À Montpellier comme ailleurs, les plaintes des gilets jaunes blessés n’aboutissent pas

Le Poing Publié le 19 juin 2020 à 21:14 (mis à jour le 20 juin 2020 à 11:05)
Marches des mutilés, le 12 janvier 2019 à Montpellier

Les centaines de cas de violences policières recensés lors du mouvement des gilets jaunes ont donné lieu à seulement deux condamnations. Aucune des plaintes des manifestants blessés à Montpellier n’a abouti.

Brigitte Julien, la directrice de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), le corps policier chargé d’enquêter sur la police, joue cartes sur table dans son dernier rapport : sa première ambition affichée est de « valoriser l’institution et ses agents ». L’IGPN, qui revendique être « une instance au service de l’institution », considère que la multiplication des contestations en 2019 explique « mécaniquement un risque plus important pour l’intégrité physique des personnes (usagers et forces de l’ordre) ». Le message est clair : si vous manifestez, vous devenez un « usager » de la force publique, et votre « intégrité physique » n’est pas garantie.

Crimes impunies

L’IGPN recense « 660 signalements en lien direct avec le mouvement des gilets jaunes et celui des lycéens » et « 292 saisines spécifiquement liées à l’usage de la force ou des armes lors des manifestations des gilets jaunes ». Le ministère de l’Intérieur reconnaît 2495 blessés parmi les manifestants entre le 17 novembre et le 4 octobre 2019, mais l’IGPN insiste en gras sur « l’absence de corrélation entre une blessure consécutive à l’usage de la force et la légitimité dudit usage. » La police des polices déclare qu’« il est (…) impossible de dresser le bilan du résultat définitif de ces enquêtes », et rappelle qu’elle n’a « aucun pouvoir de sanction » – seuls les tribunaux pouvant juger.

Au final, seuls deux policiers ont été condamnés : l’un à deux mois de prison avec sursis pour le jet d’un pavé et l’autre à quatre mois de sursis pour une gifle, sans inscription au casier judiciaire pour permettre aux deux policiers de continuer à exercer. On compte trois autres renvois devant le tribunal correctionnel : un gradé de la brigade anticriminalité de Montpellier pour des insultes (date de procès fixé cet été), un policier strasbourgeois pour un coup de matraque à la tête (procès le 23 juin), et un policier pour un tir de LBD au visage (procès le 26 juin). Aucun policier n’a été inquiété pour les 25 éborgnés, les 5 mains arrachées et la mort de Zineb Redouane, touché à Marseille par un tir de grenade lacrymogène alors qu’elle fermait sa fenêtre au passage d’une manifestation de gilets jaunes (le chef des CRS impliqués a été médaillé par le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner et un récent « rapport d’expertise » dédouane la police).

En revanche, on recensait en janvier 2020 au moins 440 gilets jaunes passés par la case prison, sans compter les peines aménageables et les sursis, à l’instar de Dylan, éborgné à Montpellier par l’éclat d’une grenade de désencerclement, et condamné un mois et demi plus tard à trois mois de sursis pour « tentative de dégradation », en l’occurrence le jet d’un papier en feu dans une poubelle (qui n’a pas brûlée). On peut aussi évoquer le cas d’un autre gilet jaune montpelliérain, accusé de violences par le policier qui lui a infligé 45 jours d’ITT, et condamné à trois mois de prison ferme aménageable pour « participation à un groupement en vue de commettre des violences et des dégradations ».

À Montpellier, affaires « en cours »

Le journaliste David Dufresne a documenté, notamment grâce au Poing, plus de soixante cas de violences policières à Montpellier entre février et juin 2019. Ce chiffre n’inclut donc pas les blessés rapportés par Le Poing après juin, notamment à l’occasion des actes 36, 43, 52, 56, 64, 79 et lors des manifestations contre la réforme des retraites les 5 et 10 décembre. Sans compter les blessés passés sous les radars médiatiques.

Cinq plaintes de manifestants blessés à Montpellier ont été pris en considération par les autorités et sont « en cours » de traitement note David Dufresne. Les services enquêteurs sont l’IGPN de Marseille et la direction départementale de la sécurité publique de l’Hérault. Les policiers de Montpellier enquêtent donc sur les policiers de Montpellier. Aucun policier n’a été auditionné, et seules deux victimes ont été entendues. Dans ces conditions, les plaintes pour violences par personne dépositaire de l’autorité publique de Louis, 60 jours d’ITT, Véronique, 12 jours d’ITT, Yvan, 5 jours d’ITT, Axel, touché à la tête par un tir de LBD et X, tabassé au sol, risquent d’être classées sans suite. Traumatismes psychologiques, perte d’odorat, douleur crânienne fulgurante, pressions internes dans l’œil, insomnies, cicatrices : à ces douleurs vécues s’ajoutent un immense sentiment de colère et d’injustice.

Indécence policière

Face à l’ampleur du phénomène répressif, la stratégie des autorités consiste à tout nier en bloc : Emmanuel Macron, Christophe Castaner et Brigitte Julien récusent jusqu’à l’existence même du terme de violences policières, et préfère parler d’un usage « légitime de la force ». Pourtant, selon les informations délivrées par les autorités, les journalistes et les militants, aucun mutilé n’a été accusé d’avoir causé de violences en rapport avec la blessure subie. L’argument de la « légitimité » ne tient donc pas. Les autorités rappellent aussi qu’ils ont comptabilisé, au 4 octobre, 1944 policiers blessés. Mais aucune information n’est communiquée sur le contexte des blessures et aucune distinction n’est opérée entre blessés légers et graves, à de rares exceptions près. Ainsi, on sait que les gendarmes boxés par Christophe Dettinger ont écopé de 2 et 15 jours d’ITT, et que deux policiers parisiens psychologiquement « choqués » ont eu 45 jours d’ITT. Pour justifier d’incarcérer des gilets jaunes qui avaient jeté des pierres sans n’avoir touché personne, la juge de Montpellier Geneviève Boussaguet avait déclaré que pouvait être considéré comme violent « tout acte de nature à créer un choc émotif, sans avoir besoin de définir la nature dudit choc ». Combien d’agents émotivement choqués parmi les 1944 policiers recensés comme blessés par le ministère de l’Intérieur ? À l’hiver 2019, Christophe Castaner avait chargé les patrons de la police et de la gendarmerie de recenser les agents blessés pour leur distribuer des médailles, en vain, faute de candidats suffisants. Mais cela n’empêche pas le syndicat « Alliance police nationale 34 », qui avait traité les gilets jaunes de « sous-être humains », de s’interroger sur sa page facebook : « Policiers agressés, mutilés, qui en parle ? » Personne sauf eux, et pour cause, les mutilés sont à trouver de l’autre côté de la barricade.

La question des violences policières ne se limite bien évidemment pas aux manifestants et militants, elle a d’abord largement été déployée contre les supporters et de foot et les habitants des quartiers populaires, dans un silence assourdissant.

Mutilations banalisées, injustices systémiques, mensonges humiliants… : l’État joue avec le feu. L’humain est un animal politique et social, et quand l’animal est blessé, le danger est décuplé. Affaibli, l’animal se laisser approcher, mais s’il lui reste de la force, il déclenchera son attaque quand il sera sûr de son coup.

À la fin de la marche des mutilés du 12 janvier à Montpellier, les policiers avaient récupéré ces yeux accrochés aux grilles de la préfecture et avaient joué au foot avec…

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