le boycott, les désinvestissements et les sanctions internationales.

Le 13 juin dernier, ils avaient mené une action symbolique à la maison des relations internationales pour dénoncer le génocide en cours sur le peuple Palestinien et le jumelage de Montpellier avec la ville Israélienne de Tibériade. Les militants avaient tendu deux grandes banderoles depuis le mur du parc de l’institution donnant sur l’arrêt de tram du Corum, et versé de la gouache rouge sur la plaque de céramique célébrant ledit jumelage ainsi que sur un drapeau américain, qu’ils ont mis en berne pour l’occasion car le cache qui maintenait son système de cordage était alors absent selon les prévenus.

Prévenus, au casier judiciaire vierge, qui comparaissent donc pour “dégradation d’un bien d’autrui commis en réunion” (le drapeau américain et une pièce du mat qui le portait), qualification qui fera l’objet de débats durant l’audience. C’est justement sur le qualificatif des faits que joue Me Diab, l’avocat des militants, pour exposer des conclusions de nullités : “La mesure de garde à vue est irrégulière, car pour justifier une garde à vue il faut que les faits reprochés puissent conduire à une peine de prison, or le motif de placement en garde à vue, à savoir la dégradation d’un bien par dessin ou inscription, donc un dommage léger, est une infraction punie d’une amende ou de travaux d’intérêts généraux. De plus, le nom d’un des prévenus n’étaient pas le bon sur le procès-verbal.”

Mais pour la procureure ainsi que pour Me Fournié, l’avocat de la Ville de Montpellier, constituée partie civile, il s’agit bien là de “dégradation ou détérioration de bien public”, autre que du mobilier urbain, donc un délit dont la sanction peut aller jusqu’à cinq ans de prison.

Comme à son habitude, José-Luis Moraguès, militant politique aguerri, explique les raisons de son geste en décrivant le contexte international : “Nous étions neuf mois après le début des bombardements israéliens sur la bande de Gaza et plusieurs instances internationales parlaient déjà de risque de génocide. Ce jour-là, on tenait un stand sur la place de la Comédie, et nous sommes partis à quelques uns pour mener cette action symbolique. Notre mouvement, BDS, est non-violent et a toujours été respectueux des biens et des personnes. Nous avons versé de la gouache rouge que les enfants de maternelle utilisent sur la plaque célébrant le jumelage entre Montpellier et Tibériade pour symboliser le sang des palestiniens, tout part d’un coup d’éponge. Quand au drapeau américain, le cache qui tenait sa ficelle était absent, alors nous l’avons descendu et nous avons aussi mis de la gouache dessus car les Etats-Unis sont le premier fournisseur d’armes de d’Israël.” Il mentionne également les posts sur les réseaux sociaux du maire et du préfet, appelant à une condamnation ferme de cet acte. “Il y a eu une hypertrophie de la réaction”, commente-t-il.

Mais pour Me Fourné, l’avocat de la Ville de Montpellier, “le symbole est très fort, grave, ce n’est pas comme si c’était le drapeau occitan qui avait été souillé. La position de la commune ne varie pas, on condamne. La légitimité de la cause ne fait rien, on ne dégrade pas un bien public, ça coûte de l’argent à la collectivité.” En l’occurrence, 2 000 euros selon lui. “Il a fallu dépêcher trois agents qui ont travaillé trois heures pour tout nettoyer. et il a fallu racheter un drapeau américain , car il n’a pas pu être lavé. Cela a couté 30 euros.” Préjudice total : 2 856 euros, en comptant le cache de la corde du fameux drapeau, et 3 000 euros de frais d’avocats à payer si les militants étaient condamnés.

“Est-ce que la liberté d’expression justifie les dégradations ?”, questionne de son côté la procureure, qui souhaite requalifier les faits en détérioration d’un bien public. Reste à savoir si cette dégradation est légère ou grave. “Cela fait penser à l’affaire des décrocheurs de portraits d’Emmanuel Macron qui dénonçaient l’inaction climatique, la justice avait tranché que ce n’était pas la valeur marchande du bien qui était à prendre en compte dans le jugement.” Si elle estime qu’il n’y a pas assez d’éléments pour condamner le jeune militant de BDS, elle requiert à l’encontre de José-Luis Moraguès une amende de 500 euros assortie d’un sursis intégral et un stage de citoyenneté.

L’hypothétique dégradation du cache permettant de faire descendre le drapeau est ensuite battue en brèche par l’avocat des militants : “En garde à vue, alors qu’ils n’ont pas pu se consulter, ils donnent la même version des faits, à savoir que le cache qui maintient la corde du drapeau était absent et c’est pour ça qu’ils ont pu le faire descendre. Ils n’ont pas choisi le drapeau israélien car son cache était présent et ils ne pouvaient donc pas le mettre en berne. On n’a pas constaté de dégats sur ce cache, qui fonctionne avec une serrure, et ils n’auraient pas pu l’enlever à la main. Or ils n’ont pas été retrouvés avec des outils sur eux au moment de leur interpellation.”

Quant à la qualification de l’acte, Me Diab reste sur sa position initiale, et plaide la relaxe : “Il s’agit de dessins et d’inscriptions sur du mobilier urbain, donc on reste dans le domaine contraventionnel, il n’y a pas à avoir de condamnation pénale. L’affaire de l’incrimination des décrocheurs de portraits montre bien une ingérence disproportionnée dans la liberté d’expression pour condamner pénalement des militants. C’est à vous, monsieur le juge, d’avoir un contrôle sur cette proportionnalité. Mes clients n’ont pas pénétré l’enceinte du local de la maison des relations internationales mais sont restés dans le jardin, et ne sont pas opposés à leur interpellation. Quant à l’histoire du jumelage entre Montpellier et Tibériade, on voit qu’il y a un gouffre entre la société civile et les élus. Le fait que la ville de Montpellier rompe son jumelage avec la ville russe d’Obninsk au lendemain du début de la guerre en Ukraine peut se faire poser des questions à la société civile. Pourquoi pas un drapeau palestinien en mairie à côté de celui de l’Ukraine ?”.

Finalement, les juge a retenu la qualification de dégradation de bien public, uniquement pour le drapeau américain et non pour son mat et son cache. Le jeune militant de BDS a été relaxé, et José-Luis Moraguès a été condamné à 150 euros d’amende avec sursis, et 30 euros à payer pour le drapeau américain. La mairie a été déboutée de ses demandes concernant le préjudice matériel et les frais d’avocats. Le co-animateur de la campagne pro-palestinienne Montpelliéraine envisagerait de faire appel, car le juge n’a pas pas retenu la qualification de “dégradation légère” pour la peinture.

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