Montpellier : les pharmaciens piquent une colère contre les pénuries de médicaments
Les pharmaciens d’officine étaient un millier dans les rues de Montpellier ce jeudi 30 mai pour dénoncer les pénuries des médicaments et pour demander à l’État de réguler leurs prix
Blouses blanches et ballons vert : le dress-code a du cachet. Dans l’effervescence du cortège du millier de pharmaciens qui traverse le centre-ville de Montpellier, un journaliste spécialisé dans les questions de santé commente : “Ce n’est pas une grève qu’on à l’habitude de rencontrer dans le sens où ce sont les patrons des officines qui ont décidé de fermer aujourd’hui, donc les salariés de ces pharmacies sont payés.” Dans l’Hérault, elles sont quasiment toutes fermées, seules quelques unes fonctionnent pour assurer la continuité du service. Selon un délégué syndical du secteur, la dernière mobilisation de la profession remonte à “au moins dix ans”. Autant dire que la manifestation du jour n’a rien d’une promenade de santé.
Les symptômes de la colère
“On a des gros problèmes d’approvisionnement en médicaments”, déplore Valérie, préparatrice en pharmacie de Montpellier. “On est en rupture de stocks nationale sur des antibiotiques, de l’insuline… Cela met nos patients en danger.” Florence, sa patronne, complète : “On perd un temps fou à chercher des solutions. “Il faut que l’État augmente le prix des médicaments, sinon on va vers un gros problème de santé publique. On est là avant tout pour les patients.”
Philippe, pharmacien narbonnais venu à Montpellier pour manifester, détaille les raisons de cette pénurie : “En France, le prix du médicament est fixé par une commission qui regroupe l’État, via la sécurité sociale, et les laboratoires, mais en général, c’est la sécu qui a le dernier mot. Sauf que les labos, qui veulent faire de la marge, vendent leurs médicaments dans des pays ou les prix sont plus chers, donc il n’y en a plus pour la France. Par exemple, moi, j’avais pré-commandé des vaccins contre la grippe à Sanofi, qui m’a annoncé que ma pré-commande ne serait pas honorée, car ils ont vendu ailleurs. En plus, le laboratoire est taxé sur le volume au dessus d’un certain seuil de production de médicaments, donc ils freinent la production pour ne pas payer la taxe. L’État doit augmenter les prix. L’été dernier, l’Allemagne était en pénurie d’amoxicilline [un antibiotique, NDLR], l’État a augmenté le prix, et il n’y a plus de pénurie.”
De son coté, Florence l’assure, cette hausse du prix ne se ferait pas ressentir dans le porte-feuille du patient “car la sécurité sociale rembourserait.” Chose que l’État, qui cherche à comprimer le déficit public, ne souhaite pas forcément. “Il vaut mieux passer une boite d’antibiotique de 2 € 50 à 3 € 50 que de se retrouver avec une journée d’hospitalisation qui coûte 1 000 euros”, relativise Eric José, représentant gardois de la Fédération des Syndicats de Pharmacies de France.
Et si tous évoquent les “marges des laboratoires qui se gavent”, aucune revendication ne dénonce l’ampleur de leurs profits ou demande la réduction de leurs bénéfices. “C’est le marché libre, on ne peut rien y faire, nous sommes en bout de chaîne”, évacue Philippe. “Nous ne sommes pas des interlocuteurs pour eux, c’est à l’État de réguler les prix”, tranche Eric José. Quant à la socialisation totale du système de santé, réclamé aujourd’hui par certaines organisations anticapitalistes, l’idée ne semble pas avoir fait son chemin chez les professionnels mobilisés.
Ils demandent également une revalorisation de leurs honoraires. Philippe raconte : “Le chiffre d’affaire des pharmacies se maintient, voire augmente. C’est provoqué par le transfert de la vente des médicaments hospitaliers très chers en officine pour faire baisser le déficit des hôpitaux. Mais moi, je fais ma marge sur les médicaments les moins chers, que je vends plus souvent, mon chiffre d’affaire est artificiellement gonflé par ces médicaments chers, mais ma marge baisse en raison de l’augmentation des coûts de l’énergie. Je vends mensuellement une boîte de médicament qui coûte 9 000 euros, je prends 90 euros dessus, c’est pas moi qui vais trouer la sécu…”
“Dérégulation du système”
Et après les dernières annonces du gouvernement, la pilule a encore plus du mal à passer pour les pharmaciens. En effet, un projet de loi facilitant la vente en ligne de médicaments a été confirmé jeudi 23 mai 2024. “La vente de médicaments sur Internet, ça existe déjà pour les pharmaciens, certaines officines ont leur site”, précise Eric José, avant de reprendre : “Par contre, si c’est fait par des grosses plateformes comme Amazon, ça va complétement déréguler notre système de santé, et le marché, et il n’y aura plus de contrôle médical. Cela va poser des problèmes d’autorisation de mise sur le marché de certaines molécules, et peut-être fermer des pharmacies,comme c’est déjà le cas en France, alors qu’on parle de 100 000 emplois impossibles à délocaliser, de gens qui travaillent, paient leurs impôts et consomment en France, il faut les sauvegarder.”
Cette “désertification pharmaceutique” inquiète Yannick, étudiant en pharmacie, pour qui les réformes des études de santé ne vont pas arranger les choses. “Avant, quand tu ratais la première année de médecine, tu tentais pharma, maintenant ce n’est plus possible. Et comme on baisse les budgets dans les facs, dans les formations, ça va devenir de plus en plus compliqué de former des professionnels.”
De nouvelles négociations avec le gouvernement sont prévues au début de l’été, et les pharmaciens espèrent que le prix des médicaments va finalement augmenter et que l’État légifère sur la question… Par ordonnance ?
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