Révoltes, répression, élections… : rencontre avec “les Algériens de Montpellier pour la démocratie”

Le Poing Publié le 23 décembre 2019 à 13:30
Le 19 décembre, le conservateur Abdelmadjid Tebboune, ancien ministre du président démissionnaire Abdelaziz Bouteflika, a été élu président de la République algérienne, avec 60% d’abstention. Ce boycott électoral historique s’inscrit dans la continuité du Hirak, ce mouvement de contestation qui secoue l’Algérie depuis février 2019, d’abord pour empêcher, avec succès, la candidature de Bouteflika à un cinquième mandat présidentiel, et, d’une manière plus générale, pour « la chute du système ». Les militants du collectif des Algériens de Montpellier pour la démocratie (CAMDA), créé en février pour soutenir le Hirak, étaient présents ce dimanche 22 décembre sur la place de la Comédie pour informer la population. Le Poing est allé discuter avec eux pour en savoir plus.

L’aspiration d’un changement radical

Notre interlocuteur nous fait un bref résumé de la situation politique algérienne depuis février : « Ça fait des années que la situation politique dégénère, un certain clan s’accapare tous les pouvoirs en Algérie et il n’y a pas de réelle démocratie. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est quand Bouteflika s’est présenté pour briguer un cinquième mandat alors qu’il est impotent. Les gens ont pris ça comme une insulte. Les Algériens veulent une vraie démocratie. » Il considère que les récentes élections organisées par le gouvernement provisoire – en l’occurrence l’État-major – n’ont aucune légitimité et sont incapables d’apporter le changement réclamé par les millions d’Algériennes et d’Algériens descendus dans la rue. « Ça ne change rien du tout ces élections, les Algériens veulent un changement radical. L’actuel président est mal élu. Il donne un chiffre de 40% de participation, mais des observateurs donnent des chiffres bien plus bas, notamment en Kabylie. Ce nouveau président, Abdelmadjid Tebboune, est un ancien du Front de Libération National [parti algérien qui a obtenu l’indépendance de l’Algérie en 1962 avant de s’imposer dans la vie politique], il a été premier ministre de mai à août 2017, c’est un fidèle de Bouteflika, donc il ne peut apporter aucun changement. Malgré ces dix mois de manifestations et la proposition de rédiger une nouvelle Constitution, le pouvoir militaire s’est entêté à organiser ces élections, contre la volonté du peuple. » Les manifestations ont d’ailleurs repris de plus belle pendant la période électorale.

Divisions et réseaux sociaux

Quand vient la question de la répression, notre interlocuteur reste plus évasif, mais souligne des oppressions sournoises visant certaines ethnies : « La langue berbère est reconnue par la Constitution, mais son drapeau est interdit car il est considéré comme un symbole de division, c’est contradictoire ! Avant, le pouvoir faisait des discours pour essayer de diviser les différentes régions mais maintenant ils ne peuvent plus, car les gens communiquent entre eux via les réseaux sociaux. » La liberté de la presse n’échappe pas à l’emprise du régime : « Quand on regarde la télévision, on a l’impression que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ils ne parlent ni des manifestations, ni des revendications du peuple. À chaque fois qu’un journaliste essaye d’en parler, il est licencié. Des journaux tentent de s’organiser, mais c’est compliqué car la régie publicitaire est détenue par l’État, donc si quelque chose ne leur plaît pas, ils coupent les vivres ».

Hypocrisie d’État

Un deuxième interlocuteur, en l’occurrence une interlocutrice, nous livre son analyse des stratégies de l’État pour mater la révolte : « Le régime, surtout le gouvernement militaire, joue un double jeu : d’une part, ils arrêtent des mafieux détestés du peuple, ils disent que le Hirak est légitime, qu’il a fait aboutir à des élections et qu’il faut maintenant repartir sur de bonnes bases ; et d’une autre, la répression ne cesse de s’abattre et fondamentalement, rien ne change. Mais ça ne marchera pas. » En parlant des relations internationales de l’Algérie, la question de l’ingérence s’impose vite dans la discussion : « Les gouvernements occidentaux ne soutiennent pas la révolution citoyenne algérienne car ils perçoivent Bouteflika comme le garant de leurs intérêts géostratégiques, notamment dans sa lutte contre l’islamisme. C’est pour ça que l’État espagnol soutient les élections algériennes. Cette ingérence-là ne dérange pas le régime, mais quand les députés européens prennent leurs responsabilités en votant une résolution pour dénoncer les violations des droits de l’Homme en Algérie, alors là, le régime dénonce une ingérence. »

Islamisme et droits des femmes

Interrogée sur la place des revendications féministes (lire ce papier sur ce sujet), notre interlocutrice rappellent que « les femmes font partie intégrante de ce mouvement » mais qu’il existe en fait « plusieurs mouvements » : « Il y a les gens de droite, de gauche, les islamistes… Au début on faisait bloc pour virer le gouvernement, mais on ne pense pas tous la même chose ». Son camarade complète : « Depuis 1984, la femme algérienne est considérée comme mineure, donc on essaye de lutter contre cette loi, mais c’est un long travail, car il y a une islamisation des esprits avec la victoire des religieux aux municipales de 1991. Sans droits garantis aux femmes, la démocratie n’existe pas ». L’interlocutrice précise le propos : « L’islamisme n’a pas sa raison d’être dans ce mouvement. »

Une mobilisation historique toujours en cours

Notre interlocuteur est optimiste : « Depuis dix mois, les Algériens sont sortis d’une sorte d’état de veille. Les forces vives étaient là, mais personne ne s’exprimait. Aujourd’hui, on voit toute la vitalité de la population. Les gens en ont marre, ils veulent s’exprimer. En sortant dans la rue, en discutant dans des agoras, il y a eu un véritable éveil aux questions politiques et économiques. Les gens de tous horizons socio-culturels se sont parlés. C’est une richesse, un acquis sur lequel le régime aura du mal à revenir, et tant mieux. »

Pour avoir plus d’informations sur les événements de soutien au Hirak, consultez la page facebook du CAMDA.

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