Petite dérive psycho-géographique montpelliéraine une veille de confinement

Le Poing Publié le 17 mars 2020 à 14:44 (mis à jour le 17 mars 2020 à 15:02)

Lundi 16 mars. Jour 2 de ma quarantaine auto-gérée de journaliste gonzo paranoïaque. Macron doit parler ce soir pour indiquer de nouvelles mesures en vue de lutter contre l’épidémie de COVID-19.
Depuis un peu plus de 24h, plusieurs informations circulent, plus ou moins vérifiée, sur un potentiel confinement à l’italienne avec l’armée à chaque coin de rue. Quitte à devoir passer les X prochains jours enfermé dans 15 mètres carrés à matraquer le clavier d’un ordinateur avec ses doigts, autant faire une dernière balade pour contempler Montpellier la veille de ce qui pourrait ressembler à un début d’apocalypse.

Et pour cause, le silence inhabituel dans les rues, le temps grisâtre et froid et la mine grave des gens -quand on peut la distinguer sous leurs masques, écharpes ou manteau- laissent penser que les témoins de Jehovah avaient peut être finalement raison : L’Armagedon est proche.
Il manquerait qu’un morceau de Black Metal norvégien pour sublimer la scène et se faire transporter directement aux portes des enfers. En plus, ça ferait fuir les témoins de Jehovah…

Arrivée à la gare, des policiers sont en train de clôturer le périmètre à la rubalise. Epidémie de coronavirus ? Non, colis piégé selon nos confrères de Midi Libre. En tout cas, l’agent de police qui est venu me postillonner dessus -outrepassant la distance de sécurité sanitaire- pour me dire qu’il n’était « pas photogénique » n’avait pas l’air très disposé à me fournir plus d’informations.

Même la voix robotique de la SNCF dit qu’il vaut mieux rester chez soi, et pourtant, il y a encore des gens dans la rue. Certes, les trams sont beaucoup plus vides qu’à l’accoutumée pour une fin d’après midi, et malgré le calme apparent des rues, on perçoit une certaine atmosphère d’agitation.

Même la Place de la Comédie, symbole de la Californie à la française,lieu où l’on aime cultiver la vie en extérieur, que ce soit à la terrasse d’un café hors de prix ou des marches de l’opéra avec une canette, parait encore plus anéantie que lors d’une fin de samedi après midi gilets-jaunesque. Nouvelle frontière psycho-géographique qui délimite physiquement la lutte des classes sur la place :Une file d’attente hallucinante, séparée d’un mètre entre chaque individu, devant le Monoprix. Un peu plus loin, des précaires font la manche et personne n’ose les approcher.Les programmes du Gaumont, évidemment fermé, collent eux aussi avec l’actualité. “Mourir peut attendre’... Ouais j’avoue, ça serait cool…


Dans la rue de la Loge, des gens marchent d’un pas pressé, sacs de courses blindés de provisions, tandis que d’autres partent déjà se confiner, Duvet et sac à dos équipés. Une femme charge un bazar inouï à l’arrière d’une vieille 206 en hurlant au téléphone qu’elle ne voulait absolument pas passer son confinement avec son interlocuteur.

Il y a aussi cet homme qui marche devant moi en tendant son bras devant lui quand il croise un personne avec un masque, pour, je suppose, maintenir une distance de sécurité…que je lui tousserai sur les doigts moi !

Ma dérive psycho-géographique finit par me ramener Place Candole. Le cul posé sur le béton, je discute avec un riverain, en proie au doute en jetant ses poubelles. « comment on va faire si la récupération des déchets n’est plus assurée ? Les salariés qui font ça sont les premiers touché, mais si ils arrêtent ça augmente le risque sanitaire non ? » Bonne question.

Sur le chemin du retour, mon pied s’attrape par mégarde sur un masque FFP 3 qui jonchait le sol. Ouais, une fin de samedi après midi gilets-jaunesque, le lien social en moins. Parce que force est de constater que la parano est ambiante ; les gens n’osent même plus tendre leur paquet de tabac à quelqu’un qui leur demande une clope, se contournent, s’évitent. Pourtant, comme moi, ils viennent sans doute profiter de leur dernière bouffée d’air hors de chez eux.

Il n’y a que ce couple la bas au loin qui semble s’en foutre royalement, se roulant des patins et se souriant niaisement, main dans la main. Bordel, une lueur de lien social, j’en pleurerai presque tant la tension est palpable malgré la désertion du centre ville.

A 20h, Macron a parlé. Déçu que son scribe qui retranscrit ses propos à l’écrit ne nous offre pas une nouvelle salve de memes, ma dérive continue dans mon 15m carré, la tête remplie de questions. « Mais alors, on est confiné un peu, mais pas trop ? On est vraiment en guerre ? Vais-je être obligé de prétexter de TRAVAILLER juste pour pouvoir sortir de chez moi sans prendre 135 euros d’amende comme au Karnaval des Gueux ? »
Et puis merde, un journaliste gonzo paranoïaque peut très bien « télé-travailler » comme ils disent… Il faut que je me casse pour mettre au vert, ce 15m2 va finir de me rendre dingue.

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