Montpellier. Gilets jaunes, acte XIII : vivement samedi prochain !

J’arrive un peu avant 14h place de la comédie pour le rendez-vous hebdomadaire des gilets jaunes. Ce rassemblement habituel est devenu un vrai espace de socialisation : « Eh salut, tu vas bien depuis la semaine dernière ? », « Ça va toi depuis la dernière fois ? ». De nombreuses personnes sont naturellement venues équipées : masque, lunettes de ski, casque… Comme lors des précédents actes, une banderole jaune vole en l’air : « Urgence social écologique, stop capitalisme ».

Après un petit moment d’hésitation sur la direction à prendre – certains voulaient directement aller au Polygone – on part vers la gare, avant de tourner à droite sur les lignes de tram, vers Rondelet. En passant sous le pont, on se rend compte qu’on est vraiment nombreux : entre 3000 et 3500 personnes. En prenant ce chemin, on prouve une nouvelle fois qu’on est capable d’innover et de sortir des sentiers battus tracés par les balades de santé de la CGT, et ça fait du bien. En passant devant le bureau de poste de Rondelet, j’ai une petite pensée pour les postiers qui viennent d’obtenir l’embauche de huit CDI après 18 jours de grève. Seule la lutte paie !

On remonte le boulevard du jeu de Paume et quand on arrive au Peyrou, une nouvelle banderole « Révolution pacifique on lâche rien » est brandie sous l’arc de Triomphe par deux gilets jaunes acrobates, sous les applaudissements des manifestants. Lors des précédents actes, des banderoles jaunes similaires avaient déjà fait leur apparition sur la Comédie. Le cortège trace sa route en direction de la préfecture, sous la surveillance d’un drone policier. Quelques fumigènes pètent mais l’ambiance reste bon enfant, une fanfare égaye la foule. Les acrobates récidivent, une nouvelle banderole est déployée : « Police, n’obéissez plus aux ordres, obéissez à vos idées ». Je ne suis pas convaincu par le slogan : j’ai bien peur que si la police se mette à suivre ses idées, ça va se terminer avec des tirs à balles réelles et des ratonnades !

On retourne ensuite vers la place de la Comédie, où quelques gilets jaune se font happer par le stand de BDS (collectif pour le boycott de l’État israélien en défense des droits des Palestiniens) et par une animation d’un jeune activiste, qui a collé des bandes de scotch au sol pour « casser des préjugés ». Je m’explique. Pour remettre en cause l’idée selon laquelle « on ne pourrait pas accueillir toute la misère du monde », il a collé, entre autre, une toute petite bande de scotch pour représenter le « coût » des réfugiés, et une autre énorme pour le manque à gagner de la suppression de l’impôt sur la fortune – chiffres sourcés à l’appui.

Bref, c’est un peu le bordel. Je marche avec ceux qui se dirigent vers le centre commercial du Polygone, dont les grilles ferment pour l’occasion. On prend le petit passage menant à l’arrêt Du Guesclin, direction la gare. Après un moment d’hésitation sur le comportement à adopter face à la ligne de CRS postée devant l’entrée de la gare, on décide de retourner vers la Comédie.

En arrivant aux Trois Grâces, on entend les moteurs vrombir : ce sont les « motards en colère », mobilisés ce samedi pour lutter contre la loi dite anticasseur, qui prévoit des interdictions administratives de manifester et la création d’un délit pour dissimulation du visage. Une vieille dame à côté de moi, incommodée par les rugissements des moteurs, se cache le visage : « Ah quand c’est pas les lacrymos, c’est les pots d’échappement ! » Un camion avec une pancarte « motards en colère » diffuse quelques notes d’une chanson de Bruce Springsteen, puis un représentant de la fédération des motards en colère prend la parole pour appeler « à ne rien lâcher », avant de donner le micro à qui veut bien le prendre. L’un des intervenants en profite pour faire une référence douteuse aux « goy » (celui qui n’est pas juif pour la communauté juive)… Plusieurs drapeaux flottent dans les airs : français, occitan, breton, antifa, drapeau de l’URSS et même celui de la République d’Espagne frappé du symbole des brigades internationales (des révolutionnaires anarchistes et communistes partis en Espagne entre 1936 et 1938 pour lutter contre les troupes du dictateur Franco). A la fin des discours, les motards s’apprêtent à partir, tandis que les gilets jaunes à pied remontent vers la préfecture en empruntant la rue de la Loge, artère coronaire de Montpellier où les pas sur le pavé battent la pulsation du rythme de vie du centre-ville.

Comme prévu, la tension monte sur la place de la préfecture : les policiers se servent de deux lances-à-eau pour faire reculer les manifestants. « Pas con comme stratégie me glisse un camarade, « l’eau ça accroche les gaz, ils restent plus longtemps sur toi si t’es mouillé ». Les grenades lacrymos ne tardent d’ailleurs pas à éclater. Comme d’habitude, on se retrouve divisés en deux : des gilets jaunes partent vers la rue Espace Philippe IV de Valois (entre la place Jean Jaurès et celle de la préfecture), et d’autres, dont moi, se retrouvent dans la rue Foch. Un petit groupe de téméraires parvient à arracher les planches en bois fixées devant la vitrine d’une banque. D’autres veulent s’en prendre à la vitrine d’une bijouterie, mais ils sont vite arrêtés par des gilets jaunes qui gueulent : « Non, que les banques ! »

Sous la pression de la police, nous reculons vers le Peyrou. Nous ne sommes plus que quelques centaines désormais, la police a réussi à nous diviser. Une voiture de la TAM nous suit : « y’en a marre des contrôleurs, ils sont pas censés faire du maintien de l’ordre ! » peste un copain. On descend le boulevard du Jeu de Paume, en laissant derrière nous quelques façades de banques et d’assurances en morceaux.

En arrivant sur la Comédie, on souffle un peu. Les fourgons de gendarmes sont tout près, en haut de la rue de Maguelone. Après l’arrivée de nouveaux gilets jaunes débarqués de nulle part, la Comédie se retrouve très vite noyée sous les gaz lacrymogènes. « Ça devient la routine », regrette une malheureuse passante qui tente de se dégager de l’affrontement naissant sous ses yeux. Des bruits de gros pavés qui s’effondrent sur le sol raisonnent autour de moi, avant que les terrifiants grondements des grenades policières viennent les couvrir. Les street-médics, présents depuis le début de la manifestation, sont visés par des tirs de lacrymos, provoquant la colère de la foule. Un palais de lacrymo me frôle au niveau du bras. Je m’écarte et je regarde avec un malin plaisir les banques de la CIC et de la Poste qui en prennent pour leur grade.

Je remarque que des gilets jaunes se sont fabriqués des boucliers de fortune. Je sens naître une belle solidarité autour de moi : des manifestants incitent les gens à ne pas courir, et lancent régulièrement le slogan « tout le monde déteste la police » pour ne pas succomber à la panique. Une enceinte portable diffuse le son du rappeur D1ST1, qui s’est fait connaître pendant les manifestations toulousaines. La foule s’en trouve galvanisée et, à la question « Gilets jaunes quel est votre métier ? », répond en masse « Ahou, ahou, ahou ! » Petit à petit, les gaz se diffusent sur toute la Comédie, nous obligent à nous réfugier sur l’Esplanade, où des poubelles prennent feu pendant qu’un autre bout du cortège est parti déambuler dans le centre-ville. Des magnifiques feux d’artifice éclatent devant l’office de tourisme et émerveillent les manifestants qui applaudissent ou crient de joie. La réponse en face est moins belle : toujours plus de gaz, et déploiement de la brigade anti-criminalité autour du musée Fabre. La police traque les manifestants qui descendent les marches du Corum. Sous le choc de grenades lacrymogènes, des vitrines du Corum se fissurent. La chasse aux gilets jaunes se poursuit sur le boulevard Louis Blanc, pour le plus grand malheur d’un distributeur de banque et d’une machine de la TAM. Le cortège se déploie sur Albert Ier, et l’apothéose du zbeul s’offre sous mes yeux : une voiture de la TAM postée là se fait caillasser avant de partir en trombe.

La manifestation continue jusqu’au cours Gambetta, à l’autre bout de la ville, en prenant le soin de brûler d’innombrables poubelles sur les voies du tramway, provoquant un attroupement des gens du quartier, enthousiasmés par cette jolie scène insurrectionnelle. Drucker disait « vivement dimanche prochain » et moi je dis : « vivement samedi prochain ! »

La manifestation continue jusqu’au cours Gambetta, à l’autre bout de la ville, en prenant le soin de brûler d’innombrables poubelles sur les voies du tramway, provoquant un attroupement des gens du quartier, enthousiasmés par cette jolie scène insurrectionnelle. Drucker disait « vivement dimanche prochain » et moi je dis : « vivement samedi prochain ! »