Mutinerie à la prison de Béziers : après les condamnations pénales, des sanctions disciplinaires

Le Poing Publié le 29 mars 2020 à 16:34
Intervention des ERIS à la prison de Gasquinoy, à Béziers, le 21 mars 2020

Depuis l’annonce du confinement, les détenus, inquiets par la gestion de la pandémie de covid-19, se sont mobilisés dans 44 centres pénitenciers français. Le 21 mars, les prisonniers de Gasquinoy, à Béziers, ont refusé de réintégrer leurs bâtiments cellulaires, sans violence pour reprendre les mots du procureur de Béziers. Les mutins ont pourtant été sévèrement condamnés, au pénal comme au disciplinaire.

Double-peine ?

Les équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS) sont rapidement intervenues, avec l’appui de policiers de Béziers, Sète et Montpellier. Les détenus ont essuyé des lancers de grenades de désencerclement, et l’un d’entre eux a été mis en joug avec un fusil un pompe par un surveillant pénitentiaire.


Au moins cinq mutins ont été placés en garde à vue, avant d’être pénalement condamnés dans la foulée : un an ferme pour la dégradation du grillage d’une cour de promenade, six mois ferme pour la même accusation, six mois ferme pour un crachat sur un agent des ERIS, six mois ferme pour le jet d’une bouteille en plastique qui n’a atteint personne, et trois mois avec sursis (nous ignorons la raison de cette dernière condamnation).

Selon nos informations, les mutins auraient aussi subi des sanctions disciplinaires : retrait de cinq mois de crédit de réduction de peine (CRP) pour les détenus qui ont escaladé les grillages, participé à des dégradations ou tenté de récupérer un colis (objets interdits en détention lancés depuis l’extérieur qui restent souvent coincés entre les grilles de la cour de promenade et le mur d’enceinte), et un mois de retrait pour ceux qui ont refusé de remonter en cellule ; en sachant que les CRP sont calculées de la manière suivante : trois mois accordés pour la première année de détention, deux mois pour les années suivantes, sept jours par mois pour les durées calculées sur une période inférieure à un an, sauf décision contraire prononcée par un juge d’application des peines en cas de « mauvaise conduite ».

L’administration pénitentiaire de Béziers ayant refusé de nous répondre, nous ne savons pas si certains des détenus condamnés au pénal font aussi partie de ceux qui ont subi des sanctions disciplinaires. Malgré le principe juridique non bis in idem« pas deux fois pour la même [chose] », selon lequel « l’action publique pour l’application de la peine s’éteint par […] la chose jugée » (article 6 du Code de procédure pénale) – le droit français n’interdit pas le cumul des condamnations pénales et disciplinaires, et les détenus peuvent donc être sanctionnés deux fois pour les mêmes faits. L’observatoire international des prisons note qu’ « en pratique, les sanctions infligées par la commission de discipline (présidée par le chef de l’établissement pénitentiaire), donnent lieu dans la quasi-totalité des cas à un retrait de CRP. Le juge de l’application des peines prend en effet pour argent comptant les affirmations de l’administration pénitentiaire ».

Une situation sanitaire catastrophique

On compterait pour le moment 471 prisonniers français en confinement sanitaire, 21 testés positifs au covid-19, et un mort ; et cinquante surveillants pénitentiaires testés positifs, 793 confinés chez eux pour suspicion d’infection, et un mort également. Dans la prison de Villeneuve-lès-Maguelone, un détenu a été testé positif et quinze seraient en confinement. L’absence de masques et de produits hygiéniques combinée à la surpopulation carcérale inquiète les prisonniers, qui redoutent d’être contaminés par les surveillants pénitentiaires, eux-mêmes anxieux. À titre d’exemple, la direction pénitentiaire interrégionale de Bordeaux a reçu récemment 6 000 masques, à répartir entre la vingtaine d’établissements pénitentiaires qu’elle gère. Un surveillant pénitentiaire de Gradignan, près de Bordeaux, a été renvoyé chez lui car sa direction l’accusait de contribuer à un climat anxiogène parce qu’il portait un masque.

La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a indiqué que « des masques arrivent pour les surveillants. 116 000 sont livrés dans les directions interrégionales et il existe la possibilité d’avoir accès à 100 000 autres ». Des mesures sanitaires jugées insuffisantes par Emmanuel Baudin, secrétaire général du syndicat majoritaire FO-Pénitentiaire : « Des chefs d’établissement gardent les masques dans des coffres […] La consigne est de donner un masque seulement aux agents en contact avec des détenus testés positifs. C’est du grand n’importe quoi ! » Notons toutefois que le syndicat ne brille pas par son attention portée aux détenus. Sur la centaine de communiqués publiés depuis le début du confinement, seul un fait mention de la santé des détenus, les autres étant pour la plupart outranciers : « Nos pensionnaires ne semblent pas comprendre la gravité de la situation et mettent la sécurité de tous en péril car ils se sentent en sécurité bien au chaud dans nos établissements » (FO-Pénitentiaire Rhône-Alpes-Auvergne), « Notre administration interdit le port du masque alors même que la population carcérale nous le réclame ! Même eux ont bien compris que s’ils doivent être contaminés, c’est par un membre du personnel ! […] Ils veulent des portables et de la drogue ! […] Il faut arrêter de se soucier du bien-être des détenus et s’occuper des surveillants ! » (FO-Pénitentiaire Béziers, deux jours après la mutinerie).

Des libérations au compte-goutte

Le 26 mars, les procureurs, en accord avec les juges d’application des peines, ont proposé à la Chancellerie d’accorder des remises et des crédits de peine supplémentaires aux détenus qui afficheront un « bon comportement » durant le confinement. Quelques jours auparavant, l’administration de la prison de Villeneuve-lès-Maguelone distribuait déjà ce document :

Cinq-mille libérations anticipées ont été annoncées, mais la ministre de la justice tempère leur portée : « Nous examinons au cas par cas les situations des personnes à deux mois de la fin de leur détention […] Ceux qui sont à six mois de leur fin de peine pourront voir cette peine transformée en travail d’intérêt général » Une autre condition à remplir pour pouvoir être libéré : posséder un logement pour pouvoir s’y confiner, alors que 20% des détenus déclarent ne pas avoir de logement stable à leur entrée en prison. La ministre s’oppose à une « mesure générale », et aucune libération n’est pour le moment prévue pour les détenus non-jugés, et donc présumés innocents (on en recensait 19 815 en 2018). D’après la ministre, « du fait d’une activité juridictionnelle réduite, il y a beaucoup moins d’entrées en détention. Depuis le début du confinement, il y a déjà 1 600 détenus en moins. »

Quand bien même les 5 000 libérations annoncées par la ministre deviendraient une réalité, les prisons françaises resteraient surpeuplées, puisqu’on comptait au 1er janvier 2020 dans les prisons françaises 70 651 détenus pour 61 080 places, soit un taux d’occupation de 116%. La santé des prisonniers est aussi la nôtre, entendons leur colère !

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