“Quantique du Leadership capacitant et vibratoire” : un master de l’université Paul-Valéry pose questions

Elian Barascud Publié le 18 avril 2024 à 20:13 (mis à jour le 24 avril 2024 à 09:38)
La faculté Paul-Valéry, à Montpellier. (Image d'illustration)

L’université Paul-Valéry à Montpellier propose un Master 2 en sciences de l’éducation et de la formation qui vise à former au « Leadership vibratoire dans une approche de pédagogie quantique, afin d’œuvrer en pleine conscience ». Il a suscité de vives réactions sur Twitter et interroge quant à son intitulé, tiré du développement personnel

L’intitulé aurait pu sortir du programme d’un salon du bien-être que Le Poing a pris l’habitude de chroniquer ces derniers temps. Et bien non. L’Université Paul-Valéry s’est doté d’un master 2 en sciences de l’éducation et de la formation, validé par l’État, avec la présentation suivante : “Vers une bienvivance et une approche du care et quantique du Leadership capacitant et vibratoire : même à distance, We care, We can.” Cette formation à distance vise à former saux fonctions d’accompagnement d’autrui (managers, directeurs, formateur, accompagnant, cadres en santé), mais aussi des “chief happiness officer, happyculteur, responsable démarche qualité de la ressource humaine”.

La nouvelle a déjà beaucoup fait réagir sur X (ex-Twitter) Un des élus du SCUM, syndicat de combat universitaire de Montpellier, majoritaire à Paul-Valéry, a d’ailleurs commenté, non sans ironie “Qui sait ? Les méthodes de leadership vibratoire nous permettrons peut-être de gagner quantiquement des appels à projet !” En réalité, le master a “déjà dix ans” selon sa créatrice, Bénédicte Gendron (il a été crée en 2011), et ce sont les ouvertures prochaines des campagnes d’inscriptions qui l’a fait ressurgir dans l’actualité.

Le vocable employé dans la plaquette de présentation de la formation, à mi chemin entre le développement personnel et la novlangue de DRH, peut interroger : “Le Master deuxième année (M2) Responsable d’évaluation, de formation et d’encadrement propose à distance et via une « Trans-Formation » en collaboration à distance un approfondissement des connaissances personnelles et professionnelles qui vise à se « transformer » et s’émanciper de croyances limitantes pour agir dans le cadre de fonctions à responsabilités dans l’encadrement, l’accompagnement et la formation, avec résilience, créativité pour œuvrer à un encadrement bienveillant et capacitant.”

Retraite “socratique”

Plus étonnant encore, la plaquette de formation du Master 2 parle d’une “retraite socratique” soit, selon les termes employés “un retour sur Soi, via la formation ACT (Acceptance and Commitment Training) Formation à l’Acceptation et l’Engagement dans le cadre d’une immersion et exposition à la culture orientale (soit en Thaïlande ou si pour des raisons sanitaires et limitation de la mobilité internationale, probablement au Centre Lerab Ling, Occitanie, France).”

Le centre Lerab Ling est un centre bouddhiste rattaché à l’école Nyingmapa, axée chamanisme et tantrisme ésotérique. Il est situé près de Lodève, dans l’Hérault. Il a été sous le feu des projecteurs en septembre 2022 à la suite de la publication du livre “Bouddhisme, la loi du silence”, qui accusait le directeur de ce centre de viols et d’emprise mentale.

“Pleine conscience”

Ce master, en enseignement à distance, est dirigé par Bénédicte Gendron, enseignante-chercheuse à l’université Paul-Valéry en science de l’éducation et de la formation. Cette universitaire fait partie du LIRDEF (Laboratoire inter-disciplinaire de recherche en didactique, éducation et formation) et étudie notamment le “capital émotionnel” (approche économique inspirée des travaux de Pierre Bourdieu rapportée aux compétences émotionnelles, ce qui lui a valu un Prix reçu à l’Académie Française en 2006) ou “l’éducation à la pleine conscience et pratique de l’attention et à l’approche ACT- Acceptance and Commitment Training-IMP’ACT “. Elle dirige un autre master 2 Paul Valéry, nommé “Leadership Capacitant & Mindful et Capital Émotionnel”, où des demandeurs d’emploi qui voudraient s’y inscrire peuvent concourir à une aide de la Région, qui accorde un soutien financier à Paul-Valéry. Lui aussi prévoit des temps de regroupements dans le Le centre Lerab Ling situé près de Lodève.

Elle a notamment dirigé une thèse sur l’apprentissage de la dégustation du vin “en pleine conscience”, qui évoque le concept de biodynamie, rattachée au travail de Rudolph Steiner, créateur de l’anthroposophie, doctrine pseudo-scientifique controversée et citée par la Mission Interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires en raison de ses possibles “risques pour les populations”.

Selon sa fiche d’enseignante sur le site Internet de l’Université Paul-Valéry, elle participe à S.E.V.E, l’association monté par Frédéric Lenoir, spécialiste des religions et écrivain spirituel orienté sur le développement personnel, qui a écrit un livre nommé « Comment Jésus est devenu Dieu ». Cette association a par ailleurs gagné un appel à projet de la Ville de Montpellier pour aller promouvoir la laïcité dans les quartiers.

Contactée, Bénédicte Gendron décrit sa formation : “Toute fonction d’encadrement, d’accompagnement suppose d’avoir développé un capital émotionnel pour être en mesure d’accompagner autrui. Pour cela, cela suppose d’avoir fait un travail personnel d’introspection au sens socratique (« connais-toi toi-même), pour savoir réguler ses émotions, avoir travaillé ses croyances limitantes et ses règles dysfonctionnelles afin de pouvoir accompagner, encadrer, manager, former dans la bienveillance. Cela s’inscrit dans une approche de la psychologie « positive » dans le sens on travaille sur la ressource de la personne ce qui est là, et ce qu’elle a et ce qu’elle est”

Au téléphone, elle raconte, à propos du terme “quantique” présent dans l’intitulé de sa formation : “Le master s’appuie sur les résultats des travaux des sciences dures sur le quantique ; précisément ou particulièrement, les effets quantiques dans les processus neuronaux sur la conscience, dans une approche atomiste et holistique. On a juste pas les outils au sens cartésien du terme pour le mesurer, mais on est tous intriqués avec les plantes, les animaux, ce n’est pas un hasard si nous sommes tous arrivés dans l’univers, il y a une connexion vibratoire entre nous.”

Elle cite notamment les travaux du médecin américain Jon Kabat-Zinn, qui a popularisé le concept et la pratique de “méditation en pleine conscience” en s’inspirant d’enseignements bouddhistes et en les intégrant dans le courant de la médecine intégrative. L’analyse systématique de recherches sur cette pratique montre des effets faibles à modérés sur le stress psychologique, (anxiété, dépression, douleur) tandis que sur d’autres troubles, aucun effet significatif n’est démontré. Aujourd’hui, cette pratique présente des risques de dérives sectaires selon le rapport 2021 de la Mission Interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.

“C’est vrai que quand on a monté le master il y a dix ans, le terme de pleine conscience faisait peur, et posait question parmi les collègues. Puis ils ont vu mes diplômes, mes contrats de recherches, ma formation médicale, et aujourd’hui, ça va”, assure l’intéressée. Concernant les moments de regroupement au centre Lerab Ling, elle affirme : “Nous y sommes déjà allé et nous y retournerons. Nous avons une salle dédiée et ne suivons pas l’enseignement là-bas,. Notre retraite socratique est laïque et pas spirituelle.”

L’université Paul-Valéry étant fermée cette semaine pour cause de vacances scolaires, nous n’avons pas pu avoir de réponses à nos sollicitations du côté de l’administration.

EDIT le 20 avril : ajout de la mention de la thèse dirigée par Bénédicte Gendron.

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