Chroniques confinées #1 : premières réflexions à chaud
Lundi, milieu d’après-midi, veille de confinement. Les rumeurs courent sur les réseaux sociaux et échaudent les esprits. Conséquence : on se rue, tant qu’on le peut encore, sur les supermarchés et les supérettes, au mépris, bien souvent, des consignes sanitaires élémentaires. Petite chronique d’un confiné et quelques observations politiques.
Lidl, Intermarché, Carrefour City : trois salles, trois ambiances.
Sur l’avenue Clémenceau, Lidl et Inter se font face. Remarquant qu’il n’y a pas de file d’attente devant, je m’aventure dans le premier. Les images chaotiques qui circulent sur les réseaux sociaux n’étaient pas trompeuses : rayons largement vides, masse grouillante de corps qui se pressent les uns contre les autres dans une frénésie d’achats inquiets, aucunes personnes masquées ou gantées à l’exception de l’auteur de ces lignes et du comparse qui l’accompagne, des employés harassés et clairement dépassés par la situation, dont on constate avec dépit (et un rien d’angoisse) qu’aucun n’est muni des protections basiques nécessaires pour enrayer la progression de la maladie, a fortiori lorsque l’on travaille dans un lieu confiné où se pressent des centaines de personnes. Honte à Lidl de mettre ainsi en danger la santé de ses travailleuses et travailleurs, et du reste de la population. Moi, je repars bredouille.
A Intermarché, ce n’est guère plus encourageant. Certes, les employés sont masqués et gantés. Mais les rayons sont tout aussi dégarnis qu’à Lidl, et les clients se pressent en longue file indienne devant les caisses sans parvenir à respecter les distances de sécurité recommandées. Là encore, très peu de masques ou de cagoules font barrière aux postillons qui sont le premier vecteur du virus. Peut-être que la loi « anti-casseurs » du gouvernement a fini par faire son effet dans les têtes des gens, qui préfèrent s’exposer au Covid-19 que de risquer un an d’emprisonnement et 15.000€ d’amende.
A Carrefour City, si là encore les rayons pâtes, farines, œufs et hygiène ont été pris d’assaut, on constate une gestion plus efficace de la masse humaine. L’on fait plus longtemps la queue dehors, mais le magasin est peu rempli, on a les coudées franches pour se croiser sans se frôler. Une certaine circonspection habite les regards, des clients comme des employés. Dans quel monde sommes-nous en train de basculer ?
Nous ne sommes pas en guerre
Celui de la « guerre », affirmera le président, quelques heures plus tard en direct sur toutes les ondes. Sans jamais prononcer le mot « confinement », ni expliciter concrètement les mesures qui seront mises en œuvre pour l’organiser, Emmanuel Macron nous offre un condensé de ce qui le caractérise : déni du réel (le premier tour des municipales s’est passé dans de bonnes conditions), auto-congratulation (le gouvernement a été à la mesure de l’enjeu), personnalisation à outrance et autoritarisme (mise entre parenthèse provisoire de la séparation des pouvoirs exécutif et législatif), destruction du langage (l’anaphore « nous sommes en guerre », alors que ce que nous vivons est une pandémie) et quelques bribes de « et en même temps » (suspension des réformes antisociales, vibrant hommage aux services publics).
Nous ne sommes pas en guerre, mais, ce qui est certain, c’est que nous le serons bientôt. Contre ceux qui ont conduit à cette situation. Qui ont dégommé l’hôpital, asséché la recherche, pilonné le reste des services publics. Qui ont repoussé le plus longtemps possible les mesures sanitaires qui s’imposaient pourtant afin de ne pas ralentir la marche du Capital. Qui ont alerté le pouvoir, comme l’affirme Agnès Buzyn, sur la folie de maintenir les élections municipales avant de courir s’y présenter. Et qui laissent désormais tant de travailleurs et de travailleuses exposé·es au danger alors que les cadres et les patrons se permettent de les télé-exploiter à distance depuis leurs palaces confinés.
Un jour passe. La chape s’abat sur le pays. 100 000 gendarmes et policiers, ainsi que des militaires, sont annoncés dans nos rues – comme pour chaque gros acte des gilets jaunes. Sans doute qu’un choc psychologique est nécessaire pour convaincre les nombreux esprits rétifs de la gravité du moment. On s’efforce de ne pas tourner en rond, se trouve des tâches à effectuer, s’impose un calendrier, se fixe des objectifs. On lit ce livre qui prenait la poussière depuis trop longtemps, regarde ce film qu’on nous a tant et tant conseillé. (Pas mal, mais peut-être un peu long ?) On se lance des défis : faire de l’exercice quotidien, apprendre une nouvelle langue, se laisser pousser la barbe… Pour la première fois depuis longtemps, une partie non-négligeable de la population reprend la maîtrise de son temps, de son corps, malgré les contraintes nombreuses à gérer (télétravail, enfants à charge, parents ou proches dépendants, isolement, précarité). Peut-être que vont commencer à germer, dans tous ces esprits enfin libres de penser, les graines de la révolution que nous espérons tant, et que la déroute généralisée actuelle rend plus que jamais nécessaire, et même vitale.
Confinement +1
N’ayant pas pu trouver grand-chose lundi, je ressors faire quelques courses au deuxième jour du confinement, muni de ma désormais inévitable attestation. A la Cagette, supermarché coopératif situé lui aussi sur l’avenue Clémenceau, c’est le branle-bas de combat. On y aperçoit avec une grande fierté comment une entreprise autogérée par ses salarié·es et ses usager·ères parvient à faire face de manière organisée et rationnelle au défi que cette épidémie nous lance.
Une équipe resserrée, formée aux nouveaux protocoles, fait tourner la boutique au lieu des « coops », comme on dit là-bas, qui se relaient habituellement. Un marquage au sol indique, mètre par mètre, la route à suivre et où se fixer pour éviter, autant que faire se peut, les entrechocs. Du gel hydro-alcoolique est mis à notre disposition. Les balances pour les fruits et légumes sont nettoyées au désinfectant alimentaire après chaque utilisation. Pour éviter les contacts, seuls les paiements par carte bancaire sont autorisés. On y croise des salarié·es fatigué·es, un peu sonné·es comme le reste du pays, mais efficaces, des coopérateurs·trices venu·es prêter main forte et même une ancienne candidate aux municipales qui prend sa part de l’effort collectif. Pour éviter les pénuries et les angoisses, des mails fréquents nous informent de l’état des stocks. Bref : une gestion cohérente et rationnelle, permise par la forte cohésion interne due au fait que le projet est porté par tou·tes ses « coops ».
On se prend à rêver à une gestion générale de l’outil de travail par les salarié·es. Nul doute qu’on échapperait enfin aux indignités et aux folies constatées, par l’auteur de ces lignes, à Lidl, ou ailleurs, à la Poste, comme Le Poing le racontait hier, dans les hauts-fourneaux de Florange ou les chantiers navals de Saint-Nazaire, pour ne citer que quelques exemples.
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