«Peoples’ Platform» : des rencontres internationalistes au mois de février en Autriche
Le Poing sera présent aux rencontres internationales Peoples’ Platform Europe, où des mouvements progressistes, radicaux, révolutionnaires et anti-système en Europe se retrouveront à Vienne en Autriche du 14 au 16 février prochain. Nous republions donc une interview du média Contre-Attaque, mise en ligne le 10 janvier, avec l’Académie de la Modernité Démocratique, un des initiateurs de la rencontre.
Dans un appel à « unir nos forces, à coordonner nos luttes et à créer une vision commune du monde que nous construirons ensemble », Peoples’ Platform Europe invite les mouvements progressistes, radicaux, révolutionnaires et anti-système en Europe à se retrouver à Vienne en Autriche du 14 au 16 février prochain.
Cette « plateforme populaire » et internationaliste est à l’initiative de l’Académie de la Modernité Démocratique, en coopération avec Women Weaving the Future et le Centre de la jeunesse pour les relations publiques Ronahî. Entretien de décryptage.
Peux-tu nous présenter le projet de Peoples’ Platform Europe (« plateforme des peuples » en fr.) ? Son origine et ses objectifs ?
En tant qu’Académie de la Modernité Démocratique, nous avons beaucoup de contacts et échanges avec diverses organisations progressistes en Europe, qu’elles soient écologistes, féministes, antifascistes, engagées pour la justice sociale, ou autre. Lors de cet événement, nous souhaitons rassembler ces forces démocratiques, si vivantes et actives dans l’espace européen, parce que nous voyons un besoin urgent de renforcer nos luttes et d’unir nos forces à l’échelle internationale. Les personnes engagées dans les luttes sociales le voient tous les jours : d’une part, la crise de la modernité capitaliste dans laquelle nous vivons devient de plus en plus visible et violente, partout dans le monde y compris en Europe.
Une intensification de l’exploitation, une répression et militarisation accrues, la montée du fascisme, des discours racistes qui se normalisent, légitimant des politiques antimigratoires inhumaines, une violence patriarcale qui prend de nouvelles formes, la crise écologique et la destruction du vivant. Ces évolutions font partie d’un même système, et nous pouvons les observer dans toute l’Europe.
Face à ces crises, ce régime des multicides, nous avons vu naître des mouvements sociaux massifs ; mais qui de toute évidence, ne sont pas suffisamment forts pour construire une véritable alternative à ce système destructeur. Beaucoup de celles et ceux qui sont engagé·es dans les luttes politiques, qui mènent des actions et organisent un travail éducatif au quotidien, connaissent ce sentiment d’impuissance face à l’immensité des problèmes que nous devons résoudre. Et pourtant, cette situation n’est pas désespérée. Ces dernières années nous avons connu des exemples dans de nombreux endroits en Europe et dans le monde où il a été possible de construire avec succès des organisations puissantes et un contre-pouvoir par le bas. Nous souhaitons créer un espace pour échanger sur nos diverses luttes, partager nos constats et analyses, discuter de nos limites et faiblesses, et trouver ensemble des solutions pour renforcer nos organisations, et nous unir au-delà des frontières.
Quelles sont les organisations à l’initiative de ce projet ?
À l’initiative de la plate-forme est l’Académie de la modernité démocratique (Academy of Democratic modernity, ADM). L’ADM est surtout engagée dans un travail d’éducation populaire : nous organisons des formations, des rencontres, des échanges avec des personnes, collectifs, organisations qui sont engagées dans les luttes sociales pour comprendre les problèmes auxquels nous faisons face, et pour développer des perspectives pour en sortir. Nous disposons aussi d’un site internet pour offrir une plateforme à différentes luttes dans le monde, et les relier entre elles.
Le paradigme qui guide notre travail est celui de la modernité démocratique, développé par le mouvement de libération du Kurdistan. Cette perspective nous amène à identifier les forces démocratiques dans toute leur diversité, pour les relier entre elles et créer des réseaux d’échange et de solidarité. Ce faisant, nous visons à dépasser les clivages idéologiques et à mettre en avant nos valeurs et nos intérêts communs.
Nous voulons faire prendre conscience de l’interconnexion historique et globale de toutes les luttes contre l’exploitation et l’oppression afin d’aider nos luttes dans le monde entier à gagner en force. Seule la mise en relation du travail local avec une perspective globale peut ouvrir une voie pour sortir de la crise. L’organisation de cette plateforme est donc une suite logique de la mission que nous poursuivons.
Un programme prévisionnel autour de 9 workshops (ateliers), ainsi que beaucoup de contenu et de réflexions, sont déjà en ligne. Cela a demandé un gros travail en amont. Comment s’est construite cette organisation autour de ces 9 thématiques ?
Exactement, c’est un grand travail de préparation, d’autant plus que nous nous attendons à environ 500 participant·es. Les workshops formeront le cœur de cette rencontre et vont se dérouler sur deux demi-journées. Les thématiques représentent les enjeux principaux de notre ère : l’organisation des femmes et de la jeunesse, la lutte contre le fascisme et pour la défense de la terre, l’antimilitarisme et l’autogestion de la société… pour en nommer quelques unes.
Des discussions auront lieu en parallèle, avant de revenir en assemblée pour partager les résultats de chaque workshop. Nous souhaitions dès le départ intégrer toutes les organisations dans la construction des contenus et de la méthodologie de la plateforme. Donc sur ces derniers mois, au fur et à mesure que des participant·es et des organisations se disaient intéressées par la thématique d’un workshop, nous les avons intégrées dans un groupe de travail en ligne, pour mener des discussions de fonds sur les questions que nous souhaitons aborder, et sur la manière dont nous voulons structurer les débats. Cela permet de partir sur des bases communes, de produire des analyses collectives avant même la rencontre physique, et de faire en sorte que toutes s’investissent activement dans l’événement et se reconnaissent dedans, plutôt que de se sentir comme des invité·es.
Un atelier intitulé « Democratic Media – the battle for hearts and minds » (Média Démocratique – la bataille pour les cœurs et les esprits) sera notamment consacré aux médias et aux systèmes d’information alternatifs. Quel sens donnez vous au « Média démocratique » et quel rôle attribuez vous aux médias alternatifs ?
Comme le dit le titre de l’atelier, nous constatons qu’une bataille féroce dans le domaine de la pensée et des émotions est en cours. Les guerres d’aujourd’hui ne se déroulent pas seulement sur des champs de bataille physiques, mais se jouent aussi sur la manière dont nous percevons le monde, comment nous l’interprétons – c’est une lutte pour la vérité, on pourrait dire.
Les différentes élites au pouvoir luttent pour l’hégémonie des esprits. C’est pourquoi nous devons contrer leurs récits, qui sont enfermés dans la logique du système capitaliste et du pouvoir. Les médias démocratiques sont ceux qui ramènent les idées de gauche et du socialisme démocratique dans le courant dominant de la société, et qui sont organisés à partir de la base. La base pour cela doit être la société civile politique – les femmes, les jeunes, les travailleur-euses et les opprimé-es – et leur recherche de la vérité et d’une vie juste et bonne.
La communication a toujours été un outil essentiel pour exercer le pouvoir d’une part, et, d’autre part, pour y résister. Le travail médiatique est essentiel pour recruter, partager et diffuser des informations et pour mobiliser des soutiens – qu’ils se servent du stylo, de la presse écrite, de la radio, de la télévision, de l’internet… la récente révolution numérique et le rôle de l’industrie capitaliste des médias dans la formation du discours public nous placent devant d’importants défis en tant que mouvements sociaux, que ce soit sur les plans techniques, méthodologiques ou moraux.
Néanmoins, il existe un grand nombre de journalistes radicaux, de journaux, de stations de radio libres et de nouvelles technologies de médias numériques, ainsi qu’une longue tradition de médias alternatifs sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour une renaissance indispensable des médias démocratiques au service de l’auto-organisation de la société. Ce workshop se penchera entre autre sur la question de savoir comment renforcer le travail des médias démocratiques et comment leur permettre de créer un terrain propice aux mouvements sociaux.
Que peut-on espérer à l’issue de ces 3 jours de rencontres ? Peut on déjà imaginer une suite à ce projet ?
Déjà, nous espérons que cette rencontre en elle-même va directement nourrir les luttes, en analyses, en perspectives d’avenir, et surtout : en confiance en notre force collective, ce qui est absolument indispensable pour mener nos combats avec espoir et courage. Mais nous espérons aussi plus concrètement contribuer à tisser un réseau de luttes.
Tout comme le système hégémonique est organisé dans ses institutions internationales, nous devons aussi nous organiser. Ce sera la tâche de chaque workshop de proposer des pas pratiques vers une connexion internationale des luttes, à l’échelle européenne dans ce cadre-ci. Nous espérons que cela permettra de construire des liens pérennes qui répondent aux besoins concrets des organisations participantes.
Il y a plusieurs appels en cours autour de l’événement, veux-tu nous les rappeler ?
Oui, il y a notamment deux appels importants, toujours en cours : l’un adressé aux artistes, l’autre aux interprètes.
Nous invitons tout d’abord des artistes à contribuer à une exposition collective de différentes affiches ou œuvres d’art qui représentent l’essence de l’internationalisme et de notre lutte collective, en s’inspirant des thèmes qui seront abordés lors de la conférence.
Tous les processus révolutionnaires ont été façonnés par le regard des artistes. Les affiches emblématiques, comme celles de l’art soviétique, les appels internationaux à la résistance espagnole contre le fascisme, les différentes Internationales des femmes et la Tricontinentale, ont servi d’expressions symboliques de ces moments clés de l’histoire.
Nous comprenons la politique comme la création d’une nouvelle vie et nous ne pouvons imaginer cette vie sans l’art, qui transcende les limites d’un esprit purement technique et analytique. Nous espérons aussi par cet appel capter la diversité des imaginaires créatifs en Europe et pouvoir les représenter à travers cette exposition.
Très important pour rendre les échanges à l’international possibles sont les interprètes. Nous recherchons des interprètes maîtrisant l’anglais, l’allemand, l’espagnol, l’italien et le français. Le travail d’interprètes est essentiel pour permettre à tout le monde de participer pleinement aux discussions, sans être inhibé par des barrières de langue.
Pour les personnes qui feraient cela pour la première fois, nous avons organisé une formation, animée par des interprètes expérimentés, pour apprendre quelques techniques et des conseils essentiels pour une traduction efficace. Mais même pour celles et ceux qui ont loupé ce moment de formation : il n’est pas trop tard pour s’inscrire.
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