Montpellier : L’Âne Solo en tournée avec son cours sur la dissection de poulet

Elian Barascud Publié le 8 novembre 2023 à 18:21 (mis à jour le 1 décembre 2023 à 11:28)
L'Âne Solo part en tournée avec son cours de dissection de poulet. Crédit : Lauren/ L'Âne Solo

Sous forme d’un concert « comico-rap », Balelo et son comparse Adrien présentent un cours truffé de calembours pour disséquer (verbalement) le corps policier à grands coups de rimes riches. Ils joueront à la Tendresse (impasse Flouch à Montpellier) le 17 novembre, en compagnie de Bois Vert. Un spectacle de haute volée (de plumes) que la rédaction du Poing recommande chaudement

« Bonjour, je suis chercheur à l’université Vaul-Paléry, et je viens faire un cours de dissection aviaire, mais je n’ai qu’une formation de professeur de lettres. Rassurez-vous, le saignement n’est que lexical, parce que les mots filent » C’est par ces phrases que commence un cours universitaire un peu particulier, qui tente de répondre à la question suivante : que faire d’un poulet quand il présente une forte propension à l’agressivité envers ses congénères ?

Ici, pas question d’élevage industriel, quoique… Les lettres, « P.O.U.L.E.T. », sont écrites sur le tableau professoral. L’enseignant les efface une par une pour faire disparaître la bête, et dans le même temps, construire une véritable critique aussi poétique que politique du corps policier grâce à un jeu de double-sens mitonné aux petits oignons.

Pendant une heure, Balelo, rappeur du groupe Montpelliérain l ‘Âne solo et ami des artistes de Bois Vert, manie la plume et rappe, entre jeux de mots, itérations et consonances, entrecoupées « de diapositives sonores ».

« Le but, c’est de faire rire, mais il faut que les blagues soient vraies pour faire réfléchir. C’est pour ça que je lis beaucoup, je vais chercher dans les bouquins », confie le professeur émérite. En témoigne le livre de Gwenola Ricordeau, « 1312 raisons d’abolir la police » (lire notre entretien avec elle ici), qui trône sur la table de chez lui quand il nous reçoit pour l’interview. « Eh les gars, lisez là ! », s’exclame-t-il comme pour appuyer son propos. « Bah oui, si c’était légal, il y aurait moins de poulets sur le terrain pour contrôler les gens ! », ajoute-t-il aussitôt. Ouais, l’artiste est vif d’esprit, plus que nous, heureusement, il nous propose un café…

« Passer du coq à l’âne »

Balelo pratique le théâtre depuis plus de dix ans, et a fondé le groupe de rap l’Âne Solo « il y a six ou sept ans. » À côté de cela, il étudie et parle l’occitan, cultive un certain engagement politique, né de sa participation au mouvement contre le CPE en 2006 et de son écoute du rap, un genre « qui décrit précisément l’oppression de la police dans les quartiers ».

Mais Hassane Balelo, comme il se nomme lui-même, aime avant tout rire et faire rire’, si bien qu’il a pondu ce qui deviendra son cours de dissection aviaire à la suite d’une blague. « Après la sortie de So alone, le premier album de l’Âne Solo, j’avais pas mal écrit sur l’âne. Puis un pote m’a dit que je ne pouvais pas parler de l’âne sans parler du coq, au moins je pourrai passer du coq à l’âne. On était en 2018, je voulais faire un truc pour célébrer mai 68, j’en suis venu à réfléchir à mai 68, les flics, les poulets… Et on est parti de là. Je voulais en faire un lieu d’expérimentation, comme au théâtre.»

Très vite, il commence à écrire sur ce thème, et teste un format de quelques minutes sur scène. « Puis je suis parti sur une écriture un peu tentaculaire avec des rimes sudokus assez complexes, en réfléchissant à tout ce que je pouvais faire avec les lettres du mot poulet, ça prenait un mur entier de mon salon. » Une écriture grandement inspirée selon lui par Bobby Lapointe, Devos ou la rappeuse Casey « pour le côté rap implacable ». « Puis on a bossé sur le concept de prof, de cours, pour le côté expertise scientifique. »

« 22, v’là les poulets ! »

« On », car Balelo n’est pas seul. Dc Had, beatmaker de Petitcopek, entre autres, l’a aidé pour préparer les instrumentaux du concert, et Adrien, son technicien, travaille le système son pour le rendre ergonomique et déplaçable, et passe durant le cours des diapositives sonores à base de samples de discours politiques et de recettes de poulet au citron.

En 2022, il présente une première mouture plus ou moins finale du spectacle. « C’était important pour moi de le faire en 22, parce que 22 v’là les poulets, quoi ! », s’exclame-t-il dans un rire. « Le spectacle fait une heure, mais j’ai écrit 1 h 45, donc des fois ça part un peu dans tous les sens. » D’ailleurs, le concert n’est pas figé, et Balelo se nourrit des retours pour continuer l’écriture. « Des fois les gens viennent me voir après le cours, et font des jeux de mots, alors je prends des notes, j’appelle ça l’enquête. Le spectacle est donc sans cesse en évolution. J’aime bien ce côté humour populaire. »

Et le professeur de Vaul-Paléry ne manque pas d’anecdotes de fin de cours, car parler des poulets en 2023 revient à marcher sur des œufs. Mais les discussions se font sans prises de bec : « Plusieurs fois, on est venu me voir pour me dire qu’il y avait des policiers dans la salle. Donc on discute, on débat. Moi je leur dis que je parle du corps du poulet, pas de l’individu. Le corps ça produit des pratiques, des comportements, mon travail est argumenté. Une fois, un gendarme est même tombé d’accord avec moi sur ce point-là. Je suis pas là pour faire polémique, mais pour faire parler les gens entre eux, créer du débat, relier les amateurs d’humour et les gens déjà militants. J’aime créer un langage, des refrains, par la récurrence des mots, pourquoi pas pour faire des slogans de manif ensuite… »

Après le poulet, la courgette ?

Alors qu’il part à peine en tournée pour présenter son cours dans toute la “Rance” (il a occulté le “F”, pour “celles et ceux qui reçoivent des OQTF”), Balelo pense déjà à la suite. “Tant qu’on en a pas fini avec le poulet, je continue. Promis, si on en finit avec tout ça, je ferai un spectacle sur la courgette”.

Mais en bon amoureux du vivant et des animaux, c’est vers l’âne, son animal totem, que l’artiste aimerait revenir en priorité. “L’âne, c’est le cancre, l’inadapté socialement. Moi-même j’ai jamais été très bon à l’école avant d’arriver à la fac. J’aimerai travailler sur l’aspect double-culture, moi même ayant la double culture française et occitane, pour réfléchir au rapport à l’intégration, par rapport à l’histoire de Rance, au roman national. J’aimerai bien faire des ateliers d’écriture avec des jeunes sur ce thême là, et pourquoi pas, en faire un spectacle. Une forme de concert/grosse teuf/ carnaval avec beaucoup d’impro. Quelque chose de dissident, où tout le monde pourrait lâcher un free-style en même temps. J’y réfléchis beaucoup en ce moment.”

En attendant, vous pouvez assister au cours de dissection aviaire le 17 novembre à la Tendresse, impasse Flouch à Montpellier, à partir de 19 h 30. Tarif : 5 euros, restauration sur place.

Les autres dates de la tournée sont les suivantes :

  • Jeudi 9 novembre, à la ZAD de Notre-Dames des Landes
  • Vendredi 10 novembre : Saint-Agathon
  • Samedi 11 novembre : Nantes, à la Perle
  • Dimanche 12 novembre : Saint-Hilaire de Chaléon
  • Samedi 2 décembre : Lille, café citoyen
  • Dimanche 3 décembre : Montreuil

    Du 26 au 28 janvier 2024, l’Âne Solo sera entre Lyon et Saint-Étienne, et du 22 au 25 février, entre Grenoble et Genève. Une tournée belge est prévue pour le mois de mars.
    Pour plus d’infos ou pour booker l’Âne Solo : anesolotrio@gmail.com


    Elian Barascud

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