Montpellier : quand l’hommage à Jean Jaurès devient un enjeu de bataille mémorielle

Elian Barascud Publié le 31 juillet 2024 à 16:00
Une trentaine de militants de gauche étaient réunis sur l'esplanade Charles-de-Gaulles à Montpellier ce 31 juillet pour rendre hommage à Jean-Jaurès. ("Le Poing")

Il y a 110 ans, Jean Jaurès mourrait assassiné par l’extrême-droite à Paris, en raison de son refus de la guerre. A Montpellier, deux hommages ont eu lieu : d’un côté, le maire de la ville, le “socialiste” Michaël Delafosse, qui a appelé à la paix tout en approuvant les positions de Raphaël Glucksmann sur la guerre en Ukraine, et de l’autre, les militants de la Libre Pensée, organisation à laquelle appartenait Jaurès, qui ont rappelé la nécessité du pacifisme dans le contexte actuel

Souvent, l’héritage d’une figure publique après sa mort est l’objet de débats, de controverses, voire de récupération. On l’a vu récemment, lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris, où l’image de la communarde et anarchiste Louise Michel a été dépolitisée au profit d’une cérémonie “progressiste” dans la France réactionnaire de Macron, où elle aurait probablement été fichée S par le gouvernement.

Localement, c’est une autre bataille mémorielle qui s’est joué ce mercredi 31 juillet, 110 ans jours pour jours après la mort du député socialiste Jean Jaurès, fusillé par des nationalistes pour son refus obstiné de la guerre. Deux cérémonies d’hommages ont eu lieu à quelques dizaines de minutes et de mètres d’intervalles, dans deux ambiances radialement différentes.

Inversion des symboles

D’abord, celle officielle, organisée par la mairie, sur la Place Jean-Jaurès, devant la statue de ce dernier. A 9 h 30, un parterre d’écharpes tricolores se dressait en rang d’oignons pour écouter le discours de l’édile “socialiste” Michaël Delafosse, se targuant de mener “des combats de gauche dans la lignée de Jaurès”. “Jaurès, l’homme de paix”, a continué le maire de Montpellier, qui scandait “nous devons être des militants de la paix, il faut un cessez-le -feu en Palestine”. Le même maire qui soutient chaque année, dans l’héritage de la tradition socialiste du Clapas, la “journée de Jérusalem, capitale une et indivisible du peuple juif”, organisée par le Centre culturel juif Simone Veil. Une position contraire au droit international, incarnée par une journée à laquelle participe une association proposant des séjours auprès de l’armée israélienne.

Pour rappel, Michaël Delafosse avait déclaré qu’“il est mensonger de parler d’apartheid Israélien […] Tant que je serai maire, je serai aux côtés de Tibériade [ville jumelée avec Montpellier, ndlr] et d’Israël”. Lui et ses camarades “socialistes” organisent d’ailleurs systématiquement la répression envers les militants de BDS, une association de soutien au peuple palestinien dont deux militants seront convoqués au tribunal en décembre pour avoir versé de la gouache rouge sur la plaque célébrant le jumelage avec Tibériade à la maison des relations internationales.

L’inversion des symboles a ensuite continué, cette fois-ci sur la question de la “paix en Ukraine”, en félicitant Raphaël Glucksmann, sorti en tête à gauche aux élections européennes, d’être “fidèle aux idéaux” socialistes, alors que se dernier a récemment appelé à passer en “économie de guerre” pour défendre l’Ukraine. Vous avez dit pacifisme ? L’apothéose survint quand Michaël Delafosse s’est mis à dénoncer “l’ère de la post-vérité” et à se pavaner en fervent défenseur du“combat pour la vérité.

“Le pacifisme est plus que jamais d’actualité”


C’est cette hypocrisie qu’ont dénoncés quelques militants de gauche, (Ensemble, Parti de Gauche, Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples…) réunis plus tard dans la matinée sur l’esplanade Charles-de-Gaulle, à l’appel de l’association La Libre Pensée, dont Jaurès était membre, et dont le but est de veiller à l’application de la loi de séparation des Églises et de l’État.

“Ce n’est pas simplement une commémoration, le combat pour la paix est toujours d’actualité à l’heure ou Israël vient de bombarder l’Iran”, a précisé un membre de l’association, avant de dénoncer le fait qu’“un courant de la gauche tente de faire dire n’importe quoi à Jaurès. S’il a été assassiné, c’était pour son pacifisme et son internationalisme”. Eugénie Loison, présidente de la fédération héraultaise de la Libre Pensée, a embrayé : “Nous demandons un cessez-le-feu en Palestine et l’arrêt de la vente d’armes à Israël. Nous dénonçons également le soutien inconditionnel à l’Ukraine, qui n’est qu’un moyen pour entretenir la guerre.” Aucun nom n’a été cité, mais les tacles étaient bel et bien ciblés.

Au Poing, on n’aura pas cette délicatesse. Revenons à Delafosse, qui, à la fin de son discours, a déclaré, en se référant à la plume de Jaurès dans l’Humanité, qu’il “fallait défendre la presse, et de temps en temps offrir des journaux aux gens pour qu’ils lisent les éditos.” Très bonne idée ! Et pourquoi pas les nôtres, dans lesquels on dénonce le fait que le maire de Montpellier n’a de “socialiste” que l’étiquette ?

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