Nîmes : des féministes mobilisées contre les “Universités de la Vie” d’Alliance Vita

Le Poing Publié le 27 janvier 2025 à 13:05 (mis à jour le 27 janvier 2025 à 19:38)
La coordination féministe de Nîmes a manifesté contre la venue d'Alliance Vita ce samedi 25 janvier. (DR)

Entre le 20 janvier et le 3 février, Alliance Vita, une structure fondée par Christine Boutin et étroitement liée à la Manif Pour Tous, organise une série de conférences sur la “bioéthique” dans plusieurs villes en France, et notamment à Nîmes. Ce samedi 25 janvier, plusieurs dizaines de personnes ont manifesté dans les rues de la préfecture du Gard pour s’opposer à ces idées anti-IVG

“Être humain et le rester demain.” C’est le nom de la thématique 2025 de “l’Université de la vie”, une organisation qui propose une série de conférences autour de la bioéthique. Les 20 et 27 janvier, ainsi que le 3 février, ces “cycles de formation bioéthique” ont lieu à Nîmes et à Vergèze. En réponse, le milieu associatif se mobilise. La coordination féministe nîmoise (CNT 30, le Planning familial du Gard, la chorale féministe Les Simones, Nous toutes Nîmes , Solidaires Étudiant.es Nîmes, OST Nîmes) a organisé plusieurs rassemblements.

Astrid, membre de cette coordination nîmoise, indique : « Samedi 25 janvier, il y a eu des rassemblements féministes contre l’extrême droite dans plusieurs villes de France. A Nîmes, nous voulons profiter de l’occasion pour dénoncer Alliance VITA. Pas grand monde n’en parle en France, à part peut-être à Tours. Ça passe relativement sous silence, leur idéologie n’est pas explicite, ça ressemble presque à du développement personnel  alors que ce n’est pas le cas. »

En effet, les Universités de la vie existent depuis 2006 et reviennent chaque année avec une thématique différente. Cet événement est organisé par l’association Alliance VITA, fondée par Christine Boutin en 1993. 

On comprend ainsi le caractère partisan de ces conférences, étant donné les positions de Mme Boutin sur l’avortement, l’euthanasie, ou encore les droits des personnes LGBTQIA+.
Un certain nombre de membres d’Alliance VITA sont par ailleurs d’anciens acteurs de la Manif pour Tous. On peut citer Tugdual Derville, porte-parole d’Alliance Vita, également ancien porte-parole du Syndicat de la Famille, qui a succédé à la Manif pour Tous. En 2013, il a été l’un des porte-parole du mouvement, fermement opposé à la légalisation du mariage homosexuel en France. En 2021, il s’est aussi opposé aux lois bioéthiques pour l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. Lors de la 3e journée des Universités de la Vie, il présentera la conférence “Progresser en humanité”.


On trouvera aussi Caroline Roux, directrice générale adjointe d’Alliance VITA et directrice de VITA International, la branche internationale de l’association. Elle coordonne également les services d’aide et d’écoute notamment SOS Bébé, théoriquement destiné à soutenir les personnes confrontées à des situations difficiles liées à la grossesse, mais dans la réalité épinglés pour entrave à l’IVG.

Des conférences bioéthiques, prétextes pour une idéologie pro-vie 

Un ensemble de positionnements idéologiques également présent au sein d’Alliance VITA, mais plus insidieux. Concernant les précédentes Universités de la vie, Alliance Vita revendique “plus de 300 experts et témoins qui se sont succédé à la tribune de l’Université de la vie  : Médecins, universitaires, scientifiques, philosophes, professionnels du monde associatif et de l’entreprise ont ainsi partagé leur expérience, leur questionnement bioéthique et leur rencontre avec les personnes confrontées à la vulnérabilité”.

Des conférences ayant un caractère scientifique donc ? Eh bien il y a de quoi douter. Le fait que ces Universités de la vie soient organisées quasi-exclusivement dans des Églises et des lieux de cultes  (par exemple à la maison, Diocésaine de Nîmes et Notre Dame D’accueil à Vergèze) pose question. De même, en regardant le programme des conférences 2025, on s’aperçoit qu’une majorité des intervenants sont directement issus des rangs d’Alliance VITA, sans qualification particulière sur les sujets en question. Par exemple, c’est Blanche Streb, Directrice de la formation d’Alliance VITA, et non un spécialiste de l’épigénétique qui interviendra pour “Le génie de l’épigénétique”.

Au-delà de ces conférences, Alliance VITA communique autour d’un certain nombre de sujets sur son site. Les thématiques ? La fin de vie et la dépendance, la procréation, la famille et la société ainsi que sciences et transhumanisme.

Sur chacun de ces sujets, la communication mélange des éléments d’information d’apparente neutralité, à des prises de position partisanes. De quoi brouiller les pistes en somme. Une technique qui permet à Alliance VITA de faire ses messages tout en bénéficiant d’un bon référencement sur des termes clés, liés à l’IVG par exemple. C’est ce que relevait le Monde il y a déjà dix ans.

Pour Alliance VITA, on naît mère

Sur la notion d’IVG/maternité, dans une catégorie web appelée “Bioéthique et procréation”, on peut lire au bout de quelques lignes “L’idée que l’on peut dissocier à 100% sexualité et procréation n’est plus si évidente”. L’association va plus loin : “ Cet embryon est ‘ l’un des nôtres ‘, un être humain vivant, unique et irremplaçable. La science ne cesse de le confirmer. Les recherches médicales à encourager et financer sont celles qui ne portent pas atteinte à l’embryon”. Des propos ouvertement pro-vie, scientifiquement non-démontrés, sous couvert“d’humaniser la bioéthique”. Quelles études le prouvent ? Nous ne le sauront jamais car il faudrait pour cela qu’elles existent…

Ce parallèle entre pratique de l’IVG et “porter atteinte à l’embryon” est présenté de manière assez explicite et choquante dans une vidéo sur “l’avortement à l’épreuve du réel”. Au bout de quelques minutes, Caroline Roux, directrice générale adjointe d’Alliance VITA, tient ces propos sur la constitutionnalisation de l’IVG : « L’occasion d’inscrire en France un droit à l’avortement dans la Constitution. ‘Nulle femme ne doit être privée du droit à l’IVG’. Cette disposition apparaîtrait juste après l’interdiction de la peine de mort. Ce qui n’est pas sans interroger. »

Plus tard, elle affirme : « Ce qui est présenté comme un instrument de libération des femmes et de la sexualité peut se retourner contre elles et également piéger les hommes ». A croire que l’IVG serait un contre-Uno pour Alliance VITA…

L’évolution de la cellule familiale en prend aussi pour son grade : “Cette approche qui prétend libérer la sexualité de la procréation a finalement multiplié les cas de grossesses imprévues dans des contextes complexes et variés du fait de la fragilité des engagements de couple.”

Car pour Alliance VITA, l’avortement “suggéré voire imposé par les hommes”, n’est pas question du choix des femmes, ou bien l’est trop, ce n’est pas bien clair : « Nous observons combien de femmes ont intégré la notion de grossesse désirée ». Cette notion de choix des femmes n’est d’ailleurs évoquée nul part, qu’il s’agisse du site d’Alliance VITA ou de son site dédié aux femmes qui se posent des questions sur leur grossesse : SOS Bébés. Dans les articles qui présentent les difficultés relatives à la poursuite ou non d’une grossesse, il est question de la pression du compagnon, des pressions économiques ou de l’entourage au regard de sa situation, mais nul part du désir de la femme d’être mère…

Multipliant les formes de propagande, Alliance VITA propose ainsi un poème sur le regret lié à l’IVG, dont voici quelques vers : “Ces remords qui surgissent parfois / Les larmes viennent comme à chaque anniversaire /Je voudrais tant revenir en arrière / Changer d’avis, faire un choix différent
Oublier le jour où je lui ai dit non / Ton cœur se serre rien que d’imaginer /Le prénom qu’il aurait pu porter / Oui je lui parle comme à chaque anniversaire / Est-ce qu’il entend cette étrange prière ? / Oh ta Maman ne peut pas t’oublier / Elle apprend à revivre à se laisser consoler.”


Car pour Caroline Roux “De fait, il est des enfants non « attendus » qui sont, de façon inconsciente, profondément désirés”. Pour appuyer ses propos, l’association multiplie ainsi les témoignages positifs (invérifiables) de femmes qui ont fait face à une grossesse inattendue.

Dans le même esprit, on lit aussi : “Bien souvent, même si les conditions ne sont pas idéales, les femmes seraient prêtes à accueillir une grossesse”. Une information là encore invérifiable. Aucun chiffre pour l’appuyer. Enfin, dans un style philosophique :Certains avancent que ce type ‘ d’accidents ‘ pourrait être parfois le résultat d’un désir ambivalent de grossesse pour vérifier inconsciemment sa propre fécondité, en décalage avec un désir réel de maternité”. Certains qui ? On ne le saura, là encore, jamais.

Ce prosélytisme d’Alliance VITA de la grossesse à tout prix touche aussi les mineures. Nul part il n’est question d’une interrogation sur les conditions de poursuite d’une grossesse au vu de leur situation, SOS Bébés se contente de lister les aides disponibles. Et sur les femmes potentiellement enceinte d’un fœtus porteur de handicap, ne pas le garder c’est faire preuve d’eugénisme, pour l’association.

Il ne s’agit là que l’une des formes de propagande d’Alliance VITA, ici autour de la maternité/IVG, mais l’on retrouve ce genre de discours également pour l’opposition à l’euthanasie, mais aussi la PMA et GPA.

Ainsi, après une extrapolation dystopique autour de la loi bioéthique de 2021 (pour rappel, cette loi élargit l’accès à la PMA pour les couples de femmes et femmes seules), Alliance VITA tient à préciser : “Autrement dit l’État organise et finance la fabrication d’enfants sans père et instaure un droit au sperme pour toutes les femmes, sans partenaire masculin, privant l’enfant ainsi conçu de toute paternité”. Parce que pour Alliance Vita, la priorité des droit de l’enfant, c’est « celui de naître d’un homme et d’une femme engagés durablement l’un envers l’autre ». Eh oui, avoir des parents aimants avant tout, pour l’organisation, c’est secondaire…

Qui face à Alliance VITA ?

Ce qui est curieux, c’est que malgré tous ces éléments qui montrent un positionnement idéologique clair depuis de nombreuses années, l’association a su inspirer confiance à des organismes reconnu comme l’ONU. En effet,  Alliance VITA précise : “Depuis juin 2018, Alliance VITA est accréditée par l’ONU avec un statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social de l’ONU”. Effectivement, on retrouve trace de la mention de l’association dans des documents officiels récents (17 avril 2023) du Conseil économique et social de l’ONU

Samedi, le rassemblement a eu lieu sur la place de la Maison Carré et a donné lieu à la signature d’un communiqué contre l’organisation des Universités de la Vie, par la plupart des membres de la coordination féministes nîmoise, ainsi que la Gauche écosocialiste et la France Insoumise du Gard. Par ailleurs, une conférence de presse a été donnée lundi 27 janvier, au bar du Midi, afin d’informer un maximum de personnes de l’existence d’Alliance VITA.

Contacté, la mairie de Nîmes affirme n’avoir connaissance ni des Universités de la Vie ni de l’association Alliance VITA. Elle a indiqué que le diocèse gérait de manière indépendante les associations qu’il accueillait.

Le diocèse, par la voix de sa chargée de communication, est plus ambivalent et se veut indépendant vis-à-vis d’Alliance VITA : « Ils louent l’endroit et il faut savoir qu’on les accueille comme tout type de formation Bafa, infirmiers, architectes etc », ajoutant qu’il n’y a « pas de lien » avec l’association, et pas de volonté « d’être affiché ou de partager les points de vue d’Alliance VITA ».

La communicante du diocèse revendique par ailleurs l’absence de prosélytisme dans les activités données par le diocèse lui-même. Et sur le fait que ce prosélytisme ait lieu au sein du diocèse malgré tout, par le biais d’Alliance VITA, elle partage son expérience après avoir vu l’une de leurs conférences : « C’est plus des pistes de réflexion sur des grands thèmes. Des questions où chacun se fait son avis. Si vous allez sur le site du Vatican ou des évêques de France, ils restent très prudent en disant la vie est précieuse. L’Église se positionne plus en se disant ‘essayons de protéger la vie au maximum’. J’ai plutôt trouvé qu’ils aidaient les gens à prendre du recul. C’est comme l’avortement, c’est difficile de se dire qu’on est complètement pour ou contre. Je n’ai pas senti que c’était orienté ».

Bref, entre proximité idéologique et indépendance, la frontière est parfois imperceptible…

Manon Pichon

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