Archives - International 12 février 2015

Vers la fin du blocus à Cuba ?

Old_Havana_Cuba
Après plus d’un demi-siècle de relations conflictuelles entre la petite île communiste et le géant américain, Barack Obama a prononcé le 17 décembre dernier un discours historique dans lequel il appelle à l’apaisement, et annonce la fin de la politique d’isolement. Loin d’être le fruit d’un excès de générosité de la part de l’administration américaine, ce revirement s’explique en réalité par la prise de conscience qu’il n’est désormais plus possible de constamment se dresser seul face au reste du monde.

La Guerre froide ayant fait de l’anticommunisme une véritable religion d’État au pays de l’Oncle Sam, la prise de pouvoir en 1959 des guérilleros Fidel Castro et Che Guevara est vécue comme une véritable tragédie nationale par la plupart des militaires américains. La CIA tente donc d’envahir l’île dans la foulée, mais c’est un échec cuisant(1). Le Président Kennedy décide alors en 1962 de la mise en place d’un embargo économique, commercial et financier encore en vigueur actuellement. Les relations diplomatiques entre David et Goliath sont dès lors interrompues.

Mais qu’est-ce qui a alors bien pu pousser Barack Obama à renouer le dialogue avec l’ennemi de toujours ? Comment en est-il venu à autoriser la levée des restrictions pour les voyageurs cubains en 2009, et à accepter de serrer la main de Raul Castro en 2013 ?

Pour les chantres des chaînes de désinformation en continu et autres experts de l’expertise aveuglés par l’american dream, ce revirement diplomatique serait l’œuvre de la bonté du Président américain, qui, dans toute sa splendeur, aurait daigné desserrer unpeu l’étau qui étrangle l’économie cubaine.

Cette vision pour le moins naïve, sinon mensongère, occulte largement la principale raison géopolitique d’un tel événement, à savoir le refus de la part de la Maison Blanche de s’enliser dans une logique jusqu’au-boutiste les contraignant à un isolement international totalement contre-productif pour leurs propres intérêts. En 2013, seuls les États-Unis et Israël ont voté contre la levée de l’embargo lors de l’Assemblée générale de l’ONU. Pire encore, les pays latino-américains ont tous menacé de boycotter la prochaine rencontre du Sommet des Amériques en avril 2015 si Cuba n’y était une nouvelle fois pas conviée(2).

Dans ce contexte, le changement diplomatique prôné par Barack Obama apparaît surtout comme un aveu d’échec. A l’heure où la plupart des gouvernements sud-américains sont acquis à la cause du socialisme et où l’OMS rappelle régulièrement la contribution universelle de Cuba pour la santé(3), la fable selon laquelle le régime cubain serait une affreuse dictature ne convainc plus grand monde… Et les États-Unis n’ont pas vraiment d’autre choix que de prendre acte d’une telle situation. Lucide, le Président américain reconnaîtra lui-même qu’« aucune nation ne [les] a rejoint dans l’imposition de ces sanctions » et qu’il s’agit « d’une approche dépassée qui pendant des décennies a échoué à faire valoir [leurs] intérêts »(4).

Il s’agit donc d’une victoire symbolique pour la reconnaissance internationale de l’indépendance et de la souveraineté de Cuba, perçue dans de nombreux pays du monde comme un modèle de résistance face à l’impérialisme. Voilà pourquoi ce rapprochement diplomatique, dont l’illustration la plus concrète est la libération des prisonniers politiques cubains et américains(5), a été salué par la Chine, la Russie ou bien encore le Venezuela. Cependant, pour que cette victoire soit entière, il faut qu’elle s’accompagne d’améliorations concrètes pour le peuple cubain. Et ce souhait restera une douce illusion sans la levée pure et simple de l’embargo, qui continue d’imposer aux Cubains une économie de la débrouille et du court terme(6).

Jamais les conditions politiques n’ont été si propices à la levée de ce blocus, et après tout, Barack Obama n’a plus grand chose à perdre. Fatigué par le pouvoir au terme de son second et dernier mandat et enchaînant les défaites électorales, il ne semble plus être disposé à écouter l’avis de parlementaires républicains déterminés à le détruire(7). A défaut d’être parvenu à réformer le système de santé et à mettre fin aux aventures guerrières en Irak, espérons qu’il restera tout de même comme le Président ayant mis fin au plus long blocus depuis l’histoire de l’humanité.

Jules Panetier

(1) « Il y a 50 ans, les Américains rataient l’invasion de Cuba par la baie des Cochons », Radio France International, le 15 avril 2011
(2) « Dégel sous les tropiques entre Washington et la Havane », Le Monde diplomatique, novembre 2014
(3) « L’OMS se félicite de l’envoi de médecins cubains pour la riposte au virus Ebola en Afrique de l’Ouest », Communiqué de l’Organisation mondiale de la Santé, le 12 septembre 2014
(4) « Barack Obama’s Speech : Charting a New Course of Era », The White House, le 17 décembre 2014
(5) « Cuba tient sa promesse et libère 53 prisonniers politiques », Sud Ouest, le 16 janvier 2015
(6) « Cuba : système D contre pénurie après 50 ans d’embargo américain », Le Point, le 11 février 2012
(7) « Leçons d’un embargo », Le Monde diplomatique, janvier 2015

Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :


ARTICLE SUIVANT :

Aujourd'hui c'est poésie : Thomas Vinau