Sécurité sociale de l’alimentation à Montpellier : faut-il en faire des caisses ?

Lancée en janvier 2023 par la Ville et la Métropole de Montpellier, la Sécurité sociale de l’alimentation vise à lutter contre la précarité alimentaire. Une expérimentation concernant quatre cent personnes, tirées au sort, qui cotisent selon leurs moyens pour recevoir cent euros par mois en monnaie virtuelle à dépenser dans un magasin conventionné. L’assemblée générale du dispositif a provoqué de vifs débats
Article publié dans le n° 38 du bimestriel Le Poing, imprimé en novembre 2023
« L’objectif, c’est de se battre à la fois pour les petits producteurs et pour les consommateurs, pour que tout le monde ait accès à une alimentation de qualité, achetée à des agriculteurs locaux », expliquait l’un des gestionnaires de la caisse alimentaire de Montpellier, lors de l’assemblée générale du dispositif, le 30 septembre 2023 au square Sophie-Desmaret. L’idée est née après le premier confinement : cinq organisations (Vrac, le réseau Cocagne, l’Union des épiceries solidaires, le Secours catholique et le réseau Civam) se sont réunies pour « favoriser un accès digne à une alimentation de qualité pour toutes et tous, et créer avec les organisations agricoles et de l’économie sociale et solidaire de nouveaux dispositifs économiques pour des filières solidaires et durables ».
Un dispositif expérimental
Financée par la Ville et par la Métropole à hauteur de 240 000 euros, sur un budget total de 400 000 euros, également alimentée par des fondations et les cotisations, la caisse alimentaire, inspirée du modèle de la Sécurité sociale, permet aux personnes tirées au sort de verser au pot commun pour recevoir chaque mois cent euros en Mona. Une monnaie virtuelle rattachée à la Graine qui permet d’aller faire ses courses chez des petits producteurs ou des commerces conventionnés par le dispositif, comme Biocoop ou la coopérative la Cagette. L’expérimentation, scrutée de près par des chercheurs et des chercheuses en vue de son potentiel élargissement, touche actuellement 400 personnes, socialement représentatives de la population. Dans ce panel d’individus, seulement la moitié sont en situation de précarité alimentaire. La caisse est pilotée par un « comité citoyen » de 61 expérimentateurs, qui se réunit chaque mois pour prendre des décisions, au consensus ou au vote.
Changer les habitudes
Présente lors de l’assemblée, Samira (prénom modifié), mère de huit enfants habitant dans le quartier de la Paillade, racontait son vécu en tant qu’expérimentatrice de la caisse alimentaire : « Quand on est une famille nombreuse, cent Mona par mois, c’est peu. Mais cela m’a permis de changer mes habitudes alimentaires, et d’aller dans des endroits où je n’aurais jamais pu aller avant, comme la Cagette. » Un autre témoignage, d’une femme au RSA, complétait celui de Samira : « Avant, je ne mangeais que des boîtes de conserve, maintenant je peux manger du bio, cela m’offre plus de choix. Et puis ce dispositif permet de retrouver sa dignité, je n’ai pas à aller faire la queue au Secours populaire ou autre. » C’est l’intervention de Samuel, agriculteur à Grabels qui se paye au montant du RSA, qui viendra porter la première critique. « Avant, il y avait une régulation des prix des produits agricoles, mais le libéralisme a détruit ça. Créer une caisse de la sorte sans imposer des prix plancher aux vendeurs, cela va juste mutualiser les profits pour des groupes comme Biocoop. » Ce à quoi Grégory Akermann, sociologue, a répondu sèchement : « Ce n’est pas un projet du grand capital. Si l’expérimentation est étendue au niveau national, on aura environ 120 milliards d’euros de cotisations et de subventions, donc on aura le rapport de force pour discuter avec Carrefour ou Lactalis pour la régulation des prix. De plus, le conventionnement de petits producteurs pour les intégrer dans le dispositif permet indirectement de réguler les prix, car on ne conventionnera pas une grande surface qui fait une grosse marge sur les produits. »
Pas de régulation des prix
Une autre critique est venue de Diane, une militante du syndicat Solidaires : « Cette expérimentation dit se baser sur la Sécurité sociale, mais celle-ci régule les prix des médicaments. Pourquoi ne pas faire de même avec cette caisse ? Et la Sécurité sociale est financée par des cotisations sociales, pas par des subventions de l’État ou des collectivités. Ce modèle est voué à l’échec si ça reste sous perfusion des subventions, surtout si on en tend nationaliser cette caisse. La mairie et la Métropole sont de gros employeurs, les collectivités seraient-elles prêtes à cotiser en tant qu’employeur à cette caisse plutôt que de la subventionner ? » Marie Massart, adjointe à la mairie référente sur les questions alimentaires, directement visée par la question, a botté en touche : « Pour l’instant, ce n’est qu’une expérimentation. Et il y a de nombreux freins juridiques et financiers… » Dans le public, un militant anarchiste cogitait à voix haute : « Avant la nationalisation de la sécu, il y avait plein de caisses de solidarité auto-organisées par les travailleurs. Pourquoi ne pas recréer la notre en autogestion pour ne pas dépendre de celle de la mairie ? » La réflexion demeure ouverte.
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