Montpellier : prison, sursis et travail forcé pour des bris de vitres et des projectiles lancés dans le vide

Le Poing Publié le 10 décembre 2019 à 10:16 (mis à jour le 11 décembre 2019 à 20:26)
Acte 56 des gilets jaunes, le 7 décembre à Montpellier
Quatre manifestants, arrêtés le 5 décembre, jour de grève et de manifestation interprofessionnelle, et le 7 décembre, journée traditionnelle de mobilisation des gilets jaunes, ont été déférés au tribunal de grande instance de Montpellier ce lundi 9 décembre sous le régime de la comparution immédiate. Fait un peu inhabituel : aucun d’entre eux n’a réclamé un délai, ils ont donc tous été jugé illico presto.

C., 25 ans, 8 mois de prison ferme pour un bris de porte vitrée

C’est le cœur lourd qu’on a vu jaillir notre ami des entrailles des geôles du tribunal, après deux jours passés en garde à vue à attendre son jugement. Accusé de dégradations, de participation à un groupement en vue de commettre ces dégradations, et de rébellion durant son interpellation (car se débattre pour pouvoir respirer lorsqu’un baqueux vous étrangle par-derrière est considéré comme de la rébellion), le prévenu, en sursis pour de précédents faits de dégradation, risquait gros. Et pourtant, ce qui frappait immédiatement, malgré l’angoisse qui l’habitait forcément, c’était son calme, sa force, son implacable dignité. Et son courage.

D’un profil social très défavorisé, avec un parcours de vie cabossé, C. n’a demandé aucune pitié à la cour, mais de la justice – ou au moins de la justesse. Reconnaissant une partie des faits qui lui étaient reprochés – à savoir : avoir fait partie du groupe qui a cassé la porte vitrée du Polygone, même s’il conteste avoir lui-même porté un coup de pied décisif à la porte (il a commencé le geste avant de l’interrompre en pleine lancée, au moment où il réalisait ce que l’emballement collectif avait failli lui faire faire), et avoir pénétré ensuite dans le centre commercial pour exfiltrer des manifestants inconscients des dangers qu’ils encouraient en s’engouffrant là-dedans –, C. a plusieurs fois demandé au tribunal de ne pas se fier au seuls procès-verbaux des policiers, mais d’aller consulter la vidéo publiée par la Gazette de Montpellier en direct sur les réseaux sociaux durant la manifestation, vidéo qui a pourtant servi à l’incriminer et dont la cour ne disposait pas – mais juste de quelques captures d’écran que l’on pouvait interpréter de diverses manières.

Revenons à un instant à cette vidéo. Si C. s’est appuyé dessus pour axer sa défense, c’est bien parce qu’elle avait d’abord servi à l’incriminer (ainsi que le prévenu suivant). La jouissance virtuelle qui consiste à s’offrir un petit buzz éphémère sur fond de « riot-porn » vaut-il vraiment la peine de se transformer en auxiliaires, même involontaires, de la police, et de fournir des images qui accablent les militants qui débordent du registre de la manifestation traditionnelle ? N’était-il pas possible de filmer la scène sans montrer les silhouettes, ou au moins les visages ? Ou de se contenter de la porte brisée, sans prendre les acteurs ? Le Poing met en tout cas un point d’honneur à vérifier scrupuleusement que chacune de ses photos et vidéos ne mettent personne en danger.

C. a eu une vie difficile, mais c’est un battant. Sans domicile fixe, engagé, « en train de remonter la pente », comme il l’a pudiquement expliqué, après une période difficile, il a insisté sur son envie de s’en sortir et sur son besoin d’être aidé et d’être encadré, par exemple par une injonction de trouver un travail pour dédommager les parties civiles.

Les parties civiles, parlons-en ! Comme toujours, en ces cas-là, leurs demandes furent initialement extravagantes. En tout, plus de 32 000€ ont été réclamés, d’abord à C. seul, puis, durant l’audience suivante, sous forme de « condamnation solidaire » avec C., ce qui n’avait aucun sens d’un point de vue juridique puisque C. avait déjà comparu et que les réquisitions à son encontre n’avaient pas fait mention de cette « condamnation solidaire ».

Malgré une défense pêchue et argumentée et des garanties d’insertion – une attestation d’hébergement de sa compagne et un entretien d’embauche à venir –, C. a finalement écopé de 8 mois de prison ferme avec mandat de dépôt. Il dort ce soir à Villeneuve-lès-Maguelone.

A., qui a frôlé une lourde condamnation pour des faits dérisoires

Un profil atypique, et même bouleversant. Jeune homme précaire mais travailleur, engagé un temps à la Croix-Rouge et dans le travail social – par amour des gens, comme il l’a souvent répété –, A., qui habite Sommières, vivait ce samedi 7 décembre sa première manifestation de gilets jaunes, à Montpellier – il travaillait tous les week-ends jusqu’à présent. Emporté par la frénésie du moment, il s’est retrouvé accusé de dégradations – pour la porte du Polygone précédemment évoquée –, de participation à un groupement en vue de commettre dégradations et violences, et de violences contre personne dépositaire de l’autorité publique durant son interpellation – alors que le procès-verbal de la police indique de manière limpide que A., une fois immobilisé par la bac, ne s’est pas débattu, mais a été en revanche âprement défendu par ses camarades gilets jaunes, qui ont tout fait pour le libérer des griffes de la police. Si l’on considère cette saine réaction d’autodéfense populaire comme de la violence, elle n’était pas du fait de A.

A. manifeste parce qu’il est révolté par toute la violence sociale à l’œuvre dans notre société. Employé durant trois ans en EHPAD, il a finalement changé de corps de métier, écœuré par ce qu’il appelle « la maltraitance institutionnelle », à savoir la gestion purement comptable et déshumanisée de la vie de ces pauvres vieux abandonnés entre des murs miteux. A. n’a pas énormément bifurqué pour autant, puisqu’il s’occupe actuellement de son père polyhandicapé, avec qui il vit et qu’il soigne, nourrit et aide dans ses tâches quotidiennes. Mais avant cela, A. était engagé dans l’armée, avant d’être condamné pour désertion – mais dans des conditions qui témoignent d’autant plus de l’humanisme de ce jeune homme qui aura bientôt 30 ans.

Engagé en Côte d’Ivoire durant, notamment, la crise entre Laurent Gbagbo et Ouattara, A. est témoin d’un viol commis par quatre de ses supérieurs sur une fille de 14 ans, qu’il dénonce. Aussitôt, il est victime de menaces. « Ce qui se passe en Côte d’Ivoire reste en Côte d’Ivoire », lui explique-t-on. Pour échapper aux représailles, de plus en plus violentes, A. déserte, mais se constitue aussitôt prisonnier de son propre chef. Initialement condamné, il sera finalement gracié des 50 000€ d’amende qui lui étaient réclamés tandis que certains de ses anciens supérieurs seront enfin poursuivis et condamnés.

Malgré ce parcours et ce profil qui suscitent le respect et l’admiration, le procureur de la république a été particulièrement sévère avec A. « Si on veut manifester calmement, on va à Nîmes », a expliqué le représentant de l’État (même s’il n’y a plus de manifestations de gilets jaunes à Nîmes à cause de la répression préfectorale), alors que « si on veut être violent, on va à Montpellier ». Ce raisonnement binaire et somme toute arbitraire peut prêter à sourire, d’autant qu’il se trouve que la mère de A. est gilet jaune montpelliéraine, et que la manifestation du samedi 7 promettait d’être plus suivie à Montpellier qu’ailleurs dans la région, ce qui explique aisément pourquoi ce dernier a fait le déplacement depuis Sommières.

Pressé de reprendre le travail pour réparer ce qu’il a lui-même appelé ses « conneries », A. a heureusement échappé aux 9 mois de prison (5 ferme et 4 avec sursis) demandés par le parquet : il écope finalement d’une amende de 800€ avec sursis et d’une interdiction de manifester à Montpellier durant un an pour le seul fait de participation à un groupement, les autres étant abandonnés faute de preuves.

Les deux affaires suivantes reposaient sur des faits qui se sont déroulés durant la manifestation interprofessionnelle et inter-contestataires du 5 décembre, au cours de laquelle des profils assez inattendus, sans doute estomaqués par le climat de répression gratuite et démesurée qui s’est abattu sur Montpellier, ont essayé de résister comme ils pouvaient à cette violence terrible qui pleuvait de partout.

H., trois mois ferme pour un jet de projectile

Accusé de violence sur personne dépositaire de l’autorité publique, à savoir des policiers sur lesquels H. a reconnu avoir lancé des bouteilles vides qui n’ont touché personne, le prévenu a surtout eu la malchance d’être jugé alors qu’il était en état de récidive légale pour des faits assimilés, et ce alors que sa période de mise à l’épreuve (d’une durée de cinq ans, durant lesquels il s’était bien comporté), arrivait à son terme quatre jours seulement après l’audience. Sa peine aurait assurément été différente.

H. sera finalement condamné à trois mois de prison ferme sans mandat de dépôt (il passera donc devant un juge d’application des peines pour aménager la peine) notamment, a expliqué le procureur, pour lui permettre de continuer de s’occuper de son père, qui souffre d’un cancer.

M., 70h de TIG

M., un jeune étudiant boursier et salarié, qui manifestait, a-t-il expliqué, en solidarité avec le jeune homme qui s’est immolé par le feu à Lyon pour dénoncer la précarité étudiante, a répliqué de manière pulsionnelle après avoir reçu un palet de lacrymo en pleine tête. Il a envoyé une bouteille de bière en direction des policiers, sans en toucher aucun.

M., assumant son « moment d’égarement », a demandé à ce qu’on ne lui ferme pas les portes de la carrière qu’il rêve de poursuivre autour de la question de l’enfance maltraitée, un domaine sensible qui exige d’avoir un casier judiciaire vierge.

Le procureur, réceptif à ses arguments, à son parcours et son profil, a éprouvé un curieux dilemme. Comment condamner à une peine de travail d’intérêt général quelqu’un qui va en cours durant toute la semaine et travaille le week-end pour survivre ? M. n’a pas de temps libre ! Un beau compromis fut trouvé par l’avocat de la défense : M., qui ne dispose ni de ses semaines ni de ses week-ends pour se reposer, effectuera sa peine de travail forcé durant ses vacances scolaires !

Une solution acceptée par le juge, qui a condamné M. à 70h de TIG, sans inscription dans son casier judiciaire.

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