Montpellier : six ans après la mort au travail d’Adrien, sa famille continue de se battre contre son employeur

Elian Barascud Publié le 10 octobre 2023 à 18:04 (mis à jour le 1 décembre 2023 à 11:30)
Le 10 février 2017, Adrien Alcodori, ouvrier de 29 ans, décédait sur un chantier à Vias dans l’Hérault (DR)

Le 10 février 2017, Adrien Alcodori, jeune ouvrier de 29 ans, décédait sur un chantier à Vias, dans l’Hérault. Depuis, son employeur a été reconnu coupable « d’homicide involontaire ». Le 10 octobre, sa famille et des membres du collectif “Familles : stop à la mort au travail”, étaient au pôle social du tribunal de Montpellier pour obtenir des dommages et intérêts au titre de la faute inexcusable de l’employeur

Dans les couloirs du pôle social du tribunal de Montpellier, sa mère Christel Ricard affirme d’une voix chevrotante : « C’est un parcours du combattant. J’en suis à mon cinquième avocat. Mon fils est mort pour de l’argent, pour son patron. Ce qu’on fait aujourd’hui, ça ne le fera pas revenir, mais on est là pour s’opposer aux patrons qui abusent et qui ne respectent pas les normes de sécurité au travail. »

Une chute mortelle d’un chantier

C’était il y a maintenant plus de six ans. Adrien Alcodori, né le 21 août 1987 à Béziers, était un jeune manœuvre couvreur pour une entreprise de BTP de Vias. Le vendredi 10 février 2017, alors qu’il travaille à la réfection de la toiture des halles de Vias, il chute d’un échafaudage à roulettes, sans garde-corps, d’une hauteur de trois à quatre mètres. Le chef de chantier n’est pas là, et ses collègues sont tout aussi inexpérimentés que lui. Il meurt quelques minutes après être tombé.

« Il aimait son métier », confie sa maman. « Son patron l’appelait même le week-end pour travailler. Mais il me le disait souvent, il fallait qu’il pleure pour avoir du matériel de sécurité. Même le chef de chantier a porté plainte ensuite. »

L’enquête, menée par la gendarmerie d’Agde et par l’inspection du travail, conclut que l’employeur a failli à son obligation de protection envers son employé en ayant mis à disposition d’Adrien « un équipement de travail ne permettant pas de préserver sa sécurité ». Le 21 septembre 2020, trois ans et demi après l’accident du travail mortel d’Adrien, le tribunal correctionnel de Béziers a reconnu l’entreprise coupable « d’homicide involontaire par personne morale dans le cadre du travail ». Celle-ci a été condamnée au paiement d’une amende de 60 000 euros.

« Son patron continue »

Le 10 octobre, devant le Pôle social du tribunal de Montpellier, Christel Ricard est venue accompagné du frère et de la sœur d’Adrien, ainsi que de membres du collectif “Familles : stop à la mort au travail“, qui ont eux aussi perdu un proche dans le cadre de leur profession. Ils demandent des dommages et intérêts au titre de la « faute inexcusable de l’employeur ».

La société qui employait Adrien défend le délai de prescription (plus de deux ans avant la saisie d’une juridiction compétente), ce que l’avocat de Christel et ses enfant contestent devant le magistrat, lettres de la CPAM évoquant une possibilité de conciliation à l’appui. « Malgré une condamnation pénale, un rapport accablant de l’inspection du travail et des attestations d’anciens employés témoignant des problèmes de sécurité, l’employeur cherche à ne pas assumer les conséquences de ses actes », appuie l’avocat.

L’avocat de la société, quant à lui, commence par plaider l’incompétence du pôle social pour régler cette affaire, au profit du tribunal administratif. De plus, il ajoute que l’employeur ne reconnait pas le caractère de « faute inexcusable » : « A l’époque des faits, le Code de la sécurité sociale disposait qu’en cas d’accident du travail mortel, la caisse d’assurance maladie devait mener une enquête. Lorsqu’elle a été contactée, la CPAM n’a pas menée l’enquête. La société ne peut donc pas se faire imputer de faute inexcusable. »

La société propose 20 000 euros au titre de préjudice moral pour la mère d’Adrien et 11 000 pour ses deux grands-parents.

Le délibéré sera rendu le 28 novembre. « En attendant, son patron continue sans normes de sécurité », lâche Christel à la sortie.

Un collectif aux revendications nationales

Aux côtés de Christel, se tiennent Véronique Millot et Candice Carton, membres du bureau de l’association “Familles : stop à la mort au travail”. Elles portent un t-shirt représentant un de leur proche mort sur son lieu de travail. Pour Véronique, c’est son fils, Alban, et pour Candice, son frère, Cédric. Leur collectif est né à l’automne dernier, et s’est constitué en association au printemps, à la suite d’une marche blanche organisée à Paris en mémoire de leurs proches défunts. « On voulait briser le silence et pouvoir créer un espace d’échange et de soutien », explique Véronique.

En mars dernier, elles ont été reçues au ministère du travail pour demander des peines plus fortes aux patrons ne respectant pas les normes de sécurité, et une campagne de prévention, depuis diffusée à la radio et à la télévision. Des parlementaires français et européens, ainsi que l’Élysée, les ont également reçues.

Selon elles, la législation en vigueur n’est pas toujours appliquée : « Normalement, une entreprise reconnue coupable de mort au travail ne devrait plus pouvoir obtenir de marchés publics, ce qui n’est pas forcément le cas aujourd’hui », précisent les deux femmes. « C’est comme si les patrons avaient un permis de tuer. »

Elles revendiquent aussi l’embauche de plus d’inspecteurs du travail, selon elles pas toujours appliquée, le droit à une cellule psychologique dédiée, et une cellule d’accompagnement. « On ne sait pas comment faire, les procédures sont complètement différentes d’un dossier à l’autre », déplore Candice.

La semaine prochaine, le collectif retournera au minsitère du travail et au ministère de la justice pour porter ses revendications. « Notre objectif, c’est que les employeurs prennent les normes de sécurité en vigueur. Aujourd’hui, ce qui compte pour eux, c’est les délais des chantiers et les profits, ils faut qu’ils fassent des économies, et souvent, c’est au détriment de la sécurité », conclut Christel.

E. B.

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