Montpellier. Gilets jaunes et marche pour le climat : retour sur une étrange manifestation

Le Poing Publié le 9 décembre 2018 à 19:28 (mis à jour le 25 février 2019 à 18:24)

Gauchistes en gilets jaunes, écolos, gilets jaunes chimiquement purs et trois fachos perdus ont manifesté ensemble hier à Montpellier. Un médic’ de rue bien inutile vous raconte cette étrange journée…

13h30, préparatifs

« Sérum phy, borax, désinfectant, pansements, lingettes stériles, eau, fruits, foulard, masque, gants en vinyle, papier, stylo, c’est bon, j’ai tout, j’y vais! »
« Woah on dirait que tu pars à la guerre ! Eh ça va ici c’est Montpellier, c’est pas Paris ou Nantes hein ! Et t’as même pas de gilet jau…».
La porte de l’appartement se referme sur la fin de la phrase de ma coloc’ et je m’engouffre déjà dans l’ascenseur, grommelant « on sait jamais » en appuyant frénétiquement sur le bouton du rez-de-chaussée, avec le pressentiment que je vais vivre quelque chose d’inédit, d’incongru et de nouveau dans ma vie militante.

Je rejoins des camarades étudiant·e·s en lutte contre la hausse des frais d’inscription pour les étudiants étrangers vers 13h45. On prend tranquillement la direction de la place de la préfecture, accompagné de quelques gilets jaunes qui ont démarré leur cortège au Peyrou.

14h30, faune hétéroclite, étrange atmosphère

On est maintenant plusieurs centaines de personnes sur la place de la préfecture. Les CRS postés en haut de la rue de l’université nous zieutent.

« Woah j’ai pas l’habitude de manifester entouré de drapeaux français » dis-je à mes camarades sur fond d’une marseillaise pleine de fausses notes.
« Ah ça change de l’entre-soi gauchiste c’est sûr ! », répond un copain en rigolant.
À côté de moi,  des gens commencent à chanter l’Internationale mais personne ne les suit. Le slogan identitaire « on est chez nous » commence à partir d’un bout du rassemblement, mais il est vite noyé par des « Siamo tutti antifascisti » (« Nous sommes tous antifascistes ») et leurs célèbres clappements de mains qui viennent apporter une ambiance un peu plus familière à cet étrange rassemblement. Tout le monde semble être d’accord sur le « Macron démission ! », et ce curieux melting-pot de manifestant·e·s se met en route vers la Comédie.

En descendant la rue de la Loge, je me retrouve face à un furet en laisse en gilet jaune. Un furet putain… A-t-il des revendications ? Dois-je revoir ma conception de l’antispécisme ? Le temps que je me pose la question, mon binôme a disparu. Je me retourne pour le chercher et je m’aperçois que je suis juste devant une banderole « Macron enculeur du peuple démission, la sodomie c’est finie » tenue par des gilets jaunes rigolards, bière à la main. Le slogan suinte trop le masculinisme, je bouge de là, toujours à la recherche de mon binôme. Je m’étonne du calme de cette manif’. Peu de cris, peu de slogans, pas de musique.

En chemin, je croise des lycéens de Mermoz, toujours déterminés à manifester malgré les flashballs qu’ils se sont pris dans la gueule ces derniers jours. Je leur donne quelques conseils pour se protéger et un peu de maalox, au cas où… Je continue de marcher quand soudain, une partie du cortège s’arrête et se met à genoux, les mains sur la tête, en solidarité avec les lycéen·ne·s victimes de répression policière à Mantes-la-Jolie. À côté de moi une vieille dame s’émeut : « c’est un beau symbole ». Je suis à deux doigts de verser une larme… Le cortège descend jusqu’à la gare et revient ensuite sur la Comédie, en attente des milliers de personnes qui défilent qui manifestent pour le climat.

16h, le cortège des gilets jaunes et celui pour le climat se rejoignent

Gilets jaunes et étudiant·e·s sont maintenant éparpillé·e·s autour du globe lumineux posé sur la Comédie, et les manifestant·e·s de la marche pour le climat nous rejoignent rapidement pour former une belle masse hétérogène dans laquelle on trouve de tout. Les militant e·s de BDS34 sont aussi présents et appellent au boycott du prochain eurovision à Tel-Aviv. Un chouette moment de convergence des foules. À vue de nez, on est au moins 3 000.

Pendant que la majorité de la foule décide de s’asseoir sur la Comédie, un petit groupe décide de remonter sur la préfecture, bientôt suivi par beaucoup de gilets jaunes. Les CRS s’activent de tous les côtés et on craint une nasse. L’ambiance se tend. Des gens continuent de crier « Macron démission ! » et j’entends une dame d’une cinquantaine d’années crier juste à côté de moi « Macrooooon fils de pute ! ». Je me tourne alors et lui dis avec le sourire : « laissez les travailleuses du sexe en dehors de tout ça, elles n’y sont pour rien ». La femme me regarde comme si je venais de lui parler kobaîen, alors j’enchaîne « bah ouais, y a plein d’autres insultes, genre bourgeois nécrophage, c’est pas mal ça non ? ». Cette fois-ci, elle écarquille tellement les yeux que j’ai l’impression qu’ils vont sortir de leurs orbites. Décidément, c’est pas le même public que d’habitude. C’est ma faute, j’aurais dû être plus explicite, un bon gros « Macron mange tes morts ! » aurait été beaucoup plus clair.

Les slogans sont tellement contradictoires que les flics ne comprennent plus rien. Les slogans « CRS, avec nous ! » et « Tout le monde déteste la police ! » sont lancés quasiment en même temps. Soudain, une première charge, une grenade, l’odeur du gaz qui vient chasser les effluves de tabac et d’herbe, un mouvement de panique. Enfin un peu d’action, on commençait à s’ennuyer ! Les copains et les copines médics commencent à gueuler « ne courez pas, restez calmes, si vous êtes touché·e·s criez médic » alors que tout le monde se réfugie rue Foch. Personne ne semble blessé. La police interpelle quelqu’un, et c’est le début d’un long face-à-face avec une rangée de boucliers reluisants n’attendant que de se faire repeindre. Pourtant l’ambiance ne déborde pas et bientôt les gens dansent et chantent devant des CRS immobiles, qui paraissent bien pitoyables.

18h30, l’immobilisme

Le cul posé sur le trottoir de la rue Foch, les camarades médics s’impatientent : « putain ça peut pas bouger un peu là, histoire qu’on serve à quelque chose ! ». Autour de nous, encore beaucoup de gens, dont certain·e·s nous confient que c’est leur première manif’. Je crache la fumée de ma clope intentionnellement en direction de Gégé le RG, appuyé contre un mur à quelques pas de nous, à l’angle de la rue Rebuffy, sans doute étonné de voir autant de têtes qui lui sont inconnues. T’es cramé mecton !

Malgré la longue heure d’attente statique face aux CRS, beaucoup de gens sont encore là, arborant ou pas un gilet jaune. Vers 18h45, une décision collective est prise : contourner les CRS et autres gendarmes mobiles par les petites rues pour rejoindre la Comédie. Le cortège arrive donc sur la place mythique montpelliéraine dans une ambiance tranquille. Les camarades et moi-même décidons de rentrer, convaincu·e· s que cette journée n’avait plus, et n’avait de toute façon pas eu besoin de médics. « À quand un peu d’action à Montpellier ? » demande un copain sur le chemin. Certain·e·s gilets jaunes sont resté·e·s sur la Comédie pour attendre les motards en colère.

Bilan

Si un copain m’a envoyé un message de Paris pour me dire « ici c’est Gotham city », à Montpellier la journée était plutôt calme et nous a permis d’appréhender ce curieux conglomérat d’individus qu’est le mouvement des gilets jaunes. Même si celui-ci est complètement disparate et regroupe des gens venus de bords totalement différents et qu’on est parfois pas tous d’accord sur les mots d’ordres (ou de désordres) et sur les modes d’actions, l’objectif, lui, est bien clair : en finir avec Macron et son monde ! Affaire à suivre…

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