« Réclame ta paye » : comment forcer un patron à rendre l’argent qu’il doit à un employé ?

Le Poing Publié le 30 avril 2018 à 16:45 (mis à jour le 27 février 2019 à 12:28)

Heures supplémentaires non payées, primes « oubliées », pourboires monopolisés, salaire partiellement versé… : de nombreux patrons exploitent allègrement leurs employés sans se soucier du code du travail. Face à l’inertie des centrales syndicales et à la lenteur des tribunaux, des syndicalistes de l’IWW de Montréal (Industrial Workers of the World, syndicat d’action directe) mènent depuis 2008 des campagnes « réclame ta paye ». L’objectif est simple : forcer un patron à rendre l’argent qu’il doit à un employé. Cette campagne, ouverte aux non-syndiqués, s’adresse surtout aux employés qui ne sont plus sur leurs lieux de travail. Les succès remportés par l’IWW de Montréal sont une invitation à reproduire cette campagne en France et partout ailleurs. Le Poing vous livre une méthode qui a fait ses preuves pour faire payer les patrons.

Organisez-vous

Avant d’entamer la campagne, il faut regrouper un certain nombre de personnes motivées pour mener ces campagnes. Pour vous familiariser avec la méthode, vous pouvez commencer par l’appliquer pour vos proches. Si vous souhaitez ensuite ouvrir la campagne au public, prévoyez un moyen pour que l’on puisse vous contacter : site internet, page facebook, numéro de téléphone, email… Si vous êtes nombreux, tant mieux, mais si vous n’êtes pas beaucoup, ce n’est pas dramatique : à Montréal, ils étaient quatre à prendre en charge ces campagnes en 2008 et ils sont maintenant plusieurs dizaines.

Rencontrez l’employé lésé

Le processus commence en rencontrant directement l’employé lésé. S’il n’est pas prêt à se déplacer pour entamer les démarches, cela ne sert à rien de se mobiliser pour lui. Vous n’êtes ni un tribunal administratif, ni un service après-vente : si une personne est lourde et qu’elle ne veut pas s’impliquer dans le processus, refusez de la prendre en charge. Il faut aussi être clair sur les risques encourus : ce n’est pas une campagne légaliste et des poursuites judiciaires sont donc possibles, même s’ils sont relativement faibles étant donné que le patron qui doit de l’argent est en situation d’illégalité.

Récupérez un maximum d’informations sur l’entreprise

La première rencontre avec la personne lésée doit être l’occasion de noter un maximum d’informations sur son environnement professionnel : qui est son employeur ? Depuis combien de temps travaille-t-elle dans cette entreprise ? Quelle relation a-t-elle avec ses collègues et avec son patron ? Combien réclame-t-elle au patron ? Depuis quand le patron lui doit-il de l’argent ? A-t-elle noté ses horaires ? Ses collègues sont-ils plutôt hostiles ou favorables au patron ? L’entreprise est-elle une franchise ? Etc. Les informations recueillies peuvent être enrichies par une brève enquête sur l’entreprise, notamment en consultant ses résultats économiques (le site societe.com recense des données sur les entreprises et les associations françaises). Brosser un portrait global de l’entreprise permet d’affiner les stratégies à adopter pour faire pression sur l’employeur. S’il s’agit, par exemple, d’une entreprise présente sur les réseaux sociaux qui fait très attention à son image publique, il sera facile de la faire plier. Mais s’il s’agit d’un employeur lié à la mafia, alors il faudra prendre de nombreuses précautions.

Établissez une stratégie

Une fois toutes les informations recueillies, présentez à la personne lésée les différentes modalités d’actions possibles (disponibles ci-dessous), du plus soft au plus offensif. C’est elle qui décide en dernier ressort jusqu’où est-elle prête à aller car c’est elle qui subira le plus les conséquences de la campagne, qui peut parfois être longue. Une fois la stratégie adoptée, mettez-vous d’accord avec la personne sur un calendrier d’exécution des actions et tentez de prévoir les réactions du patron. Vous pouvez ensuite passer à l’action.

Les étapes ci-dessous vont du plus soft au plus offensif. Avec l’accord de l’employé lésé, passez à l’étape supérieure tant que le patron n’a pas rendu l’argent. S’il n’est pas présent sur le lieu de travail, ciblez un supérieur hiérarchique, de préférence celui qui gère les salariés et le versement des salaires.

1) Demandez à l’employé lésé d’appeler son patron

Pour commencer, demandez à l’employé lésé d’appeler son patron pour lui réclamer l’argent. Environ un tiers des campagnes « réclame ta paye » menées par l’IWW de Montréal ont été résolues dès cette première étape.

2) Demandez à l’employé d’écrire une lettre « officielle » et remettez-la en main propre au patron

Demandez à l’employé lésé de rédiger une lettre au ton officiel qui retrace la chronologie des faits, expose clairement le caractère illégal de la situation et indique le montant dû (il paraît légitime d’y ajouter les heures passées à faire cette campagne). Co-signez la lettre au nom de votre syndicat ou de votre groupe et remettez-la en main-propre au patron en présence de l’employé lésé. Prévenez le patron que s’il n’a pas payé au bout d’un certain délai – que vous aurez préalablement défini avec la personne lésée – alors vous serez dans l’obligation de donner suite à ce dossier. Adoptez une attitude ferme, sans vous montrer outrancier ou injurieux.

3) Appelez le patron au nom du syndicat ou du groupe

Demandez à un autre membre de votre syndicat ou de votre groupe d’appeler le patron en adoptant une nouvelle fois un ton officiel : « Bonjour, je m’appelle X, je suis délégué syndical à l’IWW (ou membre du groupe X) et je vous appelle parce que notre service d’aide aux personnes non syndiquées qui se sont faites lésées par leur ancien employeur nous a contacté. Quand comptez-vous régulariser votre situation ? » Prévenez une nouvelle fois le patron que s’il n’a pas payé au bout d’un certain délai, alors les démarches se poursuivront.

4) Allez dans le bureau du patron à plusieurs

Les syndicalistes de l’IWW de Montréal appellent cette étape : « march on the boss ». Cela consiste à aller voir directement le patron dans son bureau ou sur son lieu de travail à cinq ou six, en plus de l’employé lésé, et à lui demander directement l’argent dû. Ce n’est pas inutile d’avoir quelques costauds dans la bande. S’il ne veut pas payer immédiatement, donnez-lui un délai.

5) Saturez les téléphones de l’entreprise

Montez un groupe de plusieurs dizaines de personnes et appelez chacun votre tour l’entreprise à un créneau horaire qui pénalise le plus l’entreprise. Rédigez un texte à l’avance, dont le contenu se résume à réclamer l’argent, et récitez-le au téléphone. Vous pouvez même faire un appel public en diffusant le texte et le numéro de téléphone pour y associer un maximum de monde, mais vous prenez le risque que certaines personnes prennent des libertés et se mettent à insulter et à menacer l’employeur, ce qui pourrait entrainer des poursuites judiciaires. Il est aussi préférable que chaque personne n’appelle qu’une seule fois pour éviter de se faire accuser de harcèlement.

6) Collez des affiches près de l’entreprise ou du domicile du patron

Imprimez des affiches arborant le logo de l’entreprise, son nom, une inscription « VOLEUR », et collez-la près de l’entreprise. Vous pouvez aussi remplacer le logo de l’entreprise par une photo du patron et collez l’affiche près de son domicile, mais mieux vaut alors ne pas la signer.

7) Occupez l’entreprise

Imprimez des tracts pour dénoncer la situation de l’employé lésé et diffusez-les directement devant et dans l’entreprise. Restez suffisament de temps pour que cela pénalise l’activité économique. Soyez imaginatif : si c’est un restaurant, vous pouvez tous vous asseoir et commander… l’argent que le patron doit. Si c’est un bureau, vous pouvez chanter pour empêcher les gens de travailler, etc. Ne faites pas d’actions démesurément illégales et n’insultez pas le patron pour éviter des poursuites. Pensez à filmer la scène pour mettre la pression sur le patron, et diffusez-la sur les réseaux sociaux si vous jugez que c’est opportun. Le patron vous fera sûrement remarquer que vous n’avez pas le droit d’occuper l’entreprise, et vous pourrez lui rétorquer qu’il n’a pas le droit de voler ses employés.

Les syndicalistes de l’IWW de Montréal ont constaté que les patrons qui ont subi cette campagne ont généralement cédé dès la troisième étape. Mais si l’employeur refuse toujours de verser l’argent après l’occupation de l’entreprise, alors imaginez de nouvelles actions.

« Réclame ton respect »

Depuis le 8 mars 2018, l’IWW de Montréal mène des campagnes similaires à « réclame ta paye » mais qui ciblent les employés victimes d’intimidation, de harcèlement, de sexisme, de racisme, d’homophobie, de transphobie ou de toute oppression. Intitulées « réclame ton respect », ces campagnes s’adressent davantage à des personnes qui ne sont plus sur leurs lieux de travail. Vous ne pourrez pas vous occuper des cas les plus graves qui relèvent de la justice. La marche à suivre est relativement similaire que pour une campagne « réclame ta paye », à la différence que l’objectif reste à définir avec la personne harcelée : faire virer le boss ou un collègue, demander une indemnité, lui mettre la honte, etc.

Article issu d’une discussion qui s’est tenue en visio-conférence avec deux syndicalistes de l’IWW de Montréal le 21 avril 2018 à Montpellier au local associatif Le Barricade à l’initiative du collectif Working Class Hérault

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