Paul-Valéry passe en Établissement Public Expérimental : vers la fin de la fac publique ?

Elian Barascud Publié le 2 octobre 2024 à 18:15
Illustration de Raoul Marker pour Le Poing.

En mai dernier, le conseil d’administration de l’Université Paul-Valéry (UPV) a acté sa transformation en établissement public expérimental (EPE). Elle se regroupe ainsi avec l’école nationale d’architecture de Montpellier et le centre international de musiques médiévales pour devenir l’Université de Montpellier-Paul Valéry. Ce type d’établissement, introduit par une ordonnance de 2018, autorise par exemple à déroger au Code de l’éducation. Les syndicats étudiants dénoncent « une dynamique nationale de mise en compétition des établissements d’enseignement supérieur »

Article issu du numéro 43 du Poing, “La rentrée des crasses”, toujours disponible sur notre boutique en ligne. Par Elian Barascud et Louise Trottier

21 voix pour, 4 contre et 6 abstentions. Le 21 mai dernier, l’Université Paul-Valéry (UPV) a acté, en conseil d’administration, son passage en « établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel expérimental » (EPE), dénommé « Université de Montpellier Paul-Valéry ». La nouvelle entité acte ainsi sa fusion avec l’École nationale supérieure d’architecture de Montpellier (ENSAM) et le centre international de musiques médiévales (CIMM).

Le MO.CO (Montpellier Contemporain, composé des beaux-arts et des centres d’exposition du MO.CO et de la Panacée), l’école supérieure d’art dramatique et l’institut chorégraphique national seront également des établissements montpelliérains associés. « Paul-Va » suit donc le chemin de sa voisine, l’Université de Montpellier, fusion des universités Montpellier 1 (médecine, droit, sport, économie) et Montpellier 2 (sciences, éducation), qui a adopté le statut d’établissement public expérimental en 2022.

 Fini la notion d’université publique ?

Ce changement est autorisé par une ordonnance gouvernementale de décembre 2018 relative à l’expérimentation de nouvelles formes de rapprochement, de regroupement ou de fusion des établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Ce texte, porté par Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur de 2017 à 2022 à qui l’on doit Parcoursup, permet aux universités de se regrouper ou de fusionner, notamment avec des écoles privées, comme à Cergy, ou avec d’autres centres de recherches, comme le centre national de la recherche scientifique (CNRS). Fini la notion « d’université publique », il est maintenant permis de déroger au Code de l’éducation, au statut du personnel, aux procédures de recrutement, etc.

L’ordonnance permet alors de réunir, au sein d’un même établissement, des universités et d’autres structures, dites “établissements composantes”. Au bout de deux ans, les EPE peuvent choisir de mettre fin au caractère expérimental de leurs statuts, qui peuvent être modifiés en conseil d’administration. L’argument avancé pour justifier ce processus de fusion est d’améliorer la place des universités dans le classement international de Shanghaï, qui note les universités en fonction du nombre d’articles scientifiques publiés dans des revues, ou du nombre de prix Nobel qui en sortent. On peut aussi citer l’argument de la mutualisation des services et ses « économies d’échelles » – terme pudique pour parler des suppressions de postes administratifs. Anne Fraïsse, présidente de l’UPV, semblait s’y résigner dès novembre 2023 en déclarant dans un entretien à Studyrama : « Nous semblons aller vers un désengagement de l’État dans le service public. »

Des millions pour en finir avec la résistance locale à la fusion

Pour comprendre cette transformation, il faut se pencher sur le projet Miranda (Montpellier Institute for Research-Creation on Art, culture and heritage in a New Digital Age, Institut de Montpellier de recherche-création sur l’art, la culture et le patrimoine à l’ère du numérique). Ce projet a été sélectionné l’an dernier à l’issue de la troisième vague de l’appel à projets France 2030 – un plan d’investissement lancé par Emmanuel Macron en 2021. D’abord tourné vers « la modernisation et la réindustrialisation du pays », France 2030 prévoit également un volet pour la culture et la création artistique jugées « indispensables à l’identité et la vitalité de notre pays ». C’est à ce titre que le projet Miranda a obtenu une aide d’État de 12,2 millions d’euros. L’ambition est de « structurer un pôle d’excellence en recherche-création dans les domaines des arts, de la culture et du patrimoine, ancré dans l’écosystème territorial et moteur de la démocratisation culturelle. »

Or ce « pôle d’excellence » comprend les mêmes composantes que l’actuel EPE de l’UPV. Ainsi les structures de « copilotage » du projet ont été formalisées et pérennisées dans le passage en EPE. Le gouvernement a longtemps puni Paul-Valéry pour n’avoir franchi le cap des fusions plus tôt : elle est l’université la moins bien dotée de France en budget par étudiant et présente chaque année un déficit de plusieurs millions (source : AEF info, novembre 2023 et février 2024). Ces 12 millions sont une bouffée d’oxygène salutaire pour la direction de l’Université. Difficile de ne pas avoir le sentiment qu’avec le projet Miranda, l’État a payé pour en finir avec la résistance locale à la fusion.

Miranda, un projet « vraiment pas anodin »

Lors de l’inauguration de Miranda, le 26 avril dernier, Anne Fraïsse a défendu un projet « pour la recherche intensive ». Ce n’est pas le point sur lequel a insisté la rectrice de Montpellier, Sophie Béjean : « au-delà de son aspect scientifique, le projet Miranda, aura un impact majeur sur le territoire […] en lien avec le conseil régional » précise-t-elle. « Il n’est pas anodin, qu’outre des acteurs de l’enseignement du supérieur, des acteurs culturels et des acteurs de la recherche, des acteurs économiques aient rejoint le projet, comme, par exemple Francetv, ce n’est vraiment pas anodin ».

Effectivement, Francetv, Pics studios et l’entreprise de jeu vidéo Epic Games ont apposé leur signature au projet Miranda, sans débourser un euro – ils sont du côté des bénéficiaires.

C’est par une ode à un projet de développement économique territorial que la rectrice a conclu son intervention « C’est à vous, maintenant, qu’il appartient de faire de ce beau projet Miranda un levier de transformation scientifique, universitaire, institutionnelle [un mois plus tard sera acté la transformation en EPE, ndlr], et, à Montpellier, un levier de transformation sociétale, culturelle mais aussi… économique .»

Concrètement, pour les chercheurs de l’Université, cette manne financière sera disponible sur projet, Miranda consistant en réalité lui-même en une déclinaison d’appels à projet. « C’est appel-à-projet-ception » souffle un thésard : « On gagne un appel à projet pour payer des gens à répondre à des appels à projets. Pour les équipes, il s’agit surtout de faire rentrer les projets de recherche dans les attendus imposés, parfois en ajoutant seulement des mots-clefs, parfois en se pliant aux attendus artistico-développementalistes. » Un horizon, qui, en interne, éveille la crainte d’une augmentation des formations pseudo-scientifiques comme le fameux “master quantique” que Le Poing avait contribué à mettre sur le devant de la scène médiatique en avril dernier.

Lorris, un élu du Syndicat de combat universitaire de Montpellier fait part de ses craintes quant à la qualité des enseignements : « Si les profs passent leur temps à remplir des appels à projet, on a peur qu’ils délaissent leurs étudiants. »

De Miranda à l’EPE, variation sur le même thème ?

Dans une interview pour News Tank Éducation & Recherche datée du 30 mai, la présidente de l’UPV, Anne Fraïsse, explique que le passage en EPE permet de donner de la visibilité à l’offre de formation commune : « Peu de gens savent que nous portons des masters communs avec le centre chorégraphique de Montpellier, et que nous partageons un doctorat avec l’école d’architecture. » Tout le monde n’a pas le même avis sur la déclinaison locale des formations, c’est « le début de la casse du cadrage national des diplômes universitaires », selon un enseignant-chercheur que nous avons interrogé : « Chaque université va pouvoir proposer son diplôme local dans une logique de compétition. »

C’est aussi la position des syndicats Solidaires, qui dénoncent dans un communiqué, le 7 mai 2024, « une réorganisation territoriale qui remet en cause le principe-même du service public d’enseignement et de recherche. […] La loi LRU (ou loi Pécresse) de 2007 a soumis les universités à l’austérité budgétaire pour les pousser vers la recherche de financements alternatifs ; les PIA, programmes d’investissements d’avenir […], ont introduit une logique de financement sur appel à projet pour la politique de site, l’équipement et la politique scientifique. […] Les EPE parachèvent cette logique ».

Quel avenir pour l’Université Paul-Valéry ?

Les syndicats étudiants redoutent que la sortie du Code de l’éducation permette à l’Université, en déficit, d’augmenter les frais d’inscription. Une crainte démentie par Anne Fraïsse dans l’entretien donné à News Tank Éducation & Recherche : « Pour augmenter les frais d’inscription, il faudrait que l’ensemble de l’Université Paul-Valéry le décide brusquement puis change les statuts à la majorité absolue. Mais à ce moment-là, évidemment, tout est possible. D’autant que même le Code de l’éducation n’est pas une protection puisque c’est le gouvernement qui fixe les frais d’inscription. […] Néanmoins, dans un sens, je comprends la lutte politique. L’EPE est quelque chose que le gouvernement propose dans le cadre de la loi sur l’autonomie contre laquelle je me suis battue et je continue à me battre de toute façon. Notre EPE ne rentre pas dans l’idée d’une différenciation entre les universités, avec d’un côté les grandes universités de recherche et les autres. ».

En somme, il faudrait donc croire que l’EPE, c’est mal, sauf à l’UPV ? Une chercheuse syndiquée au Syndicat national de la recherche scientifique – Fédération Syndicale Unitaire (au courant Front unique) nous lâche : « La présidente de l’UPV peut bien dire ce qu’elle veut, le gouvernement avance ses pions. En décembre, Emmanuel Macron et Sylvie Retailleau [encore ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche à l’heure où nous écrivons ces lignes, ndlr] ont annoncé un nouveau plan préparant une “loi autonomie 2”, visant enfoncer le clou des fusions et prévoyant la caporalisation des CNRS et la destruction du statut de chercheur. En janvier, Bruno Le Maire [ministre démissionnaire de l’Économie] annonçait 900 millions d’euros de coupe rien que pour l’enseignement supérieur et la recherche. Ce ne sont pas les appels à projets grappillés ici ou là qui vont pallier l’austérité, il faudra trouver de l’argent. Accepter ou non l’EPE, c’est un faux dilemme, la question est entièrement nationale. Les dirigeants syndicaux, locaux comme nationaux, ont fermé les yeux sur cet aspect car partout les responsables sont impliqués dans les fusions. »

Le 7 décembre 2023 à l’Elysée, lors d’une réception sur l’avenir de la recherche, Emmanuel Macron, s’adressant aux chercheurs et présidents d’établissement, ironisait : « Je n’ai pas dit qu’on allait réformer les statuts, je vous invite à les changer vous-même » ! La présidence de l’UPV s’y collera-t-elle bientôt ? Quoiqu’il en soit, l’Université va être confrontée à une nouvelle année de disette, même si la loi autonomie a été suspendue par la dissolution, le budget qui s’annonce, s’il vient à passer, actera la reconduction d’une bonne cure d’austérité.

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