Montpellier Métropole traite des centaines de travailleurs comme des “moins que rien”
Un vent de rébellion inédit parmi les vacataires sans droits de la Métropole de Montpellier, que le confinement risquait de priver de tout revenu.
Pour Elodie, c’est simple. Parmi les employés des collectivités territoriales, il y a trois catégories : « les titulaires, puis les contractuels, qui ont donc un contrat même s’ils ne sont pas fonctionnaires. Et enfin les vacataires ». Ceux dont elle fait partie. Or, « vacataire, ça n’est même pas un statut défini dans la loi ». Théoriquement, le recours à un·e vacataire devrait être ponctuel, justifié par un accroissement momentané de l’activité d’un service. Il devrait donc s’agir de missions spécifiques, sur des tâches très circonscrites, pour une durée limitée.
Théoriquement. Parce que bon. Lors d’une réunion le 7 janvier dernier, un haut cadre de Montpellier Méditerranée Métropole lâchait le morceau. Ne sachant plus comment justifier des disparités manifestes de traitement entre diverses catégories de vacataires, il lâchait le morceau : « De toute façon, vous êtes de faux vacataires. Il n’y en a peut-être que vingt pour cent de vrais ! ». Génial : « On est tout à fait preneurs ! Il faut donc tout de suite nous ranger parmi les contractuels » s’exclame Alain, collègue d’Elodie.
Lequel égrène les conséquences de l’espèce d’« arrêté »(c’est le vrai terme), qui fixe l’embauche d’un·e vacataire : « Pas de congé maladie, tu dois rester chez toi, et bien tu touches rien, c’est pas plus compliqué. Pas de congés payés. Pas de temps de travail fixe. Un planning édité le samedi pour fixer les temps de présence de la semaine suivante. L’obligation de fait d’accepter tous les engagements prétendument “volontaires”comme le travail du dimanche ou les remplacements dans l’heure au pied levé. Aucune visibilité quant à la reconduction de l’activité ».
De tout cela découle « des rapports déplorables. Les statutaires avec qui nous travaillons, parfois sur des tâches absolument identiques, feignent d’ignorer la réalité de notre situation. Et une compétition malsaine peut s’installer entre vacataires, puisque ton maintien dans le poste, où le nombre d’heures qu’on t’attribuera – et donc le montant de ta rémunération – dépend évidemment de la façon dont tu feras du zèle pour te faire bien voir ».
Pour justifier cet esclavage moderne de l’ultra-flexibilité précaire, on parle de « jobs étudiants ». Sauf. Sauf qu’on connaît des cas d’employés à temps plein sous ce vrai-faux statut – par exemple dans la collecte des déchets – y compris pour des durées frôlant les dix ans. Cela dans l’illégalité la plus totale semble-t-il, mais noyée dans un flou réglementaire redoutable. Et attention, Julie se souvient qu’au moment de son « embauche » (si on peut dire), on a tenu à lui « préciser, avec un maximum d’insistance, [qu’elle ne devait] surtout nourrir aucun espoir de titularisation ».
Aujourd’hui engagés dans un collectif qui se bat pour remettre bon ordre dans tout ça, Elodie, Alain, Julie, s’emploient à éclaircir les zones d’ombre. Epaisses. Non sans difficultés. « Le moins qu’on puisse dire est que la transparence de l’information n’est pas la première des qualités à la Métropole ». Ils ne sont pas parvenus à établir le nombre d’agents concernés : « plusieurs centaines c’est sûr, sans doute autour de cinq cents » estime Pierre, lui aussi engagé dans le nouveau combat. Les organisations syndicales leur apportent un appui, « mais elles-mêmes nous avouent que c’est bien la première fois qu’elles créent un vrai lien du côté des vacataires ».
Non sans rappeler le mouvement, en cours par ailleurs, des AED (assistants d’éducation), ce qui frappe est l’invisibilisation de ces travailleurs. « Lorsque nous discutons avec des responsables des ressources humaines, on a l’impression qu’ils découvrent les caractéristiques de notre situation, les termes juridiques dont nous relevons. C’est comme si nous n’existions pas » remarquent Elodie, Julie, Alain, Pierre. Même pour en discuter « on a pu nous “convoquer”, c’était leur terme, pas nous “inviter”, la veille pour le lendemain, sans souci aucun pour nos obligations, ni préciser l’objet de l’entretien ».
Les responsables administratifs de la Métropole montpelliéraine se sont brutalement réveillés, quand une pétition signée par près de cent cinquante agents a été rendue publique le 17 décembre dernier (et qu’Alenka Doulain, conseillère municipale d’opposition l’a relayée en réunion du Conseil). Les paies de novembre auraient dû normalement être réglées le lendemain (car on attend sa paie avec des semaines de retard – normal – quand on est vacataire). Sauf que cette fois, il ne devait y avoir pas de paie du tout. Ben voyons.
Comme nos autres interlocuteurs, Elodie fait partie des cinquante-cinq vacataires travaillant dans les médiathèques. Pour ce qui concerne l’accueil du public, leurs activités sont identiques à celles des statutaires. Elle raconte : « Après un mois de fermeture totale due au confinement, on reprend le travail le 28 novembre. Et là, parfois un peu au hasard, sans aucun souci d’information systématique, on apprend qu’on ne serait pas payés ! » Cela alors que les restrictions d’activités entre les deux confinement avaient déjà laminé les rémunérations des mois précédent.
Encore a-t-il fallu chercher l’explication de la suppression pure et simple de tout revenu : « Comme le service public dans son ensemble avait très majoritairement continué de fonctionner lors de ce second confinement, le gouvernement n’avait pas pris d’arrêté prévoyant un dédommagement du genre chômage partiel ». De là est née la révolte, d’abord dans les médiathèques, mais qui va se répandant et s’aiguisant, en réclamant une mise à plat de tout le système, pour une régularisation contractuelle massive.
« On nous répond qu’on se soucie de nos problèmes et qu’un chantier sera ouvert. Les syndicalistes savent décoder ce genre de discours : méfi, les grands chantiers des DRH sont souvent des rideaux de fumée, des plans sur la comète, derrière lesquels sont orchestrées des mesures partielles, qui endorment tout en créant la division ». Dans l’immédiat, un geste a été fait. Pour ce funeste novembre 2020, les agents auront perçu une indemnité calculée sur la base de ce qu’avait été leur rémunération du mois équivalent en 2019.
Mais l’opération tient de l’acrobatie simiesque : l’administration n’a pas trouvé d’autre solution que puiser dans le budget de la Caisse d’actions sociales, solidaires, sportives et culturelles (CASSSC) des personnels de la Métropole. Il a d’ailleurs fallu en modifier la dotation budgétaires, comme les règles de fonctionnement : les sommes attribuées émargent normalement à l’aide sociale d’urgence qu’on réserve à quelques rares employés pris dans une mauvaise passe. Cela passant par l’assistante sociale.
Ce tour de passe-passe ramène les vacataires concernés dans le voisinage symbolique des cas sociaux. On reste très éloigné, voire à l’opposé, des objectif du Collectif Vacataires Montpellier 3M : la fin du recours abusif aux contrats vacataires, la création des postes correspondants, pour en finir avec l’ultra-précarité du régime néo-libéral, insinué jusque dans un service public sans vergogne, fût-ce d’une collectivité « de gauche » (ce qu’il faut écire si souvent avec des guillemets).
C’est aussi question de dignité. Aujourd’hui très inquiets des dispositions envisagées en cas de très probable troisième confinement, ces personnels ne goûtent guère l’humour d’un haut cadre métroplitain, qui, en guise de réponse, pense ne pouvoir leur annoncer que « peut-être n’y aura-t-il pas de troisième confinement ». Pardi.
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