8 mars – 8 voix, épisode 1 : Adeline Maxwell

Le Poing Publié le 10 mars 2021 à 16:24 (mis à jour le 10 mars 2021 à 16:24)
Adeline Maxwell

A l’occasion du 8 mars, nous avons voulu rendre plus visibles les voix des féminismes d’aujourd’hui. Le Poing est allé, et continue d’aller, à la rencontre de 8 féministes impliquées d’une façon ou d’une autre dans ces luttes d’hier et aujourd’hui à Montpellier ou ailleurs. Certain·es font partie d’associations, organisations politiques ou mouvements mais c’est en leur nom propre et non en tant que porte-parole qu’elles et iels s’expriment ici. Nous démarrons cette série d’interviews avec Adeline. Bonne lecture !

n.b – les notes entre parenthèses sont des définitions ajoutées par Le Poing pour faciliter la compréhension de tous·tes.

Le Poing : Est-ce que tu peux te présenter ?

A.M. : Je suis Adeline Maxwell. Je suis une femme cis-genre (dont le genre assigné à la naissance correspond au genre ressenti). Je suis chercheuse. D’abord dans la danse, puis dans la danse et la politique, puis dans la danse et le féminisme puis féminisme, féminisme, féminisme !
Je suis la fille d’un exilé politique chilien. Ça a beaucoup marqué mes expériences et ma manière de penser. J’ai un enfant, qui a aussi un peu changé ma manière de penser, et je suis surtout une militante féministe.

Quand as-tu commencé à militer ?

Mes premières rencontres avec le féminisme étaient tôt, à mes 13 ans. Ma meilleure amie est la fille de la présidente du réseau national chilien contre la violence envers les femmes. Donc mes premières manifs féministes datent d’avant ma majorité.
Ça, c’est pour la partie féministe de base, pas décolonialiste, queer, etc. Ça a surtout été pour moi un apprentissage de la non-compétition entre les sœurs et les femmes, la sororité. Puis j’ai découvert les études de genres, les théoriciennes décoloniales latino-américaines. Ce féminisme est un changement de paradigme. Ce n’est pas seulement lutter pour les droits des femmes mais aussi pour la nature, contre l’extractivisme. Il y a aussi les lectures de Rita Segato, Silvia Federici, Rivera Cusicanqui, Spivak, Judith Butler.
Ensuite il a été question pour moi de mettre en pratique ce féminisme décolonial d’abord avec un projet latino-américain puis avec les Sudakas puis avec la branche décoloniale et anti-raciste des CQFAD (Collages féministes Montpellier) et ma rencontre avec les personnes de Personae of Colors.

Le féminisme est un ensemble de mouvements et d’idées, loin d’être uniforme, il n’existe donc pas un féminisme mais des féminismes. Comment définis-tu ton féminisme ?

Pour moi c’est très important de comprendre que plus que la lutte pour les droits des femmes il s’agit de lutte des droits des subalternes.

Il y a beaucoup cette notion d’intersectionnalité (situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de domination). Comme Angela Davis qui mène une lutte à la fois féministe et anti-raciste. Mon féminisme est inclusif, remet en question le genre, l’identité de genre et prend en compte ce que les personnes ressentent, comment elles s’identifient ou ne s’identifient pas. Un féminisme décolonial, pas transphobe, anticapitaliste. Je ne peux plus concevoir une société où on pourrait séparer capitalisme, colonialisme et patriarcat.

A tes yeux, où en est le féminisme en France aujourd’hui ?

Deux choses me semblent importantes.

D’un côté, en France il y a une histoire du féminisme qui a fait que beaucoup de choses avancent plus que dans d’autres pays. Mais cela a aussi conduit à ce que la lutte soit moins intense. A part pour les féminicides, ce n’est pas une lutte pour la survie mais pour conserver des droits. Je suis inquiète par l’institutionnalisation du féminisme et de collectifs très dépendants de subventions. J’ai aussi l’impression que le féminisme en France est en retard. Pour moi, c’est lié au fait que la France est toujours un pays colonisateur. Les dom-toms restent des colonies mêmes s’iels se disent français. La France ne remet pas en question cette colonisation. On a pu le voir dans des discours officiels aberrants qui disent qu’il n’y a pas besoin de demander pardon aux victimes de la colonisation. Comme si sans elle, la civilisation ne serait pas arrivée jusque dans ses colonies.

La France est fière de son “exception culturelle”. Des politiciens se permettent de remettre en question des avancées intellectuelles comme le concept d’intersectionnalité. Au point de vouloir interdire les thèses intersectionnelles. Ce discours officiel a une influence énorme dans les féminismes français. L’intersectionnalité ou convergence n’est pas normalisée dans la culture de lutte. Le féminisme reste blanc, bourgeois, se passe des théories queer (dont l’orientation ou l’identité sexuelle ne correspond pas aux modèles dominants). Donc les luttes sont séparées. C’est ce que je vois en France.

D’un autre côté, on assiste à un déchirement entre la pensée abolitionniste (qui considère que la prostitution est une violence faite aux femmes et souhaite la disparition de la prostitution), qui pense que les identités de genre sont liées au sexe assigné à la naissance , qui n’ont pas cette notion de différence entre le genre et le sexe et qui du coup font de la discrimination comparés aux autres groupes où il y a plus une culture Queer et qui rejoint plus une défense des TDS (travailleur·es du sexe). Il y a encore des gens qui ne comprennent pas que le fait de renier les TDS s’est aussi renier leurs droits et donc de ne pas leur permettre de sortir de leur situation s’iels le souhaitent. C’est aussi renier leur sécurité puisque dans un système abolitionniste, les TDS ne peuvent pas porter plainte etc.

C’est ce que je vois qui est différent du féminisme chilien plus sauvage, qui prône plus facilement des activités en mixité choisie ou en non-mixité. Alors qu’ici c’est encore difficile. Par exemple, pour qu’on puisse faire grève, c’est encore difficile de demander aux mecs cis de ne pas prendre notre place dans la rue, mais de prendre le relais de la vie courante. Au Chili le 8 mars, on dit : “Que se vayan los popolos” (“Que les amoureux s’en aillent”), on veut être entre nous. On a besoin de nous même reprendre l’espace qu’on nous a interdit et nous sentir sûres, entre nous.

Il y a bientôt une tournée de femmes zapatistes – qui vont probablement venir à Montpellier. Elles ont décidé de faire cette rencontre en mixité choisie car il y avait des viols pendant ces rencontres féministes ou des abus. La seule solution est donc de faire par nous-mêmes, sans mansplainning.

Illustration de la revue Zozoï GRR

Tu lances aujourd’hui une revue, Zozoï GRR, destiné aux enfants. “Le Zozoï est un animal imaginaire et unique, une sorte de petit oiseau qui porte des messages et qui a une âme rêveuse. Il sème petit à petit les GRR : Graines de Révolutions Raisonnées.” Quelles sont les Graines de Révolutions Raisonnées qui sont nécessaires de semer aujourd’hui ?

Pour moi les graines sont les enfants, des futurs adultes qui pourront choisir de changer ou de continuer avec ce monde. Qui seront le futur de notre monde, pas que de l’humanité.

Mais les GRR peuvent être des idées, des ressources, des comportements. Je donne autant d’importance à tout ça car notre génération ne verra pas la chute ni du patriarcat, ni du capitalisme, ni de l’extractivisme. Mais peut être que la lutte la plus importante pour les humains et la nature est de donner des outils aux enfants pour qu’iels n’aient pas autant de travail et de temps à fournir que nous pour se déconstruire. Qu’iels puissent faire. Pour un-e enfant avec une éducation ouverte, inclusive, qui renie les discriminations -validisme, homophobie, racisme, ethnocentrisme, racisme, classicisme – si la prise de conscience est déjà là, avec des idées de respect, de tolérance, de bienveillance,  et bien ce sera plus facile de vivre dans ce monde-là, de prendre plaisir aux différences.

C’est dur d’expliquer aux enfants que c’est grâce à la pauvreté des sud-globaux qu’on peut jouir de nos privilèges. Mais d’une façon chouette et marrante on peut leur expliquer qu’il y a une altérité. Et des valeurs de base comme la non-violence qui peut parfois être difficile. J’ai un petit garçon – que je genre au masculin aujourd’hui, après en avoir discuté avec lui – oui, il joue à la bataille avec ses copains, embête les filles avec un copain. C’est difficile de lui dire juste “ça ne se fait pas, c’est comme ça”. Il faut qu’il y ait une espèce de pratique par le jeu, le vocabulaire, l’exemple.

Pour moi cette revue est super importante parce que j’ai cherché quelque chose de similaire pour lui et je ne l’ai pas trouvé. J’ai trouvé seulement une revue de féminisme très mainstream – plus de l’ordre du Girl Power que de la remise en question –  dans laquelle je ne me retrouvais pas et encore moins mon gamin.

En quoi la construction de récits alternatifs est-elle primordiale à tes yeux ?

Parler de récit est important. Les mots peuvent être une résistance politique (réappropriation de mots, langage inclusif). Mais aussi le fait de se déconstruire de certains mots comme pute putain, salope. C’est à travers des langages qui forment un récit ou un autre qu’on construit notre monde. Le récit peut aussi passer avec des gestes. Si mon enfant voit que je suis autonome, bien dans mes baskets, il aura un modèle des femmes bien dans leurs baskets. Je suis sa référence et je lui offre ce récit là aussi, qui n’est pas le récit traditionnel de la femme. Et c’est surtout très important pour les différentes identités de genre et pour les valeurs de tolérance, de respect.

Un enfant éduqué dans la parentalité positive et la non-violence reçoit un récit qu’il intègre dans son corps et ses habitudes.

En parlant de mots, de langage, on peut parfois avoir l’impression en militant (et pas seulement dans les luttes féministes) qu’on n’a pas droit à l’erreur dans les mots choisis. Ne penses-tu pas que cette “pureté militante” peut pousser certaines personnes à ne pas se sentir légitimes dans les luttes et taire leurs voix ?

Être dans le monde militant c’est aussi devenir quelqu’un un peu parano. C’est avoir une conscience plus grande de certaines choses comme les micro-violences. C’est aussi les recevoir avec beaucoup plus de force, ce qui va changer ta vie au quotidien et ce n’est parfois pas facile car synonyme de souffrance. Et parfois quand on est passionnée, fatiguée, on oublie qu’on n’a pas tous.tes les mêmes connaissances, qu’on ne vient pas des mêmes mondes, qu’on n’a pas le même vocabulaire, les mêmes connaissances théoriques.  Mais on peut tous.tes apporter quelque chose.

Sur la question du genre, il existe une élite intellectuelle liée au monde de la recherche, bon, je parle de moi-même en fait ! Et bien des fois par exemple, je peux penser qu’il y a des choses acquises. Mais en fait c’est moi qui dois utiliser le vocabulaire approprié. Je ne peux pas exiger qu’iels sachent, qu’iels aient lu tels livres. Il peut créer des discriminations au sein même des groupes militants. Par exemple, si on se trompe en se trompant de genre à propos d’une personne, ça peut être violent pour la personne. Mais on peut apprendre. C’est sûr que recevoir ça alors que tu rentres dans un groupe peut pousser les personnes à partir. Comme parfois aussi avec certains slogans qui ne sont pas assez inclusifs pour certaines personnes.

Il faut apprendre à tolérer les personnes qui parlent de façon “trop complexe” et celles qui parlent parfois avec les mots pas vraiment appropriés.

Et ne pas oublier qu’on est militant·es mais aussi humain·es. Parfois, certains sujets nous tiennent à cœur ; il faut accepter les sensibilités sans juger la sortie de la rationalité.

 A quoi une utopie féministe peut ressembler ?
Que l’utopie ne soit plus une utopie mais un futur vraiment possible, une réalité.

Un vœu pour le 8 mars ?
Que ce qui s’est passé en Argentine se passe pour tous les pays ou l’avortement est pénalisé.

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