Violences policières et prison ferme après une manif à Béziers : témoignages sur une répression débridée

Le Poing Publié le 5 février 2021 à 18:02 (mis à jour le 6 février 2021 à 22:15)
Image d'illustration

Le 30 janvier a eu lieu un accrochage entre policiers et participants à la manif de Béziers contre la loi sécurité globale. Le Poing a pu récolter des témoignages auprès de personnes présentes sur place. Violences, insultes, mensonges médiatiques, lourde condamnation et sentiment d’impunité policière : récit d’une répression qui ne se cache plus.

Une saisie inattendue

Après une nouvelle manifestation contre la loi sécurité globale qui aura réunie quelques centaines de personnes à Béziers, dans le plus grand calme, un groupe de six personnes se dirige vers un Intermarché, pour y rendre le camion qui a servi à transporter le matériel sonore. C’est que, comme partout en France ces dernières semaines, les teuffeurs sont de sortie, ralliés au mouvement après la dure répression des supposés organisateurs de la Free Party de Lieuron.

On remarque bien qu’une voiture banalisée de la police suit le groupe, sans pour autant s’en inquiéter outre mesure : la manifestation était déclarée en préfecture. « On avait pu discuter avec les organisateurs du défilé en amont. » témoigne Adèle. « Ils venaient tout juste de parler eux-mêmes avec des policiers, qui se renseignaient sur la présence de teuffeurs dans le cortège. Ils leur ont évidemment confirmée l’information, et on leur a assuré que ça ne posait pas de problème. » L’existence de cette discussion nous a été confirmée par des groupes de gilets jaunes du biterrois.

C’est donc la surprise la plus totale quand les agents de la BAC descendent de leur véhicule, procèdent à des contrôles d’identité, et parlent de saisir le fameux camion et le matériel de sonorisation. « On a demandé à voir une autorisation de saisie, ou au moins leurs cartes de police. Rien, ils n’avaient même pas leurs brassards sur eux… »

Tabassés, traînés au sol, insultés

Les policiers se placent alors entre le groupe de six et l’entrée du véhicule qu’ils s’apprêtent à saisir. « On a commencé à parlementer, on ne comprenais pas le motif de la saisie. Il faut dire aussi qu’on avait encore beaucoup d’effets personnels, des vinyles, un sac à dos, un ordinateur portable, à l’intérieur du camion. L’heure du couvre-feu approchait. Les choses se sont échauffées, verbalement. Personne ne pensais que ça allait partir comme ça, les gens croyaient pouvoir discuter, même au regard de la nervosité des agents de police. », reprend Adèle.

Face aux insultes répétées de certains policiers, le ton monte. Et la situation dérape : un membre des forces de l’ordre envoie brutalement au sol un des protestataires. Pour Adèle, c’est le déclencheur ! « A partir de là, ça a été un déferlement de violences juste incroyable. Des renforts sont arrivés fissa, pendant que les coups de matraque pleuvaient de tous les côtés… Une femme présente s’est vue traînée au sol sur plus de dix mètres, alors qu’on la menaçait de lui mettre une matraque dans le cul ».

Dans la cohue, un policier -un Adjoint de Sécurité (ADS)- est blessé à l’arcade sourcilière. Il n’est pas le seul. Et les interpellations qui s’en suivent sont d’ailleurs sélectives.

« Une fois que la situation a été maîtrisée pour eux, ils se sont retrouvés à menotter deux d’entre nous pour les emmener en garde à vue. De base ils voulaient emmener mon compagnon aussi. », témoigne Adèle. Mais devant son visage ensanglanté, les policiers changent d’avis. « Celui-là c’est pas bon les gars, on l’a trop amoché », fait remarquer l’un d’eux.

Un jeune homme en train de filmer la scène se retrouve menacé par les forces de l’ordre, et est contraint de s’enfuir.

Intimidations, mensonges et garde à vue infernale

Franck, qui nous confirme le déroulé des faits, fait partie de ceux qui auront le droit à un passage prolongé au poste de police. « Menotté, j’ai été amené jusqu’à une des voitures de police. Pendant tout le trajet, ça a été l’enfer. Ils m’ont insulté, frappé à de multiples reprises. A tête reposée, ils savent où te frapper pour que ça ne laisse pas de marques. J’étais effaré, je n’avais pas beaucoup eu à faire à la police dans des manifestations, j’en fait mais pas tout le temps, pour le CPE par exemple j’y étais. »

Les agents ont l’air de considérer le groupe comme de véritables ennemis. « On nous l’a signifié assez clairement sur le parking de l’Intermarché », commente Adèle. « Qu’ils allaient nous faire passer le goût de manifester, qu’ils ne voulaient plus jamais nous voir sur Béziers… »

Une fois arrivé au poste, le calvaire de Franck continu. « Une des premières choses qu’on m’y a dite, c’est qu’en l’absence de caméras dans le commissariat, on ne pourrais rien prouver. Alors les coups, les insultes continuent. » Les policiers se lâchent : « t’es ma chienne, t’es ma pute ». Ambiance…

En parallèle, Adèle et son compagnon rentrent chez eux, se remettent de leurs émotions, de leurs blessures aussi. Le lendemain, ils reçoivent un coup de fil de la police. « On nous dit au téléphone qu’il faut qu’on vienne au poste sans quoi nos compagnons ne pourront pas sortir. Quand j’argue du fait qu’on a des enfants, on m’assure qu’il y en a pour une heure tout au plus. »

Une fois sur place, le discours change du tout au tout : on apprend au couple qu’ils vont être à leur tour placés en garde à vue. Il faudra des discussions à n’en plus finir pour que policiers et magistrats y renoncent, en partie parce que l’enfant en question est gardé de manière très temporaire par un voisin. « On ne sait pas trop comment ça fonctionne, alors on y a cru à leur coup de fil. La veille déjà, ils voulaient embarquer mon compagnon. Visiblement ils voulaient juste attendre qu’il se débarrasse de lui-même des traces les plus visibles des violences qu’il a subies. », s’indigne Adèle.

De son côté Franck, qui été accusé de rébellion, sort de garde à vue, quelques heures après, faute d’éléments à charge. Une chance que n’aura pas le deuxième interpellé de cette soirée du 30.

« On va faire ce qu’on peut, mais il ne faut pas s’attendre à grand-chose » : prison ferme d’un côté, vers une absence de suites pour les violences policières ?

Alors qu’un des leurs reste toujours en garde à vue, le groupe va faire constater les blessures des uns et des autres auprès de médecins. L’idée étant d’aller dans la foulée faire un dépôt de plainte pour violences policières.

L’accueil à la gendarmerie est assez bienveillant. Mais peu optimiste quant aux suites possibles à une telle affaire. Adèle reste très déçue de l’expérience : « Ce qu’on nous ont dit les gendarmes, c’est qu’ils allaient faire ce qu’ils pouvaient. Mais ils nous ont aussi rappelé que ce type d’affaires finissent le plus souvent par ne pas avoir de suite. Ca fait drôle qu’on te dise ça cash chez les gendarmes, de manière désabusée. On leur a parlé de la vidéo-surveillance du parking de l’Intermarché, mais après de nombreux coups de fil, ils nous on répondu que les enregistrements étaient aux mains de la police nationale, et que pour le moment ils n’y avaient pas accès… »

Dans le cadre du mouvement des gilets jaunes, beaucoup de manifestants blessés à Montpellier où ailleurs ont effectivement vus leurs plaintes classées sans suite.

Pendant ce temps, la personne restée en garde à vue est déférée devant le tribunal pour « rébellion » et « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique ». L’histoire vire au drame : l’homme est condamné en comparution immédiate à dix huit mois de prison, neuf ferme avec mandat de dépôt, et neuf autres avec sursis. Sur la base de cette même vidéo-surveillance à laquelle les gendarmes doutent de pouvoir accéder pour la plainte pour violences policières…

Mensonges médiatiques ?

La presse locale donne à lire une toute autre vision des faits de cette soirée du 30 janvier. Midi Libre et Métropolitain, repris sans distance par la presse nationale, éludent complètement le rôle que les violences de la police aurait pu jouer dans cette altercation.

Cette presse, qui se fait l’échos des réactions indignées des syndicats de police, n’a pas pris la peine de contacter une seule des personnes n’appartenant pas à la police nationale présentes au moment des faits. « Quand je lis ces articles, j’ai sous les yeux un récit qui ne correspond pas du tout à ce qu’on a vécu », commente Adèle. Franck a de son côté entrepris de contacter le Midi Libre, pour faire entendre un autre son de cloche : « ça s’est assez mal passé quand je les ai eu au téléphone, je doute qu’il y ai des suites dans leurs colonnes. »

Plus que de réels et conscients mensonges, il s’agit là d’un très bel exemple de ce qu’on appelle le journalisme de préfecture. Sur ce type de sujets, l’habitude en cours dans beaucoup de rédaction et de décrocher son téléphone, et de servir la version préfectorale, ou celle des différentes sources policières. En étant persuadé que la vérité énoncée est la bonne…

Pourtant à Montpellier, des cas de mensonges policiers ayant amenés des gilets jaunes en prison ont déjà été documentés.

Un rassemblement de soutien samedi 6 février à Béziers

Les soutiens à la personne incarcérée sont toujours en recherche de la vidéo de l’altercation qui a été prise par le jeune homme le soir du 30.

Un rassemblement de soutien était également programmé, à l’appel de gilets jaunes et de nombreuses organisations participantes au mouvement contre la loi sécurité globale, ce samedi 6 février, à 11h sur les allées Paul Riquet, en face du théâtre de Béziers. La sous-préfecture vient de l’interdire.

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