Quelles perspectives autour du nouvel appel au retour des gilets jaunes le 7 janvier ?
Un nouveau « retour des gilets jaunes » le samedi 7 janvier tourne en ce moment sur les réseaux sociaux, avec notamment un appel à se rendre à Paris pour y manifester alors que l’agenda social de ce début d’année 2023 s’annonce déjà chargé. Quelles perspectives derrière cette énième tentative ?
Un appel à se rendre à Paris le samedi 7 janvier pour y manifester tourne en ce moment dans les réseaux de ce qu’il reste du mouvement des gilets jaunes. Sont mises en avant la hausse des prix, mais aussi la réforme des retraites, l’utilisation quasi-industrielle des 49-3 par la majorité macroniste et la crise de l’énergie.
Relayé sur Facebook par plusieurs groupes importants de gilets jaunes, l’événement ne se présente pour le moment ni comme un raz de marée ni comme un flop intégral. Contacté par le service CheckNews de Libération, un des comptes anonymes actifs autour de cet appel, Lucas Déter, mise sur une mobilisation parisienne qui rassemblerait entre quelques centaines et deux mille personnes.
Pour les quatre ans du mouvement, le 19 novembre 2022, la manif parisienne avait fait se déplacer des personnes de province pour rassembler quelques centaines de protestataires. Un appel national à manifester contre la vie chère le 10 décembre à Montpellier, relayé par des réseaux de gilets jaunes et par l’assemblée montpelliéraine contre la vie chère, avait réuni un petit millier de participants.
Le fait est que les hashtag #GiletsJaunes7janvier et #GiletsJaunes sont en tendance en ce moment sur Twitter, signe d’un certain succès.
Alors qu’attendre de cette nouvelle mobilisation ? Il paraît évident qu’on ne parle pas ici d’un retour des gilets jaunes en tant que grand mouvement populaire, quasi-insurrectionnel (précisons que l’insurrection peut avoir des aspects tout à fait pacifiques, elle s’épanouie dans la diversité des stratégies), ayant impliqué des millions de personnes, bien souvent fraîchement débarquées dans le mouvement social et issues de cette France d’en bas qui n’en peut plus.
Faut-il pour autant en conclure que l’appel du samedi 7 janvier est totalement vain ? Il est évident que la manifestation, qu’on se regroupe dans une seule ville ou que les appels soient décentralisés et multiples, ne peut faire office de stratégie pour un mouvement social. D’autant que de plus en plus de gens en prennent conscience : nos gouvernements successifs ne sont pas du tout dans une optique de négociation, il ne s’agit pas pour nous de discuter mais d’imposer nos revendications.
Maintenant il nous faut analyser les positionnements de la Macronie ces dernières années. Le mantra gouvernemental type « nous ne céderons rien face à la rue », et qui n’est pas propre à la République en Marche mais à tous les partis passés au pouvoir ces vingt dernières années, n’est pas si ferme et absolu que ce que l’on aimerais bien qu’on pense.
La réforme des retraites, présentée dès le premier quinquennat Macron comme LA mesure phare, n’est dans les faits toujours pas passée. Le mouvement social n’en est pas le seul responsable, mais il a eu son rôle à jouer là dedans. Si la Macronie était prête à adopter le texte malgré le mouvement des gilets jaunes encore tout frais et les grèves importantes, la perspective de devoir imposer des restrictions à la population en lien avec la pandémie de Covid s’est cumulée à des années 2018-2019-2020 socialement très tendues, pour inciter le gouvernement à mettre son projet entre parenthèses. Le prétexte « démocratique » (nous ne pouvons imposer une telle réforme dans ce contexte de crise sanitaire) n’était pour la Macronie qu’une bonne manière de ne pas perdre la face, de ne pas admettre sa peur d’une nouvelle explosion sociale, d’entretenir la croyance que les gouvernements ne céderont rien face à la rue. Restons lucides : il ne s’agit que d’une croyance. Le fait est que l’augmentation de la prime d’activité arrachée à l’hiver 2018 par les gilets jaunes, si elle paraît bien ridicule en face de nos aspirations, peut aller jusqu’à cent euros par mois (soit 6 000 euros sur cinq ans), et concerne entre 3,8 et 5 millions de foyers en France.
Rappelons nous. Chaque manifestation débordante, chaque mobilisation sociale qui touche de nouvelles personnes, aussi modeste soit elle, et bien que rien ne doive nous dispenser d’élaborer des stratégies gagnantes pour le mouvement social, envoie le message suivant à nos gouvernements : « Votre cauchemar de l’hiver 2018 peut revenir, sous d’autres formes évidemment, à n’importe quel moment. Faîtes attention à ce que vous faîtes. » Et le message passe, soyons-en certains. Depuis quelques années, il ne se passe pas six mois sans que les renseignements territoriaux ne confessent des craintes quant à une nouvelle explosion sociale de grande ampleur. A la sortie des confinements ils craignaient l’effet « premier de corvée ». Quand le pass sanitaire a été mis en vigueur, ils craignaient une rebuffade spectaculaire. Pendant les grèves dans les raffineries, ils craignaient une vague de mouvements sociaux capables de paralyser le pays.
La presse bourgeoise s’inquiète en parlant de l’appel du 7 janvier de certaines réactions sur les réseaux sociaux, du type « ça ne sert plus à rien, bientôt les armes vont être de sortie. » (Faites attention à ce que vous écrivez sur les réseaux, c’est suffisant pour vous valoir un passage au tribunal en 2022.) Le même type de réactions s’était fait entendre sur de nombreux points de blocages dans l’Hérault dans la semaine entre le 1er et le 8 décembre 2018, d’une manière pas si marginale que ça, et acceptée comme rentrant dans le spectre du légitime malgré les désaccords parmi les autres GJ. Sans que la chose ne se concrétise. Voyons-y plutôt le signe d’une très forte sensation de verrouillage de notre système économique et politique, associée à une détermination très marquée. Mais ce n’est peut être pas un hasard si les services de l’État ont tout récemment lancé une vaste campagne incitant la population à rendre les armes à feu non déclarées, avant des mesures plus coercitives. Une manière de s’assurer le fameux monopole de la violence légitime. Différents sondages d’opinion menés ces dernières années ont fait état de millions de personnes prêtes à descendre dans la rue.
En plus de la mobilisation parisienne des gilets jaunes de ce samedi 7 janvier (plus d’infos sur les points de rendez-vous dans la capitale dans les jours qui précéderont la manif, ici par exemple.), certains syndicats appellent aussi à la mobilisation, comme Solidaires 21 qui organise un défilé le 7 janvier à Dijon « contre la réforme des retraites, la stagnation des revenus, l’inflation et la réforme de l’assurance-chômage ». Ou la FSU qui «appelle l’ensemble des agent-es concourant au service public d’éducation à une journée d’action le 17 janvier» pour «les salaires et la retraite». Dans un contexte où les luttes entreprises par entreprises pour des augmentations de salaires n’ont pas été aussi nombreuses depuis des décennies. Une grande marche contre la réforme des retraites aura lieu à Paris le 21 janvier à l’appel de la coalition de gauche NUPES, alors que l’intersyndicale se prépare de son côté à mobiliser largement après les annonces du gouvernement sur la réforme des retraites attendues courant janvier.
Bref, si personne ne sait pour quand sera le grand retour de la lutte des classes, le moment semble mal choisi pour se laisser aller au désespoir, à la blase ou au chacun pour soi.
Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :