Montpellier : dans le quartier Figuerolles, l’AJAP crée du lien social autour de la récup’ alimentaire

Elian Barascud Publié le 23 janvier 2024 à 15:58 (mis à jour le 23 janvier 2024 à 21:20)
L'AJAP organise des récupérations alimentaires deux fois par semaine auprès des petits commerçants du quartier Figuerolles. (Photo de Mathieu Le Coz/ Hans Lucas)

Depuis 2019, l’association pour des jardins agroécologiques partagés réunit une bande de potes, précaires, autour de la question de l’alimentation, autant pour aider les autres que pour subvenir à leurs propres besoins. Deux fois par semaine, ils récupèrent les invendus des petits commerces, les redistribuent gratuitement et cultivent des légumes avec les riverains dans un square du quartier populaire de Figuerolles

Article initialement paru dans notre numéro papier numéro 38 “Précarité alimentaire : du blé pour manger”, paru en novembre 2023

Mardi, 16 heures. Assise sur un banc du square du père Bonnet, Marcelle, une retraitée du quartier, patiente entre des parcelles cultivées par l’association pour des jardins agroécologiques et des gens du coin. « J’attends. Je n’ai pas mangé depuis deux jours. Le rendez-vous est fluctuant. Parfois c’est 16 heures, parfois 16 h 30. Mais attendre donne de l’espoir, l’espoir de voir arriver le pain et les légumes. C’est comme avec l’amour ! », plaisante-t-elle. A côté, d’autres habitués rigolent à sa blague. Ils sont en tout une cinquantaine à connaître ce rendez-vous.

Aux alentours de 16 h 20, deux jeunes débarquent avec des caddies remplis de légumes, de fruits et de pain, récupérés chez les petits commerçants du quartier, et les posent sur des planches en bois. Aussitôt, les gens approchent pour se servir, et discutent. « Les haricots blancs, je les fais en sauce tomate », explique une dame à une autre, en lui détaillant sa recette.


Voilà maintenant trois ans que l’association pour des jardins partagés agroécologiques réalise ces
récupérations et distribution d’invendus dans le quartier Figuerolles. « Le but de l’asso à la base, c’était de faire des jardins partagés en ville et de redistribuer les légumes à des sans-abris. Mais dans les jardins municipaux, on manquait d’espace pour nourrir les gens », décrit Anaëlle, une membre de l’association.

« Un an après, on a trouvé des caddies, et on a commencé à faire de la récupération alimentaire, autant pour nous nourrir nous, qui sommes précaires pour la plupart, que pour redistribuer gratuitement. La Carmagnole -local associatif et militant du quartier Figuerolles, ndlr – nous prête son lieu pour tout stocker. Les commerçants du quartier sont ravis, car ça leur fait mal de jeter. Pour les grandes surfaces franchisées, c’est plus compliqué, car il faudrait prendre tous les invendus mais pas une partie, et en caddie c’est compliqué, et puis ça les aide à défiscaliser, on veut pas rentrer là-dedans. » L’AJAP cultive également un jardin partagé à Agropolis et organise des freeperies (dons de vêtements gratuits).

Entraide entre pauvres

Les caddies justement, l’AJAP en a plusieurs, customisés par les bénévoles et bénéficiaires de l’association. « C’est devenu notre marque de fabrique, explique Anaëlle. Quand les gens du quartier nous voient passer, ils savent qui on est. Et puis c’est marrant de détourner le symbole de la société de consommation capitaliste en un truc d’auto-organisation où l’on se mobilise avec les gens du quartier. »

Le caddie est devenu le symbole de l’association et le moyen d’être identifiée par les commerçants. En plus de son côté pratique, les bénévoles de l’AJAP y voient un détournement d’un symbole de la société de consommation. (Photo de Mathieu Le Coz/ Hans Lucas)


Car loin de l’action sociale verticale avec file d’attente, bases de données et travailleurs sociaux insérés, l’AJAP cultive une certaine porosité entre adhérents et bénéficiaires : les premiers comme les seconds se nourrissent de leur récupération, qu’ils réalisent parfois ensemble.

« Ici, tout le monde peut venir. Et c’est encore plus le cas depuis l’inflation. C’est compliqué quand tu as faim d’aller seule voir un commerçant pour lui demander ses invendus, tu peux avoir honte ou peur. La structure associative permet de dépasser ça. C’est de l’entraide entre précaires », résume Annaëlle. « Énormément de gens font de la récup’ dans leur coin à Montpellier, l’idée serait de se fédérer ».


Cependant, elle demeure cependant consciente des limites de cette action : « On est pas beaucoup, il faudrait qu’il se passe la même chose dans d’autres quartiers. Et puis se pose la question du choix : les poubelles, c’est pour les pauvres, on mange le bout de la chaîne, ce que les gens ne veulent pas, sans choisir. Mais bon, pour moi, les invendus sont encore comestibles, je les mange, ce ne sont pas des déchets ! »

L’autre limite est institutionnelle : « Avant, on déposait en ville des caddies qui fonctionnait comme des armoires à dons, mais la police municipale nous a dit de les enlever. On leur demande aussi un local pour pouvoir cuisiner, mais pour l’instant on en a toujours pas. »

Cantines populaires et solidaires


Parce qu’au-delà de la récupération, l’AJAP organise aussi des cantines à prix libre (incluant la gratuité) certains dimanches au square du père Bonnet. « Des fois les gens du quartier cuisinent avec nous sur place. On a rencontré pas mal de gens à la rue qui avaient bossé en restauration qui nous ont filé des coups de main. Cela crée du lien social. »

L’association inscrit également son action dans les luttes sociales, par le biais de cantines lors d’événements militants comme les assemblées générales du collectif Montpellier contre la vie chère, le week-end de mobilisation contre le chantier routier du L.I.E.N., en apportant de la nourriture dans des
squats de la ville ou par le biais de caddies proposant des sandwiches pour le premier mai.


Mais à Figuerolles, l’auto-organisation n’est pas toujours facile à mettre en pratique, comme l’explique Annaëlle. « Au début, on s’est retrouvé dépassé. Les gens se battaient pour récupérer à manger et n’attendaient même pas qu’on sorte les aliments des caddies. On a du s’assoir en cercle pour discuter et que chacun dise ce dont il avait besoin. »


Et dans ce quartier populaire ou la drogue est monnaie courante, les anecdotes ne manquent pas à l’AJAP. « Quand on a commencé à cultiver les parcelles du square avec les gens, ça nous arrivait d’y trouver des seringues. Il a pu arriver qu’il y ait aussi des embrouilles liées à ça. Mais j’aurai tendance à dire que plus on est là, plus c’est calme. Au moins, quand certains usagers ne consomment pas, ils sont avec nous à jardiner ou cuisiner.»

“All caddies are Beautiful”. (Photo de Mathieu Le Coz / Hans Lucas)


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