Rodez : reprise négociée de haute lutte, la CGT veut fabriquer des masques au lieu d’injecteurs pour moteurs diesels

Le Poing Publié le 7 mai 2020 à 18:53 (mis à jour le 7 mai 2020 à 18:55)
Fin février, cette banderole a été déployée à l'entrée du site de l'usine. Pour protester contre les petites phrases d'un cabinet de stratégie industrielle en lien avec la direction, qui jugeait l'usine trop rouge à son goût ! ( Photo transmise par la CGT du site Bosch de Rodez )

Après un arrêt total de la production et des mesures de protection obtenues par la lutte des salariés, l’usine Bosch de Rodez, qui fabrique principalement des injecteurs pour moteur diesel et des bougies de préchauffage, a redémarré au début du mois d’avril. La crise du diesel, jugé écologiquement obsolète quelques années seulement après avoir été encensé, menace déjà depuis des mois ce site de production. Les salariés continuent de s’inquiéter, d’autant plus que le groupe pourrait être tenté par une politique de dumping social pour rattraper les bénéfices suspendus pendant la crise sanitaire. En parallèle, le syndicat CGT, majoritaire dans l’usine, propose au nom de l’utilité sociale une reconversion d’une partie de la production vers la fabrication de masques pour approvisionner le département de l’Aveyron. Mais la direction ne l’entend pas tout à fait de cette oreille…

Des mesures de protection sanitaire arrachées de haute lutte !

Mi-mars, la Bocsh de Rodez, premier employeur privé de l’Aveyron avec ses 1500 salariés, frémit : trois cas potentiellement positifs au Covid-19 parmi ses salariés sont déclarés !

L’intersyndicale Sud-CGT-CGC appelle à l’arrêt de la production, jusqu’à la fin de la crise sanitaire.

« L’usine cesse son activité au 17 mars, suite aux pressions syndicales et à une vague massive de salariés qui se lancent dans des débrayages et font jouer leur droit de retrait. La quasi-totalité des ouvriers y ont participé. », témoigne Yannick Angladès, délégué syndical CGT du site. « Mais dès le 25 mars, la direction a voulu faire redémarrer le site, avec des mesures clairement insuffisantes pour garantir la protection des salariés »

Selon les syndicats, des pressions gouvernementales seraient exercées pour que le site reprenne un certain niveau d’activité. Surtout, le constructeur Volvo attendrait une importante commande de bougies de préchauffage que seul le site ruthénois est capable de produire dans le monde chez le groupe Bosch. L’autre site qui en a les capacités se trouve en Inde, mais il est à l’arrêt total sur décision gouvernementale pour contrer la pandémie. Mais les ouvriers de l’Aveyron ne comptent pas être sacrifiés sur l’autel d’une production non-essentielle ! D’autant que, selon Pascal Raffanel, le délégué CFE-CGC, « beaucoup d’éléments n’ont pas été pris en compte comme les outillages utilisés en commun, qui peuvent être des vecteurs de contamination au Covid-19. »

« Nous refusions de reprendre notre poste pour une activité non prioritaire. La question aurait été différente si nous produisions des pièces pour des respirateurs médicaux comme PSA. Le seul équipement personnel que la direction prévoyait pour le personnel était un stylo, pour qu’ils puissent appuyer sur les touches d’une machine sans entrer en contact direct avec elle !”, reprend Yannick. « L’intersyndicale, avec l’appui de la médecine du travail, pointe l’insuffisance des mesures prises. Et on obtient un report de la date de reprise au premier avril, avec des mesures garantissant une certaine distanciation sociale ! »

A nouveau, les organisations syndicales jugent les mesures insuffisantes, et contraignent la direction à en prendre de nouvelles : si la revendication unanime de non-reprise avant la fin du confinement ne sera pas respectée, quand l’annonce d’un retour au turbin tombera le 4 avril, la direction aura été contrainte par la mobilisation à s’engager sur des mesures plus énergiques : le 8, lors d’un Conseil Social et Économique extraordinaire sur le site, elle dévoile disposer de stocks de masques chirurgicaux et FFP2 !

La CGT fait pression pour le maintien des salaires à 100% chez les sous-traitants !

Aujourd’hui, la production est relancée dans deux des ateliers de fabrication, pour les buses et les bougies. D’après Yannick, « sur les 1300 salariés du site, on en a entre 4 et 500 qui ont repris le travail sur place, plus 100 ou 150 qui font du travail administratif et sont en télétravail. Sur les ateliers qui ont redémarré, on a entre 30 et 40 % d’absentéisme, pour garder les gosses, ou venant de collègues qui ont des problèmes de santé trop lourds pour prendre des risques, même petits. On a obtenu une réduction provisoire du temps de travail, avec maintien des salaires complets, même pour le personnel en activité partielle. Ce qui assure la possibilité de faire tourner différentes équipes qui ne se croisent que très peu sur le site industriel. Jusqu’à la fin du mois de mai, on est passé de 8 à 6 heures de travail journalier. »

Pour la plupart des activités, les salariés disposent maintenant de masques chirurgicaux, 2 par jours, mais la direction a fait des stocks et il ne semble pas y avoir de problèmes pour en avoir en plus si besoin. Et pour les postes où le travail se fait en équipe, des masques FFP2 sont fournis ! A partir de la date de déconfinement, la semaine prochaine, les ateliers de production d’injecteurs vont être remis en marche, et petit à petit l’usine toute entière va se remettre en route.

Reste un des gros chevaux de bataille du syndicat CGT : « Les salariés des sous-traitants du site ne bénéficient pas du maintien des salaires à cent pour cent, seulement à 84 %, comme ceux du restaurant de l’usine géré par la société API Restauration.  Le syndicat a un droit de vote sur le renouvellement des contrats avec les sous-traitants, et refuse d’apporter le sien à API pour ces raisons. Il faut savoir qu’en cas de changement de sous-traitant, tous les emplois seraient maintenus. »

Des centaines d’emplois menacés, des salaires en baisse !

Le taux d’équipement en véhicules diesels en France a chuté de 73% en 2012 à 47% fin 2017. Un climat social lourd pèse au sein de l’usine Bosch de Rodez, menacée depuis des mois par la chute du marché du diesel en Europe, et l’absence de volontarisme d’un groupe peu soucieux d’éviter le dumping social. Les deux lignes de production d’injecteurs pour moteur diesel ancienne génération ont été remplacées par seulement une seule ligne de production nouvelle génération face aux nouvelles normes européennes anti-pollution. Ce qui pourrait à terme menacer des centaines d’emplois. Et de nombreux habitants de la région se sentent également très concernés par la fragilisation de ces bassins d’emploi : en avril 2019, ils étaient plus de 2000 à manifester sur Onet-le-Château en soutien aux ouvriers de la filière automobile !

« Un accord de transition a été signé entre la direction du site et les autres syndicats représentatifs, qui prévoit une absence de licenciements jusqu’à fin 2021, avec une direction qui s’engage à chercher activement des pistes de reconversion en dehors de Bosch », nous explique M. Angladès. « En échange de quoi, le coût résiduel pour l’entreprise des mises en activité partielle est partagé entre les bénéfices de la boîte et les salariés, sous forme d’augmentation du temps de travail pour le même salaire par exemple. C’est une des raisons pour laquelle la CGT a refusé de signer l’accord : les salariés font tourner l’entreprise depuis des décennies, lui permette de vivre, ce n’est pas à eux de payer, même partiellement, les déficiences de la direction en terme de stratégie industrielle ! » «Nous allons toucher 97 % du salaire, et subir la perte de l’intéressement et des primes. Sur l’année, un salarié va perdre de 1 500 à 2 000 €», ajoutait Cédric Belledent, syndicaliste à SUD, au moment de la signature de l’accord.

Par ailleurs la CGT souhaite que le site industriel reste dans le giron du groupe allemand : « les salariés y ont acquis des droits relativement avantageux par rapport à d’autres boîtes, et ce n’est pas tombé du ciel, c’est venu d’une tradition de lutte, avec des ouvriers qui ont payé de leur investissement, de la disparition de leurs salaires pendant les grèves. Or, avec la loi qui obligerait les partenaires à reprendre les salariés aux mêmes conditions de travail, ces derniers seraient protégés pendant deux ans : passé ce cap, les repreneurs seraient libres d’imposer les conditions initiales de leur entreprise. C’est donc la porte ouverte à des régressions sociales ! »Avant d’ajouter, pessimiste : « Bosch ne veut plus investir sur Rodez : ils regroupent les ateliers pour libérer des locaux. »

Un groupe de réflexion industriel incluant les syndicats a été formé à l’initiative de la direction. Avant la pandémie, le secteur de l’aéronautique était très mis en avant dans ces recherches, mais maintenant il s’est écroulé…

En plus de cette équipe dédiée en interne, le groupe allemand a mandaté le cabinet Alix Partners pour développer des pistes de diversification. Sur 812 entreprises contactées, seulement huit ont répondu avec un débouché sur des discussions actives, principalement pour des activités de sous-traitance. Un chiffre assez faible qui inquiète les syndicats, qui pensent voir se profiler un plan de départ à la retraite anticipé.

« Cela n’a rien d’extraordinaire d’évoquer cette hypothèse dans le contexte dans lequel nous sommes. Il y a eu des réflexions dans ce sens par le passé, mais je n’ai pas de commentaire à apporter à ce sujet », déclarait le dirigeant du site au journal La Tribune le 11 mars, juste avant le confinement.

Par ailleurs le syndicat du site de Rodez se greffe à des inquiétudes plus larges sur la politique industrielles française. Ces questions de politique industrielle sont vitales pour la vie sociale des classes populaires du département, et sur la question d’une large mobilisation, la CGT déclare être en lien avec le site de la Sam à Decazeville, un autre employeur important de la région, et qui voit lui aussi ses emplois menacés, entre plans sociaux avortés et redressement judiciaire.

Dans ce contexte, le syndicat s’indigne de ce que les subventions d’État aux grandes entreprises ne soient pas conditionnées, ou si peu, à une absence de dumping social. Voir suspendues à ce dumping social, appelé « effort de compétitivité » en novlangue néolibérale ! L’exemple de Renault est frappant : alors même que le constructeur automobile s’apprête à vendre des concessionnaires, sur Nîmes et Montpellier notamment, et qu’un mystérieux et inquiétant « plan d’économie » interne supplémentaire de 2 milliards d’euros était déjà à l’étude avant le confinement, le gouvernement octroie à l’entreprise une garanti sur des prêts à hauteur de 5 milliards ! Et exige en contrepartie du groupe encore plus de ces fameux « efforts de compétitivité », demandant au groupe qu’il n’ait pas de tabous en matière de restructurations

La CGT estime que les prêts perçus par Renault avec garanties de l’État pendant la crise de 2008-2009 ont « servis à financer des délocalisations. »Encore en 2019, le groupe délocalisait la production de la nouvelle Clio en Turquie et en Slovénie, provoquant l’inquiétude des 4500 salariés du site Renault Flins dans les Yvelines !

Pour Yannick Angladès, « il serait révoltant que, d’une manière ou d’une autre, l’argent public tiré des poches du contribuable serve encore une fois à baisser ce qu’ils appellent le coût du travail, c’est-à-dire nos salaires ! Et pour le moment, aucune garantie de l’État dans ce sens, le discours ambiant est même très inquiétant ! »

« En attendant », poursuit le syndicaliste, « le déclin du site est enclenché face à cette absence de garanties de la direction : on perd en moyenne une centaine de salariés par an, les plus prévoyants, les plus angoissés ou les moins protégés cherchent à se caser ailleurs ! » Les effectifs sont passés de 2 300 salariés à 1 500 en quelques années.

« Les bouseux trop payés vous saluent »

Le 27 février dernier a eu lieu à l’usine Bosch le Comité Social et Economique qui rassemblait autour de la table représentants du personnels et direction. A cette occasion, ont été présentés les travaux d’audit réalisés par le Cabinet Alix Partners dont le but serait de trouver des partenaires industriels pour s’implanter sur le site de Bosch. Le problème pointé par le cabinet ? Le positionnement géographique de l’usine et ses « difficultés d’accès », des salaires « trop élevés » et surtout un « climat social trop intense », l’usine de Rodez est trop rouge ». Des propos qui font bondir le syndicat…

« Pour la CGT, ces propos sont inqualifiables, depuis les années 60 une multinationale comme Bosch est implantée ici et nous avons lors de ces décennies livré le monde entier sans que cela ne pose le moindre problème. Dire que nos salaires sont élevés sans mettre en parallèle que nous travaillons dans un groupe qui dégage des milliards de bénéfices, c’est honteux… », commente Yannick Angladès. Le syndicaliste tient à évoquer la mobilisation qui s’en suivra, signe selon lui de la même combativité sociale qui a valu aux salariés leurs conquis sociaux, et des conditions de reprise après le pic de l’épidémie à peu près décentes : « Le lendemain matin, entre 100 et 200 personnes étaient rassemblées devant le site pour disposer des bottes de paille sur les places de stationnement réservées à la direction et leur faire une  haie de déshonneur en signe de protestation, avant le début d’un autre comité qui a eu lieu à 10h pour discuter des prévisions des volumes des productions pour les deux ans à venir. Avec cette banderole accrochée pour clamer notre sentiment, « Les bouseux trop payés vous saluent ! » » Comme un écho aux déclarations de Benjamin Griveaux sur « la France qui fume des clopes et roule au diesel », juste avant le début de la mobilisation des gilets jaunes…

La CGT propose de produire des masques

Quoi qu’il en soit, la CGT se pose aussi en force de proposition : « Au vu des manques de notre société, éclairés par la crise du coronavirus, le syndicat va essayer d’appuyer dans les prochains mois des projets de reconversion industrielle dans la fabrication locale de matériel médical. », assène Yannick.

De manière plus immédiate, proposition est faite à la direction, par la même CGT, d’ouvrir des chaînes de production de masques homologués, pour relancer l’activité d’une manière utile et solidaire.

«  La direction a proposé de monter deux postes dédiés à la fabrication de masques chirurgicaux pour fournir les salariés de l’usine, initialement pour une production prévue de 6000 masques par tranche de 24 heures. », nous explique M. Angladès. « Mais cet objectif a été revu à la baisse, avec un seul poste produisant 2000 masques seulement par jour, pendant 6 semaines. L’argumentation de la direction : en Allemagne il existe des chaînes de production qui en produisent au total 120 000 par jour, de quoi subvenir aux besoins des salariés du groupe en Europe. Alors nous on demande à ce qu’au moins une de ces chaînes soit déplacée dans l’Aveyron, pour répondre à la fois à la crise que connaît l’industrie de diesel et qui menace à moyen terme nos emplois, et à la crise sanitaire. On pourrait produire des masques également pour les personnels soignants et les employés du secteur social du département. La direction ne veut pas se lancer là-dedans, parce qu’il y a une faible plus-value commerciale sur cette production, et ils n’ont pas l’air très sensibles à l’argument de l’utilité sociale ! De plus, faire sortir les masques de la boîte obligerait à les produire homologués, ce qui n’est pas le cas actuellement, et ça représente un coût supplémentaire, moins de bénéfices pour la direction. »

Et comme le gouvernement dit avoir pris la mesure de la nécessaire relocalisation de certaines activités, la CGT prend le ministre de l’Économie Bruno Le Maire au mot et lui propose de contraindre Bosch a relocaliser l’emploi en France. Une double proposition qui paraît hautement raisonnable, alors que beaucoup des manques auxquels le France a dû faire face pendant cette crise son liés à l’extrême division internationale du travail, et au blocage des chaînes de production et d’exportation par les nécessaires mesures sanitaires prises par les États, en Asie du Sud-Est notamment…

La CGT de l’usine ruthénoise en profite pour dérouler quelques une de ses revendications. Au travers des aides étatiques, donc de l’argent public,  favoriser le maintien des emplois qui existent dans l’industrie aveyronnaise, tout en inscrivant dans la transition écologique les motorisations du futur. 

La lettre se termine par une proposition de réduction du temps de travail pour mieux partager l’emploi, une vieille revendication du syndicat, et qui se veut aussi réponse profitable aux salariés à la crise de l’activité industrielle sur le site…

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