Montpellier va-t-elle vibrer au rythme de la lutte contre la Françafrique ?
Décalé de juillet à octobre pour cause de pandémie et déplacé de Bordeaux à Montpellier, le sommet Afrique-France se place sous le signe du business et du spectacle. Une ode à la Françafrique dénoncée par plusieurs collectifs.
L’Elysée a finalement préféré la municipalité de Montpellier à celle de Bordeaux pour accueillir le sommet international Afrique-France, prévu du 7 au 9 octobre. Emmanuel Macron garde sans doute un bon souvenir de sa parade à la Paillade où il causait « séparatisme » avec Michaël Delafosse. Trop content de pouvoir déballer sa com’, le très droitier maire PS s’extasie : « la métropole vibre au rythme de l’Afrique ». Concrètement, des centaines de grands patrons et de « personnalités » culturelles, sportives et universitaires sont attendus au Corum, sans chef d’État a priori. Le média Jeune Afrique, bien informé, affirme que la conférence sur l’entrepreneuriat pourrait se coupler avec l’événement économique BPIFrance, autoproclamé « plus grand rassemblement business d’Europe ». En parallèle, des spectacles, expositions et conférences sur le thème de l’Afrique sont organisés à Montpellier depuis juin et jusqu’en novembre. De quoi « relancer l’économie locale notamment pour les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration » se réjouit France 3. Pour les insurrections, guerres, famines et migrations, on repassera.
L’inversion du monde
Organisé environ tous les trois ans successivement en France et en Afrique, la rencontre s’appelait « sommet France-Afrique » jusqu’en 2007. Gare à la liaison. « L’expression Françafrique, nous rappelle Le Monde diplomatique, aurait été imaginée par Félix Houphouët-Boigny, premier président de la Côte d’Ivoire (1960-1993). Ministre sous la IVe République [française], il fut l’une des plumes de la Constitution de la Ve et organisa, avec Charles de Gaulle, le calendrier de la décolonisation. Au lieu de l’indépendance immédiate, Houphouët-Boigny souhaitait une transition en douceur au sein de l’“ensemble français”. La contraction de France-Afrique désigne alors les liens étroits qui doivent perdurer après les indépendances dans l’intérêt des deux parties. Dans un livre paru en 1998 (La Françafrique, Stock, Paris), l’économiste français François-Xavier Verschave donne à l’expression le sens péjoratif qu’elle revêt aujourd’hui. Elle désigne désormais les liens, souvent secrets, entretenus par les classes dirigeantes françaises et africaines dans les domaines politique, économique ou militaire pour leurs profits exclusifs. Cultivant les réseaux discrets et les amitiés compradores, la “Françafrique” maintient les populations locales dans la pauvreté et la soumission à des régimes autocratiques. Depuis François Mitterrand (1981-1995), tous les présidents français affirment vouloir mettre un terme à ce système. » EmmanuelMacron, lui, promet cette fois-ci un « renouvellement générationnel ».
Manifestation le 9 octobre
Dès l’annonce de l’organisation du sommet, à Bordeaux déjà, des organisations ont protesté. À Montpellier, un appel à un contre-sommet a été lancé : « Sur le continent africain, la France exerce toujours une domination monétaire, économique, diplomatique et culturelle, poursuit des interventions militaires, et soutient des régimes qui bafouent les droits humains et empêchent l’émancipation des peuples. Le soutien au coup d’État militaire au Tchad en avril 2021 est un triste exemple de cette politique. Ainsi, ce sommet arrive dans un contexte géopolitique extrêmement tendu où le sentiment anti-français – qui est surtout un sentiment anti-Françafrique, c’est à dire un rejet de ces politiques –, grandit dans l’ensemble des pays d’Afrique francophone. Un fort rejet salutaire de l’impérialisme français a embrasé les populations dans les rues de Dakar, de Bamako, et d’ailleurs. »
Le Poing a rencontré trois signataires de cet appel : Valérie Cabanne, Irénée Karfazo Domboue, conteur burkinabé du comité Thomas Sankara de Montpellier et Emma Cailleau, de Survie, dont la revue documente la Françafrique depuis trente ans. Ils dénoncent « un sommet vitrine qui, derrière la mise avant de “personnalités”, ne promeut en fait qu’une société civile, celles des entreprises. » À cet égard, la participation de l’intellectuel camerounais Achille Mbembe, pourtant pourfendeur du « scandale néocolonial », fait grincer des dents… Les signataires dénoncent le cynisme de Michaël Delaffose, qui « en a profité pour lancer un appel à projets subventionnés pour des partenariats avec l’Afrique… » « Le gouvernement a réussi ce tour de force d’organiser à grand renfort d’effets d’annonce la continuité de la politique de la Françafrique sous couvert d’un discours de rupture en organisant un sommet Afrique-France qui nous divise ! » À côté de cet appel figure en effet la pétition du comité pour l’annulation du sommet. Consciente du peu de leviers juridiques à sa disposition, Charlotte Gehain, coordinatrice du projet, précise au Poing que « demander l’annulation, c’est effectuer une rupture plus nette et plus claire. Il ne doit plus y avoir de sommets de ce genre en France ! Mais nous participerons au contre-sommet. Nos initiatives ne s’opposent pas, elles se complètent. Plus il y en aura et mieux ce sera pour l’information et la connaissance de la politique de la France en Afrique. » Le comité organise d’ailleurs des conférences le 2 octobre à Grabels. De son côté, la Dynamique Unitaire Panafricaine a vivement dénoncé, à l’occasion de conférences, une rencontre internationale impérialiste, mais elle pourrait bien, selon nos informations, participer à des événements du sommet officiel.
Une initiative semble mettre tout le monde d’accord, en espérant que le coronavirus ne rebatte pas toutes les cartes : la tenue d’une manifestation contre la Françafrique le 9 octobre à Montpellier. Afrique-France, Françafrique, il ne suffit pas d’inverser le nom d’un continent et celui d’un pays pour que la politique change.
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