Solidarité ou charité ? Concilier politique et action sociale autour de l’alimentation : pas si simple
Quand on est une organisation anticapitaliste ou un syndicat et qu’on veut agir concrètement contre la précarité alimentaire, comment ne pas devenir une succursale du Secours populaire avec des drapeaux rouges et noirs ? C’est la question que Le Poing a posé au Syndicat de Combat Universitaire de Montpellier, et à l’AESAE, une association créée par des membres de l’Union Communiste Libertaire de Montpellier. La réponse est loin d’être évidente
Article initialement paru dans le numéro papier numéro 38 du Poing, “Précarité alimentaire : du blé pour manger !” publié en novembre 2023 et encore disponible sur notre boutique en ligne.
Fin octobre. Devant le Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) de Boutonnet, à Montpellier, une file d’attente s’étend sur des dizaines de mètres.Trois cents étudiant·es, venu·es avec des grands sacs, arrivent à l’entrée d’une tente où des bénévoles prennent leurs coordonnée set remplissent des tableaux Excel. Puis, réparties sur plusieurs tables, des denrées alimentaires non-périssables les attendent, avec d’autres bénévoles qui veillent à la bonne distribution de la nourriture. Nous ne sommes pas à une distribution alimentaire du Secours populaire, mais du Scum, le Syndicat de combat universitaire de Montpellier ; en témoignent les drapeaux qui trônent dans un coin. Ce syndicat étudiant majoritaire à Montpellier, est notamment connu pour ses contre la sélection à l’université et contre la précarité étudiante. Quelle différence, alors, entre ces distributions et celles d’une association humanitaire ? « On a la main sur tout, et on fait plus que le Secours populaire, parfois on a aussi des vêtements », explique Fabien, membre historique du Scum. « Après tout, le rôle d’un syndicat,c’est la solidarité concrète. Et normalement,dans ce genre d’endroit, il faut prouver qu’on est pauvre, mais là, tous les étudiants peuventvenir. » Et uniquement les étudiant·es.
“Système de mendicité ?”
La nourriture redistribuée vient du fonds européen d’aide aux plus démunis. « Au lieu d’alimenter les salaires, les États européens filent de la thune à ce fonds », décrit Fabien avec une pointe de sarcasme. « Nous sommes en partenariat avec le Crous, quigarantit une traçabilité des produits. » Le même Crous, dont la mission est d’améliorer les conditions de vie et d’études (bourse,logement, restauration…), envoie des étudiant·es vers ces distributions, selon Fabien. Une situation qui a changé, « car à la base, le Crous ne nous voulait pas devant ses locaux. Pour l’institution, c’est un aveu d’échec de sa mission. Ici, on montre la précarité que le gouvernement veut cacher. » Une action politique, donc. « C’est un fort moyen de politisation, on recroise certains étudiants qui viennent ici en manifestation, d’autres deviennent bénévoles. La précarité alimentaire est un fort levier de mobilisation, donc pour nous, la lutte politique et la solidarité concrète sont complémentaires. »
Une position avec laquelle Félix, universitaire du Cercle des Jeunes Révolutionnaires, n’est pas d’accord : « Les restos U devraient renforcer leur mission historique de permettre aux étudiants de se nourrir. Or, le gouvernement souhaite privatiser les CROUS et liquider le système des bourses étudiantes. Quand Macron accorde, l’an dernier, une rallonge de dix millions pour les distributions alimentaires caritatives (hors Crous), c’est pour ériger en système la mendicité à laquelle les étudiants sont contraints. Les dirigeants syndicaux étudiants feraient mieux d’organiser une campagne de défense des Crous et exiger que ceux-ci obtiennent les crédits nécessaires pour nourrir les étudiants. »
Asymétrie des relations
De son côté, l’AESAE (Association pour l’égalité solidaire, l’autogestion et l’entraide) ,créée à la sortie des confinements par des militant·es de l’Union Communiste Libertaire de Montpellier, organise diverses actions de lutte contre la précarité alimentaire depuis la librairie La Mauvaise Réputation. « Pour nous, la solidarité fonctionne avec la notion d’autogestion », expliquait au Poing une des fondatrices de l’association en décembre 2020. « On recense les besoins des bénéficiaires et on trouve des solutions avec eux. C’est une démarche de solidarité de classe, où on aimerait que les gens s’investissent et prennent les choses en main. »
Collecte d’invendus, distribution de nourriture, cantines et friperies ont rythmé le quotidien de l’association pendant quelques temps. Puis est venu l’essoufflement militant, et donc la baisse de régularité des actions. L’idée d’auto-organisation, quant à elle,a du mal à faire son chemin : « On a toujours voulu que les personnes bénéficiaires des dons soient associées aux récupérations et à l’organisation des distributions, mais on n’a jamais vraiment aboli cette relation asymétrique entre ceux qui donnent et ceux qui reçoivent », constate Isa. « C’est biaisé, on n’est pas à égalité entre ceux qui viennent chercher à manger et ceux qui n’en ont pas besoin. Les gens sont restés avec l’image que c’est à nous,les blancs de gauche, d’organiser et de cadrer les gens qui sont confrontés à des difficultés. »
Selon Isa, seules les cantines mensuelles de l’association, organisées au parc du Peyrou, permettent de casser ce rapport hiérarchique : « On est tous ensemble, tout le monde propose des recettes. » L’AESAE a donc décidé de recentrer son action sur des temps informels de discussions, d’échanges et de convivialités, le samedi de 11 à 13 heures à la librairie La Mauvaise réputation, et de garder son système de cantines mensuelles, ainsi que des friperies. « Peut-être que ça se-rait plus simple si on était implanté dans la vie d’un quartier », conclut-elle, en guise de piste de réflexion.
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