Montpellier : Gilets jaunes acte 64 : La bataille de la Comédie

Le Poing Publié le 2 février 2020 à 16:43 (mis à jour le 2 février 2020 à 20:29)

Samedi 1er février, 9h, place de la Comédie. Une épaisse brume couvre le bitume et l’architecture Haussmannienne du centre ville de Montpellier. Les premiers camions de police commencent à quadriller la zone. Petit à petit, des gens s’agglomèrent sur la place centrale de la « surdouée » sous une pluie fine. Le rendez vous est donné à 10h, mais des gens -plus habillés de noir que de jaune- continueront à affluer dans les rues jusqu’à 14h, l’heure traditionnelle de rassemblement pour atteindre au moins 4000 manifestants au plus gros de la journée. Après un rapide tour de chauffe dans l’Ecusson , l’objectif de la journée semble être clair : camper sur ses positions et rester sur la Comédie coûte que coûte. Récit d’une journée d’une extrême violence qui témoigne d’une réelle ténacité du mouvement des gilets jaunes, presque un an et demi après son début.

Un cortège vaillant et très mobile

Un peu après midi, alors que des affrontements sporadiques avaient déjà parsemé la matinée, les premiers gaz lacrymogènes sont tirés au niveau de la Place Jean Jaurès. Un projectile policier atterrira dans la vitre d’un appartement au troisième étage.



Le dispositif répressif est impressionnant, et la terrifiante explosion des nouvelles grenades GML2 détonne au pieds d’un journaliste du Poing en bas de la rue de la Loge, le rendant à moitié sourd pour la journée. Face aux nombreuses manœuvres policières visant à nasser les contestataires, ceux ci ont commencé à appliquer les techniques Honk-hongaises : En plus des parapluies, beaucoup sont « devenus comme l’eau », se séparant en plusieurs groupes mobiles dans les rues du centre ville, perturbant ainsi les mouvements des forces de l’ordre.  Si les manifestants ont retenu la leçon en évitant la Rue Maguelone, nassée par deux fois au cours des dernières manifestations, certains se sont retrouvés coincés entre la gare et l’Observatoire. Mais le vent, jouant en la faveur des gilets jaunes, a provoqué plusieurs fois un gazage réciproque entre les différentes unités de police,dont plusieurs ont vacillé sur place, ouvrant une brèche contre leur gré dans la nasse par laquelle se sont engouffrés tous les manifestants.Un commerçant de la rue a ouvert sa porte a des gens suffoquant littéralement sous les gaz en attendant que la nasse s’ouvre à nouveau.. A noter que dès le matin, la CDI avait gazé des CRS par accident, et les CRS ont dirigé par erreur leur canon à eau sur la BAC. 

Ces affrontements ponctueront toute la journée : La Comédie se vide après des salves de gaz, des charges et autre canon à eau, et se remplit à nouveau dès qu’une accalmie se fait sentir. Manifestants et policiers jouent au chat et à la souris : dès qu’un espace se libère dans le dispositif policier, les gilets jaunes s’y engouffrent, avant d’en être dégagés pour aller se rassembler ailleurs, souvent en se dispersant en petits groupes dans les rues adjacentes où les badauds continuent de faire les boutiques comme si de rien n’était.
 Le Macdonald de la Comédie ainsi que quelques vitrines de banques et assurances subiront le courroux populaire. Plusieurs fois, les policiers seront chargés par les manifestants, soit pour libérer un espace dans leur dispositif, soit pour tenter d’empêcher une interpellation. Cette mini guerrilla urbaine durera jusqu’à 19h30, rythmée par divers feu de poubelles et des jets de projectiles des deux camps.


Le dernier moment de tension a lieu quand la police commence à se rentrer sous les huées des derniers manifestants qui les invitent à se suicider. Une pluie de projectiles s’abat alors sur leurs têtes.Leurs collègues qui étaient déjà rentrés dans leurs camions sont rappelés en renfort. Derniers gaz, dernière charge, et rideau. Une cinquantaine d’irréductibles iront quand même une dernière fois sur la Préfecture, sans trop de heurts.

Une sauvagerie policière inouïe

En plus d’avoir été noyée sous les gaz une bonne partie de la journée et d’avoir fait les frais des nouvelles grenades GML2 de la police, les manifestants ont été une nouvelle fois confrontés à la barbarie des forces de l’ordre : Empêchement d’accès aux médics, reçus à coup de matraque alors qu’ils voulaient prodiguer des soins, matériel de journalistes détruit, harcèlement sur des observateurs de la LDH…

La librairie anarchiste « La mauvaise réputation » a vu sa permanence hebdomadaire troublée par des uniformes bleus qui sont rentrés brutalement dans les lieux « pour chercher quelqu’un » avant de repartir bredouilles, laissant les gens qui tenaient la permanence choqués de cette intrusion, la première pour ce lieu habituellement calme le samedi.

Sur la Comédie, le stand de BDS (collectif de soutien à la Palestine), un collectif habitué au harcèlement de la police municipale, a été pris d’assaut par les CRS avant d’être démantelé à coups de canon à eau.

On compte aujourd’hui 23 interpellations. 6 personnes sont déjà sorties du commissariat. Les autres seront probablement présentées demain après midi en comparution immédiate au Tribunal de Grande instance de Montpellier à 14h. La grève des avocats étant reconduite, la majorité des procès seront sûrement renvoyés.

Et comme pratiquement à chaque acte national sur Montpellier, une rumeur de décès s’est rependue dans la manifestation suite au malaise d’un jeune homme asphyxié par les gaz. Contacté par le Poing, le CHU de Lapeyronie, où aurait été transférée la victime, assure « qu’aucun décès n’est à déplorer ». Une rumeur encore une fois fausse, mais le fait qu’on en vienne à imaginer des morts en manifestation témoigne de l’incroyable violence de celles-ci. 
Un autre manifestant, très âgé, a aussi fait un malaise suivit de crises de convulsions dans la rue des étuves. Entouré d’une cinquantaine de personnes et alors qu’aucun projectile ne fusait vers le cordon  de police bloquant l’accès à la Comédie, il a de nouveau été noyé de gaz lacrymogènes alors que des manifestants s’approchaient mains levées des agents de la CDI pour réclamer un cesser le feu le temps de son évacuation. Autre jauge de la barbarie répressive en cours.

Un bilan en demi-teinte

Cette journée nous aura laissé une impression mitigée. Oui, le mouvement des gilets jaunes est encore bien vivant et déterminé, et il semble se nourrir des erreurs du passé, voire adopter de nouvelles stratégies.
Cependant, le bilan en terme de blessés et d’interpellés nous pose néanmoins question au vue du résultat politique que produisent ces manifestations. Depuis un an et demi, le gouvernement n’a pas bougé d’un iota, se complaisant dans un cynisme effrayant. Si cette journée a pu redonner l’espoir à certains, qu’on n’avait pas vus dans la rue depuis un moment, elle interroge quant aux perspectives de cette lutte désormais exemplaire par sa longévité.

Mais encore combien de blessés, de gardés à vue ou de prisonniers faudra t’il pour se faire entendre ? Est-ce que défendre une position stratégique et aller à l’affrontement débouche t’il vraiment sur un résultat politique satisfaisant à long terme ? Pourquoi défiler en centre-ville Montpellier alors qu’une manifestation de cette ampleur et de cette détermination aurait complètement paralysée la très industrielle ville de Sète, avec son port et son dépôt pétrolier ? Que nous reste il à imaginer comme stratégies ou mode d’actions pour vraiment faire plier ce gouvernement qui ne tient plus que par sa police ? Comment gérer le prévisible “retour à l’ordre” lors de la prochaine manif interprofessionnelle du 6 février,alors que nombreux étaient les syndicalistes présents à titre personnel à l’acte national ? L’avenir semble incertain, mais la motivation et la créativité des gilets jaunes pourraient bien nous surprendre encore…

Crédits photos : Le Poing (photos en couleurs), Constance Meylan (noir et blanc)

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