Archives - Infos locales 27 octobre 2015

Tramway : les étudiants pauvres grands oubliés des nouveaux tarifs de l’Agglo

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Alors qu’un chômeur paye 3,40 € par mois son abonnement Tam (Transports de l’agglomération de Montpellier), il en coûte environ six fois plus à un étudiant de moins de 26 ans. Y compris s’il est boursier. Et ce n’est pas le seul problème de la tarification des transports en commun votée par le conseil d’agglomération en juin 2014 et dont la mesure phare a consisté à baisser de 20 % l’abonnement annuel des 18-26 ans. « Le tramway pour tous », promesse du candidat Philippe Saurel, aujourd’hui président de la Métropole, ce n’est pas encore pour aujourd’hui.

« Je paye le même tarif qu’une de mes colocataires qui travaille alors que j’ai deux fois moins d’argent, et beaucoup plus cher que ma copine qui touche le RSA, alors qu’en tant qu’étudiante boursière j’ai les mêmes ressources qu’elle. » Tel est le constat désabusé de Marjorie, 23 ans, face à l’annonce – claironnante – de la baisse des abonnements de tramway pour les jeunes de 18 à 26 ans.

Promesse non tenue contre baisse significative

Si le maire, Philippe Saurel, avait promis dans son programme, « le tramway pour tous » et « le soutien aux plus fragile de nos concitoyens », en pratique et dans les chiffres, le compte n’y est pas. La promesse de la baisse du ticket unitaire au prix de un euro n’a pas été tenue. En revanche, une baisse significative de l’abonnement annuel pour les 18-26 ans a été instaurée : ces derniers déboursent 196 euros contre 245 euros en 2013. Un tarif qui place Montpellier deuxième du classement des grandes villes les moins chères de France pour le transport des étudiants, derrière Toulouse.

« Sacrifier les retours en famille »

Les étudiants n’en ont visiblement pas terminé avec les difficultés d’accès aux transports. Caroline a 18 ans, elle est boursière : « J’ai pris l’abonnement parce que je n’ai vraiment pas le choix, je dois pouvoir me déplacer et avec la multiplication des contrôles, difficile de tricher, mais pour pouvoir sortir les 196 euros, je vais devoir repousser d’au moins un mois mon inscription au judo alors que les compétitions commencent(1) » Même constat pour Anaïs, 18 ans, qui de son coté va « sacrifier les retours en famille le week-end pendant plusieurs semaines. » Selon le rapport Repères et références statistiques 2014 du Ministère de l’éducation nationale (p. 363), en 2013-2014, 34,8 % des étudiants étaient des étudiants boursiers. Quand au budget mensuel moyen d’un étudiant, toutes catégories confondues, il se situe autour de 680 euros, selon l’Observatoire national de la vie étudiante, un organisme public dépendant du ministère de l’éducation (p. 21 du document « Repères »).

Une situation de réelle précarité à mettre en parallèle avec l’exclusion des étudiants du tarif réservé aux demandeurs d’emploi, fixé, lui, à 3,40 euros par mois. Ce forfait – subventionné à hauteur de 44.60 euros – concerne les demandeurs d’emploi dont l’allocation est inférieure au SMIC brut (soit 1 445,38 euros) et les allocataires du RSA. Un étudiant boursier échelon sept (le plus élevé) perçoit quant à lui, 554 euros par mois pendant 10 mois. Des revenus très faibles pouvant le faire entrer de plein droit dans ce tarif réservé aux plus précaires ?

Exclu de tous les dispositifs d’aide aux précaires

Pas aujourd’hui puisqu’un étudiant n’a pas le droit d’être inscrit sur la liste des demandeurs d’emploi et se voit donc exclu de tous les dispositifs d’aide aux personnes en situation de précarité. Interrogée sur la possibilité de mettre en place à Montpellier – comme cela se fait déjà à Lille – un tarif étudiants boursiers ou étudiants précaires, sur la base des conditions de ressources, Isabelle Gianiel, vice présidente de la Métropole en charge des transports qui a présenté en juin 2014 la nouvelle grille tarifaire, déclare « ne pas savoir s’il serait possible de le subventionner. Il en existe un pour les collégiens et les lycéens (forfait ZAP à 9,90 euros par mois), subventionnés à 66 %, en partie par la Métropole, mais pour le tarif demandeurs d’emploi subventionné et si cela serait adaptable aux étudiants. »

Concernant l’abonnement existant, deux problèmes ne semblent pas non plus avoir retenu l’attention de la Métropole lors du vote de sa politique tarifaire le 13 juin 2014. D’abord cet abonnement vise la tranche d’âge « 18-26 ans » et non la catégorie « étudiants ». Pour Isabelle Gianiel, « le but d’une politique d’abonnement est de simplifier l’offre et de toucher un maximum de monde, nous enregistrons d’ailleurs depuis la rentrée une hausse de 66 % des demandes d’abonnements(2). Nous n’avons pas voulu faire de discrimination en offrant à tous les jeunes de moins de 26 ans une offre très avantageuse.».

« C’est assez dégueulasse »

Pourtant, Pierre 21 ans, étudiant en histoire et militant Sud-solidaire, parle bien de discrimination à l’encontre des étudiants de plus de 26 ans : « Pour atteindre un master (bac+5), il n’est pas rare de redoubler une ou deux fois. Dans ce cas vous vous retrouvez exclu du système des bourses, limitées à cinq années, et exclu de tous les tarifs préférentiels parce que vous avez plus de 26 ans, et je ne parle même pas des doctorants. Il y a donc bien une baisse pour les étudiants en début de cursus mais c’est assez dégueulasse pour ceux qui poursuivent leurs études car là, ils payent plein pot. »

Également sollicitée sur ce point, la vice-présidente aux transports confirme : « Dans une ville où un tiers de la population est étudiante, il est important de ne pas les ignorer mais il est possible qu’il y ait chez les étudiants une frange marginale qui n’ait pas été prise en compte. » Le rapport 2013 de l’Observatoire national de la vie étudiante (p. 5) chiffrait la part d’étudiants de plus de 26 ans à 14,8 % de la population estudiantine globale. Une frange pas si marginale donc.

« Plus sortir et manger moins » ?

Second problème : la mensualisation du forfait censée permettre aux plus pauvres d’échelonner leurs dépenses sur l’année. Chris, 20 ans, également boursier, ne peut pas se payer son abonnement : « J’ai fraudé l’an passé et je vais encore devoir le faire cette année. Impossible de payer 196 euros dès maintenant et l’abonnement mensuel à 29 euros n’est pas envisageable non plus, ou alors je ne dois plus sortir et manger moins. J’ai pris la carte 10 voyages à 10 euros et je la composte quand je vois les contrôleurs mais ce n’est vraiment pas agréable d’être tout le temps en stress. » Un utilisateur potentiel pour l’application Smart Tram.

 Si l’Agglomération annonce un coût du transport ramené à 16 euros par mois pour les étudiants (196 € / 12 mois), la réalité n’est pas exactement celle-ci puisque la mensualisation n’est payable que sur sept mois. Autrement dit un étudiant qui souscrirait un abonnement annuel mensualisé au mois de septembre, devra payer 29,12 euros par mois – on ne sait d’où sort ce chiffre – jusqu’en mars, et se verra offrir les cinq derniers mois de son forfait. « Cette formule a été pensée pour les étudiants qui partiront en stage ou dans des programmes d’échange inter-universitaires dès le mois de février », justifie l’élue en charge du dossier.

Des problématiques plus que jamais d’actualité à l’heure de la fusion des régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées, puisque Montpellier demeure encore loin derrière Toulouse, qui propose un forfait annuel jeune à 100 euros, et un forfait mensuel à seulement 10 euros. Toulouse propose d’ailleurs également une formule pour les étudiants âgés de 26 à 35 ans, sous la forme d’une carte dix voyages à 9,80€. Une comparaison qui ne laisse pas Isabelle Gianiel indifférente : « Il y a une vraie pertinence en terme d’attractivité à comparer la tarification des grandes villes. […] Mais Montpellier a fourni de gros efforts financiers cette année en engageant 2,37 millions d’euros dans cette nouvelle politique tarifaire, et elle poursuivra cet effort sur trois ans en engageant la somme totale de 6,37 millions soit entre 7 et 8 % du budget alloué aux transports sur l’agglo(3). J’entends bien toutes ces sollicitations, nous sommes attentifs même si nous devons faire des choix, mais nous ne fermons aucune porte. »

Lucie Lecherbonnier

 

Article publié sur Montpellier journal le 16/09/2014, mis à jour pour Le poing le 20/09/2015

(1) Rappelons que le vélo est une bonne alternative aux transports en commun : moins cher, meilleur pour la santé et souvent plus rapide pour des trajets intramuros. (2) Midi Libre (14/09/2014) écrit pour sa part : « Par rapport à l’année dernière, le nombre d’abonnés a été multiplié par sept, passant de 1 500 à plus de 10 000 en ce début septembre. » Alors 66 ou 700 % ? Sollicitée par Montpellier journal pour savoir quel est le bon chiffre, la Tam qui n’a pour l’instant pas démenti le chiffre publié par Midi Libre, n’a pas donné suite. [le 17/09/14 à 10h35 : sur France bleu Hérault (vers 6’10), c’est encore une autre version. La journaliste déclare en effet : « Le nombre d’abonnements étudiant chez Tam augmente de 30 % par rapport à l’an dernier : 21 000 abonnements pour les moins de 26 ans. »] [le 18/0914 à 9h : dans La Gazette de ce matin, encore un nouveau chiffre : « 21 500, c’est le nombre d’abonnements jeunes (18-26 ans) vendus par la Tam (transports en commun) les quinze premiers jours de septembre, soit 7500 abonnements de plus qu’à la même date en 2013 (+ 51 %). »] (3) Rappelons que Montpellier journal a demandé, dès le 16 juin, le document détaillant le calcul amenant à ce coût mais la Métropole ne l’a toujours pas communiqué. Aurait-elle quelque chose à cacher ?

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