Référendum d’initiative citoyenne : impasse ou horizon des luttes ?

Le Poing Publié le 9 janvier 2019 à 18:49 (mis à jour le 25 février 2019 à 17:35)

Depuis le début du mouvement des gilets jaunes, beaucoup d’encre a coulé autour du référendum d’initiative citoyenne (RIC). Cette mesure vise selon ses promoteurs à approfondir la démocratie en permettant aux citoyens de proposer un référendum décisionnel pour statuer sur une proposition de loi, l’abrogation d’une loi votée par le parlement, une modification de la constitution ou la révocation d’un élu. Concrètement, il s’agirait de recueillir un certain nombre de signatures pour proposer un référendum et ainsi renforcer le pouvoir des citoyens qui ne dépendraient plus uniquement de leurs élus pour écrire et modifier la loi. Un récent sondage Odoxa indique que 78% des Français seraient favorables à la mise en place d’un tel outil référendaire.

La question du RIC est également au centre des débats qui agitent les gilets jaunes montpelliérains. Le 18 décembre, un débat organisé dans le local alternatif « La Carmagnole » a rassemblé une centaine de personnes sur le thème du RIC. Animé par Logan, intervenant au nom de la Ligue des Droits de l’Homme, cette conférence a débouché sur la mise en place, le 3 janvier, d’un atelier d’écriture. Celui-ci s’est tenu en présence d’une petite centaine de gilets jaunes qui ont travaillé durant cinq heures à partir de documents notamment écrits par Logan et retraçant l’histoire du référendum d’initiative citoyenne (ou populaire) et de ses formes prises dans différents pays. Une proposition de loi constitutionnelle a été rédigée et transmise au député François Ruffin (La France Insoumise), qui avait appelé les gilets jaunes à lui faire parvenir de telles propositions. La proposition de loi a été déposée à l’assemblée nationale le lundi 7 janvier, et sera normalement débattue à partir du 24 février. Selon Logan, les chances de voir cette loi adoptée sont infimes : les députés de la majorité voteront très probablement en bloc contre un tel projet ou le videront de son contenu. Mais dans les faits, quelles seraient les conséquences de l’instauration du RIC ?

Des RIC existent déjà à l’étranger

Pour y voir plus clair, intéressons-nous à quelques exemples internationaux. Plusieurs États ont en effet adopté cet outil sous des formes et avec des résultats très variés. Étudier ces cas implique de se plonger dans des questions juridiques aussi passionnantes que complexes à saisir. En Suisse, exemple souvent cité, les votations ont lieu quatre dimanches par an, les citoyens se prononçant alors sur un ensemble de questions. Les modalités du vote dépendent de la nature de la question posée (s’agit-il de modifier la constitution, ou d’abroger une loi ?) Les votes récents incluent l’opposition à la construction des minarets, le rejet de l’augmentation des salaires minimums, de l’instauration d’un revenu de base ou de l’abolition des privilèges fiscaux des millionnaires. On comprend ainsi mieux pourquoi la droite et l’extrême-droite présentent la Suisse comme un modèle de démocratie directe !

À l’inverse, dans l’Oregon – État fédéré des États-Unis d’Amérique – le RIC a été massivement employé au cours du vingtième siècle pour obtenir un certain nombre d’acquis sociaux : élection des sénateurs au suffrage universel direct en 1908, droit de vote des femmes et journée de huit heures en 1912, ou encore interdiction de la peine de mort en 1914. D’autres États utilisent un tel référendum jusqu’à notre époque, par exemple pour mettre en place une taxe carbone dans l’État de Washington, ou pour limiter le droit à l’avortement en Virginie-Occidentale et en Alabama.

Un RIC existe aussi en Italie, mais seulement pour abroger des lois, et il nécessite la mobilisation préalable d’au moins 500 000 citoyens, puis une participation de la majorité du corps électoral. La cour constitutionnelle a peu à peu limité les possibilités de RIC en excluant toute modification de la constitution ainsi que de la fiscalité, des traités internationaux et en sacralisant « l’équilibre institutionnel ». Le référendum est donc extrêmement limité et encadré.

En Croatie, seule la constitution peut être modifiée par le biais d’un RIC. Ainsi, en 2013, un RIC a permis d’inscrire dans la constitution croate l’interdiction du mariage pour les personnes du même sexe. Mais avec moins de 38% de participation au référendum, la légitimité de ce choix fait débat… De nombreux autres pays – qu’il serait fastidieux de lister – ont aussi défini leur propre version de l’outil référendaire d’initiative citoyenne. Il y a donc autant de RIC différents qu’il y a d’États l’ayant adopté.

De quel RIC parlons-nous ?

Comme nous le voyons, la nature de cet outil qu’est le RIC dépend de son cadre légal. S’agit-il de proposer des lois, ou seulement d’en abroger ? La constitution peut-elle être modifiée ? Les parlementaires réécrivent-ils et censurent-ils les propositions formulées par un RIC ? Quelle proportion des citoyens (et du corps électoral) donne sa validité à un tel référendum ? Qui se charge d’informer les citoyens sur les enjeux de leur vote : une commission tirée au sort (comme en Irlande), les médias, les parlementaires, une institution spécialisée… ? Et finalement, le résultat d’un RIC peut-il être remis en cause par des parlementaires, ou par un second référendum ? Ces questions, loin d’être accessoires, définissent en profondeur ce qu’est le RIC. Il peut s’agir d’une procédure rare et extrêmement limitée ou d’une nouvelle habitude démocratique redéfinissant la manière dont les citoyens influencent la loi.

Le RIC pose en fait la question de la mobilisation collective et du pouvoir populaire. Dans la plupart des cas, la mise en place d’un tel référendum nécessite un certain nombre de signatures initiales : si une pétition peut obtenir un large succès à l’ère des réseaux sociaux (pensons par exemple à l’Affaire du siècle, se proposant de traîner l’État français devant la justice pour négligence face au changement climatique), les corps intermédiaires constituent le principal relais de ce genre d’initiative. Syndicats, associations et partis pourraient ainsi servir d’initiateurs ou de porte-voix pour déclencher un RIC et mobiliser l’électorat.

Le poids électoral de l’extrême-droite dans la société française et le conservatisme des institutions laissent aussi imaginer un scénario où les citoyens seraient appelés aux urnes pour voter sur des thématiques sociétales réactionnaires. Plus question de toucher aux attributions de l’État, mais par contre, les consultations se multiplieraient sur les thématiques favorites de l’extrême droite : menus halal, sort des réfugiés, burkini, ou encore mariage pour tous, surveillance généralisée des « subversifs », etc. Une perspective peu réjouissante qu’il est cependant possible de contrer. Ainsi, le projet de loi écrit par des gilets jaunes montpelliérains interdit de revenir sur des droits et libertés fondamentales. Ce garde-fou empêcherait le retour de la torture ou de l’esclavage. Mais le droit à la propriété privée étant également un droit fondamental, il serait impossible de nationaliser des entreprises par le biais d’un RIC. La question est donc particulièrement complexe et laisse de nombreuses portes ouvertes.

Réforme ou révolution ?

Coupons court aux fantasmes : cet outil n’est en rien une mesure révolutionnaire. Pour être précis, il ne l’est plus. Le panorama explicatif produit par les militants montpelliérains à l’occasion de l’atelier des gilets jaunes rappelle à juste titre que « le référendum d’initiative populaire a été inventé durant la Révolution française, par Condorcet. À l’époque, on ne parle pas de référendum d’initiative populaire ou citoyenne, mais de droit d’initiative populaire. Ce mécanisme de démocratie directe figure dans le projet de Constitution des Girondins présenté à la Convention nationale les 15 et 16 février 1793. Condorcet s’est inspiré à la fois de la Commune de Paris de 1789 lorsque les districts du tiers-états parisiens se sont unis et organisés en démocratie directe d’assemblée. »

La situation politique a depuis évolué. Dans le cadre d’un régime représentatif comme celui de la cinquième république, la démocratie directe est incompatible avec les institutions. Le RIC ne remettrait pas profondément en cause ce système mais donnerait aux citoyens (et plus encore aux corps intermédiaires) un outil décisionnel supplémentaire. Ce qui conduirait éventuellement à renforcer et stabiliser le régime en désarmant la contestation. Dans un scénario pessimiste, on imagine aisément des campagnes médiatiques orientées poussant les citoyens à voter rapidement pour un projet gouvernemental, par exemple en utilisant un chantage à la sécurité : si vous manifestez contre ce projet soumis au vote, vous perdrez votre travail, vous serez à la merci des terroristes, vous serez anti-démocrates, etc.

Au-delà des sujets sociétaux, un référendum peut-il permettre de transformer la société en profondeur ? Les exemples récents de référendums convoqués par des gouvernements nous laissent dubitatifs. En 2005, la consultation portant sur la ratification de la constitution européenne est un désaveu pour le gouvernement, mais cette constitution est pourtant adoptée dans ses grandes lignes par la suite. En 2015, le vote massif du peuple grec contre les politiques d’austérité n’empêche pas la mise en place de nouvelles mesures extrêmement dures. Quant au Brexit, certains évoquent déjà un nouveau référendum. Le risque serait le même dans le cadre d’un RIC : vider les propositions de loi de leur contenu ou les saboter par la suite pour donner l’illusion du choix aux citoyens.

Alors, le RIC, est-ce un outil de transformation sociale ou un nouveau leurre permettant d’enterrer un mouvement en lui promettant la lune ? Derrière ces questions naïves auxquelles nous laisserons à nos lecteurs le soin de répondre apparaissent des préoccupations plus vastes et bien plus politiques, touchant à la nature même du pouvoir et à la définition d’une démocratie à conquérir et inventer.

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