Entre moratoire et grève des loyers, quelle réponse face à la crise du logement ?
À l’international, les grèves de loyer se multiplient. Qu’en est-il en France ? La situation quant au mal-logement, sans même parler des effets sociaux de la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement, ne cesse de se dégrader : insalubrité, ghettoïsation, listes d’attente interminable pour les affectations ou les mutations… La crise du logement touchait avant le confinement déjà un français sur cinq soit près de 15 millions de personnes, d’après la Fondation Abbé Pierre ! Le confinement lié à la pandémie de covid-19 n’arrange rien à l’affaire : des millions de personne se retrouvent dans une situation de précarité inédite. Face à cet état de fait, des mobilisations émergent : l’association Droit Au Logement (DAL) lance une campagne, entre autres pour un moratoire sur les loyers. Dans tout le pays, des collectifs tentent de propager la grève des loyers. Le Poing est allé à la rencontre de certains des acteurs de ce mouvement naissant, pour mieux comprendre les différentes options stratégiques, leurs réalisations concrètes, leurs écueils et leurs perspectives.
Les États-Unis à la pointe d’un mouvement international
En Espagne, ce sont plus de 200 collectifs, emmenés par des syndicats de locataires, qui appellent depuis le 1er avril à une grève des loyers. Le Syndicat des locataires revendique 15 000 grévistes. Le but affiché : parvenir à surmonter les effets dévastateurs de la crise sociale en cours.
C’est aux États-Unis et en Grande-Bretagne que le mouvement semble le plus puissant. Au mois d’avril, près d’un locataire sur trois n’a pas été en mesure de payer son loyer. Aux États-Unis, alors que 20 millions d’habitants se sont inscrits au chômage en un mois, les projets de grèves se multiplient sous la bannière #CancelRent sur Twitter. Un groupe national, Rent Strike 2020, a réuni 1,8 millions de signatures pour la suspension du paiement des loyers et des charges, et le remboursement des emprunts immobiliers. Le mouvement touche de nombreuse grandes villes du pays : New York, Los Angeles, Philadelphie, San Francisco, Atlanta… D’après The Guardian, au Royaume-Uni, des centaines d’étudiants refusent de payer leur loyer !
« Si la société avait mieux gérée avant, on en serait pas là »
Le premier constat en France, c’est celui d’une crise sociale de grande ampleur qui vient se superposer à la lente mais sûre dégradation des conditions de vie des personnes les plus pauvres en France ces dernières décennies, le résultat tendant à virer à la catastrophe sociale. « Pour nous, la priorité en terme d’action, ce sont les maraudes, c’est là où on trouve beaucoup de personnes en difficulté », nous confie Sébastien, l’un des animateurs de la toute nouvelle section montpelliéraine du collectif DAL, inquiet mais nullement résigné. « Le public s’est élargi : au-delà des sans-abri qui y viennent en temps normal, on a de nombreux travailleurs pauvres, qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts à cause d’une réduction de revenus ou de l’augmentation des prix. » Un ressenti que nous confirme Hamza, infatigable bénévole de l’Association Humanitaire de Montpellier, de toutes les maraudes : « Je le vois en discutant avec les gens qui viennent, on a des jeunes couples qui s’étaient trouvé un boulot dans des restos juste avant la fermeture au début du confinement, qui n’ont pas de chômage, et qui sont trop jeunes pour toucher le RSA. Ou des gens qui ont été mis au chômage technique, mais qui ne le touche pas encore parce que les délais administratifs sont trop longs. »
Selon une enquête réalisée par la Fondation Jean-Jaurès (FJJ), sur l’ensemble du territoire français, 35% des actifs ont subi une baisse de leurs revenus d’activité à la suite du confinement, 29 % ont connu une baisse partielle, et 6% n’ont plus rien perçu. Et sans surprise, la baisse touche encore plus les catégories populaires, qui exercent souvent des professions manuelles non-compatibles avec le télétravail.
Face à cette réalité, le ministre du logement Julien Denormandie a annoncé le 18 avril le versement d’une aide financière pour « 4 millions de foyers ». Mais celle-ci ne concerne pas les jeunes de moins de 25 ans sans ressources qui ne sont pas éligibles au RSA. L’aide est aussi limitée dans son montant, bien inférieur à ce qui était demandé par les associations. Pour une personne seule, l’aide, rapportée aux deux mois de confinement, représente 2,5 euros par jour…
Ni les quelques 200 000 personnes à la rue en France – on comptait avant le confinement au moins 3000 SDF à Montpellier et 2000 habitants de squats ou bidonvilles – et qui, avant de se soucier de payer un loyer, doivent trouver un endroit décent où loger. Un chiffre qui a augmenté de 50% entre 2001 et 2012, selon un document de la Fondation Abbé Pierre. Et derrière lequel se cache un drame humain, social, politique : plus de 2000 personnes à la rue meurent chaque année… Comme Mohamed Boutahri, Reda, Cyrille Ouvrard, tous les trois décédés dans les rues de Montpellier en décembre 2019.
« On a eu des remontées de terrain qui ont fait état de quatre verbalisations de SDF, plutôt au début du confinement, pour non-respect de celui-ci », affirme Sébastien du DAL. Maintenant, heureusement, ça à l’air de s’être arrangé ». Plusieurs circulaires ont été adressées fin mars aux préfets pour limiter ce type de dérives, demandant notamment de faire preuve d’une certaine « tolérance, […] afin de ne pas entraîner un renoncement à l’accès des dispositifs essentiels et inconditionnels. » Ce qui n’a par contre pas empêché la justice de condamner un sans-abri d’Indre à deux mois de prison ferme pour non-respect du confinement le 21 avril.
La situation de précarisation massive est encore accentuée par le dysfonctionnement de nombreuses administrations, comme la Caisse primaire d’assurance maladie et la CAF. « Au point que certaines pharmacies des quartiers populaires de Montpellier peinent à se faire rembourser, et réimpactent le coût sur les clients ! » raconte Sébastien.
Si les expulsions et les coupures d’eau et d’électricité ont été suspendues jusqu’à fin mai dans le cadre de l’extension exceptionnelle de la trêve hivernale, rappelons que le nombre d’expulsions locatives avec le concours de la force publique augmente sans cesse, avec près de 36 000 personnes concernées en 2018. Pour la Fondation Abbé Pierre, il faudrait compter « deux ou trois fois plus de personnes expulsées, car beaucoup partent d’elle-même avant l’arrivée des forces de l’ordre ! » Ce qui promet une grosse vague de personnes jetées à la rue après les mesures de confinement. Déjà, avant le confinement, 1 210 000 locataires étaient en situation d’impayés, d’après le même document de la Fondation Abbé Pierre. Et, selon nos informations, des squats montpelliérains seraient d’ores et déjà menacés d’expulsion.
Le constat du militant pour le logement est alarmiste, accablant : « Si la société avait mieux géré avant, on n’en serait pas là. Après le confinement, avec en plus la crise économique qui arrive, on fait toujours payer à ceux d’en bas, et ça va être une véritable catastrophe sociale ! »
« Les bailleurs et les propriétaires font pression pour percevoir leur thune »
Pour estimer l’ampleur la population mise en difficulté par le confinement dans le paiement des loyers, l’économiste Pierre Concialdi croise l’enquête de la FJJ mentionnée plus haut sur les baisses de revenus avec l’enquête sur le logement de l’Insee, qui permet de repérer le statut d’occupation du logement (locataires, accédants, propriétaires). Entre 4 et 4,3 millions de ménages, soit 9 à 10 millions de personnes, sont locataires, et perçoivent moins de revenus qu’avant la mi-mars.
Parmi les catégories sociales les plus touchées, on retrouve sans surprise les artisans, les petits commerçants, les ouvriers et les employés. Ces trois catégories concentrent 70% de la population « à risque » depuis le début du confinement, alors qu’ils rassemblent à peine plus de la moitié des ménages.
Avec un repérage approximatif des foyers concernés aux plus bas revenus, ou aux plus faibles économies leur permettant de faire face, Pierre Concialdi avance le chiffre de 6 à 7 millions de personnes soumises à des tensions budgétaires sévères en rapport avec le loyer, à la suite du confinement !
Une situation catastrophique qui trouve un terrain de progression favorable dans le résultat des politiques libérales menées depuis des décennies, qui ont petit à petit érodé le pouvoir d’achat. Selon la définition retenue par l’Insee des « dépenses contraintes », qui ne prend même pas en compte l’alimentation et dans laquelle les loyers pèsent énormément, cette part des dépenses était en moyenne de 27% en 2017 contre 12% en 1960.
Malgré cette situation difficile, à Montpellier comme ailleurs, les nombreux locataires qui ont des impayés subissent les foudres de ceux qui devraient encaisser leur argent. « Face aux retards de loyer, on a de nombreux bailleurs ou propriétaires qui font pression pour percevoir leur thune » affirme Sébastien, en colère. Des associations qui touchent des subventions sont maquées avec les bailleurs pour faire payer les gens, avec un discours plus social : elles insistent pour faire accepter les mesures d’échéancier des paiements en retard. Ça peut dépanner les gens, mais c’est très ponctuel, et ça ne règle pas le problème de fond, ils devront quand même payer à un moment ou à un autre ! »
Le collectif DAL de Montpellier a d’ailleurs lancé une première campagne, pour sensibiliser les gens, et pour qu’ils aient a minima des contacts à joindre pour ne pas rester isolés face aux pressions, pour trouver des solutions.
« C’est d’autant plus dégueulasse que malgré les annonces du gouvernement pour dire que toutes les allocations seront maintenues avec des largesses pendant l’épidémie, concrètement, les services administratifs ont des difficultés pour tourner normalement. Dans les foyers, beaucoup on des problèmes d’APL ! J’en fais partie : depuis février, j’ai des réductions de l’allocation adulte handicapé et des allocations logement. Et impossible de faire régulariser ma situation auprès d’une administration pour le moment trop débordée par la crise ! Résultat : ces derniers temps, je touche seulement quinze euros d’APL ! »
Encore une fois, le militant pointe les conséquences des politiques précédentes, notamment sur le Fond de Solidarité Logement (FSL), une dotation de 340 millions d’euros à la gestion des collectivités territoriales, et censée soutenir les ménages en difficulté dans les dépenses liées au logement. « Le problème, c’est qu’avant, c’était une aide qu’on percevait cash ; maintenant, les collectivités territoriales ont la possibilité d’en faire un crédit ! Ok, ça soulage les gens face à des difficultés temporaires, mais ça ne règle pas le problème, ils devront payer plus tard… »
Cette réforme laisse des situations assez variables selon les collectivités territoriales, et laisse le champ libre aux politiciens les plus cupides et réactionnaires. Ainsi, dans l’étude gouvernementale sur le fonctionnement du fond en 2016, le vice-président à l’habitat du conseil général du Bas-Rhin n’y va pas par quatre chemins : « le FSL n’est pas un droit ! » Avant de se réjouir des quelques 600 000 euros de recettes perçus grâce aux remboursements des aides accordées sous forme de prêts ! « C’est pour ça qu’au DAL on a pour revendication que le FSL soit à nouveau exclusivement utilisé comme une subvention ! » renchérit Sébastien. Comme c’est laissé à l’appréciation des collectivités locales, après le confinement on aura des pistes de mobilisation, des possibilités de luttes efficaces à une échelle locale. » Subvention ou prêt, le FSL, qui existe depuis le début des années 1990, ne permet pas de compenser les coupes de 3,9 milliards par an dans les APL depuis 2017.
Pour lui, « une autre solution pourrait être de faire garantir les loyers à la Caisse des Dépôts. » Une banque publique qui rend ses comptes aux deux chambres du Parlement, le Sénat et l’Assemblée nationale, et qui est donc directement soumise à l’action des politiques.
« Payer un loyer pour vivre dans ces conditions, ça fait chier ! »
Sébastien, lui-même en situation de mal-logement, habite dans un des foyers Adoma, anciennement Sonacotra, de la ville de Montpellier. « Le foyer réuni les gens, soi-disant de manière transitoire, dans des conditions vétustes, avec cent personnes par bâtiment. Une situation qui nous inquiète avec le confinement. On a 285 habitants au total dans la résidence, donc ça fait du monde pour que le virus tourne. Avec un public de chibanis (maghrébins âgés), des personnes assez âgées et immigrées, venues travailler en France. Ils sont particulièrement exposés aux complications virologiques, et certains d’entre eux ne maîtrisent pas très bien la langue française. Malgré le désappointement, passe encore qu’aucune communication n’ait été faite sur les gestes barrières, mais quand on a vu qu’il n’y avait pas ou très peu de nettoyage, avec un état sanitaire déplorable dans les bâtiments – parce que la politique du bailleur tend à réduire les investissements dans l’entretien des résidences –, ça nous a foutu les boules. On peut le faire nous-mêmes, mais on paie quand-même plus de 300 euros de loyer pour des chambres de 7m², sans douche ni chiottes parce que c’est inclus dans les parties communes ! Alors qu’Adoma est un des bailleurs social les plus riches qui existe ! »
Au début du confinement, Mohssine, co-fondateur de l’association Niya sur la ville, et autre figure locale de ce peuple qui n’accepte pas les choses comme elles sont, qui râle, se mobilise et pallie à l’incurie de l’État, a pris les devants avec un de ses collègues : « On est allé voir sur le terrain, à la résidence, suite à des coups de fil qu’on a reçu au début du confinement. Avec ce qu’on a vu de nos yeux, et les nombreux témoignages de résidents qui se recoupaient, ça nous a un peu révolté, alors on a envoyé un courrier au directeur de la résidence. On a pu y constater beaucoup de proximité forcée entre les résidents. » Si les coups de pression ont porté leurs fruits, Sébastien garde une rancœur certaine envers les gestionnaires de sa résidence. « Depuis, ils passent pour assurer une désinfection deux fois par semaine, avec une seule personne pour les trois bâtiments. Mais ils ont mis des affiches dans les couloirs pour bien préciser qu’ils ne sont pas disponibles pour nos demandes pendant le confinement ! Ce ne serait pas le rôle d’un bailleur social d’être au moins présent pour répondre aux interrogations des gens pendant une crise sanitaire aussi déroutante que celle-ci ? Surtout avec ce type de public ! Même chose dans le parc HLM géré par Hérault Habitat au Petit Bard : ils ne passent pas ramasser les poubelles, et ça date d’avant le confinement ! »
Cet établissement fait depuis longtemps l’objet d’alertes quant à ses conditions de salubrité, mais ses gestionnaires refusent sa rénovation au prétexte de la construction à venir d’un nouveau foyer, situé plus loin du centre-ville, à Euromédecine, isolant donc toujours plus ses pensionnaires. Ceux-ci n’ont d’ailleurs toujours pas été mis au courant officiellement de ce déménagement à venir.
Hamed, lui, habite à la résidence du Logis des Pins à la Paillade, gérée par le bailleur social Érilia. Venu depuis deux ans de la Loire pour changer de vie, il se retrouve aujourd’hui coincé dans des bâtiments complètement délabrés, où en matière de rénovation, l’inertie fait loi.
« Ici, ça sent la pisse dans toutes les cages d’escaliers. Juste avant le confinement, on a commencé à faire tourner une pétition, avec d’autres locataires, sur les travaux qui ont commencé à l’initiative d’Érilia, sur l’isolation des bâtiments. C’est bien qu’ils isolent enfin, mais là, ils veulent le faire à moitié seulement, d’un seul côté des murs ! Ce n’est pas conforme aux normes ITE du décret de 2017, ça ne va pas être efficace ! On a eu beaucoup de signatures, 170 sur les 250 logements de la résidence ! Autant les travaux que la mobilisation naissante, ça a été interrompu pour le moment par le confinement… », témoigne le père de famille, ton énergique mais décontracté. Quand je suis arrivé l’isolation était faite avec des joints, mais il y avait du jeu partout, et j’ai dû tout changer moi-même. Ça passe encore parce que j’ai une fibre un peu bricoleuse, mais ce n’est pas le cas de tout le monde, et puis vu les loyers qu’on paye, c’est pas à nous de le faire ! »
Érilia, société marseillaise qui se présente sur son site internet comme « fidèle à sa mission d’intérêt général », lui fait payer 575 euros de loyer ! « Super cher pour un logement en aussi mauvais état que celui-ci ! » commente-t-il. Il faut dire que j’ai presque mille euros par mois de facture d’électricité, avec les hivers où il faut chauffer à fond parce que la chaleur part tout de suite ! Je fais attention pourtant ! Là aussi, à mon arrivée, c’était un thermostat manuel qui réglait la température, ce qui est assez approximatif pour ce qui est de faire des économies. J’ai eu beau faire des pieds et des mains, rien, j’ai dû le changer moi-même pour un thermostat électronique ! »
En France, selon le dernier rapport sur le mal-logement publié en janvier 2020 par la Fondation Abbé Pierre, 3 558 000 personnes ont froid chez elles en hiver, alors que le nombre de Français amenés à se priver de chauffage est en hausse de 44% depuis 2006.
« Dans l’appartement, les prises sont pas à la terre, c’est un danger grave pour tout le monde ! reprend Hamed. Les radiateurs finissent toujours par éclater à cause des micro-fuites d’eau qui provoquent de la rouille. La seule chose que j’ai réussi à leur faire changer par eux-mêmes, ça a été des placards cassés à mon arrivée. Et encore, il a fallu que j’aille dans leurs bureaux et que je leur parle de les signaler à l’UFC Que Choisir ! »
Une source de tensions supplémentaires d’après lui, alors qu’il trouve que l’ambiance est déjà parfois minée par les galères incessantes des résidents : « Moi, je suis quelqu’un de calme, mais à force, il y a de quoi faire péter un câble aux gens : l’ancien gestionnaire de la résidence s’est fait frapper par un locataire, après avoir refusé de changer un des éléments de ses toilettes. Après, il est parti travailler à La Martelle ! »
Hamed continue à égrainer, un à un, les failles, défaillances, délabrements en tout genre avec lesquels on vit par chez lui. « Les bâtiments s’enfoncent dans le sol, à cause d’anciens canaux d’irrigation creusés en dessous. Du coup, dans l’immeuble, on a des fenêtres qui ne ferment pas ! Avant le confinement, je voulais amener mon scooter resté dans la Loire pour le boulot, mais Érilia loue les garages à des gens extérieurs à la résidence, et dans les parties communes ou dehors, je vais me le faire voler très vite ! »
Comme tout bon bailleur social qui se respecte, la société marseillaise se veut proche de ses locataires, à l’écoute… Hamed, lui ricane allègrement à ce propos : « Ils organisent des réunions de concertation, mais en fait, ce sont des réunions d’information, on n’a pas notre mot à dire ! » Des consultations fantoches qui ne font malheureusement pas exception dans le petit monde du logement social, y compris sur des sujets de toute première importance. Qu’on regarde un peu, en lisant cet article du Poing, du côté de l’époque des rénovations au Petit Bard, où les consultations organisées autour des destructions de barres d’immeubles et des plans de relogement laissaient peu ou prou les habitants avec le même ressenti qu’Hamed, que ce soit du côté du bailleur ACM ou de celui de l’Agence de Rénovation Urbaine.
En France, selon le document de la Fondation Abbé Pierre, près de 4 millions de personnes souffrent du mal-logement, dans sa définition la plus scabreuse. Plus de 2 millions d’entre eux vivent sans eau courante, douche, WC intérieurs, coin cuisine, ou moyen de chauffage, ou avec une façade très dégradée. En Occitanie en 2019, 182 000 personnes seraient concernées par le mal-logement ! Alors que la région compte à ce jour 22 525 logements inoccupés depuis plus de deux ans, soit 10% des appartements vacants en France. (200 000 sur l’ensemble de l’Hexagone).
Mais autour de ces chiffres se dessine un halo beaucoup plus large, aux contours parfois flous, de personnes affectées par la crise du logement, de manière moins prégnante, mais avec de réelles répercussions sur la vie de famille, la santé, l’environnement quotidien, le confort ou les fins de mois.
Dans la résidence du Logis des Pins, beaucoup ont comme des envies de mettre les voiles, de prendre le large. « Beaucoup on fait des demandes de mutation, mais pour la plupart les seules réponses qu’on a, c’est pour basculer sur un autre étage : du foutage de gueule ! » s’indigne Hamed. Laissons le mot de la fin à Sébastien : « Payer un loyer pour vivre dans ces conditions, ça fait chier ! »
« Des gens ont fait des demandes de logement depuis 10 ans, ils n’obtiennent rien, et terminent à la rue ou en foyer »
« Quand je suis arrivé à la résidence, dès le début je voyais ça comme un habitat provisoire, parce que je savais que ce serait comme un ghetto ici » raconte Hamed Les gens à l’extérieur ne se rendent pas forcément compte, mais pour trouver du boulot, quand ton adresse c’est ce genre d’endroit, c’est moins facile. Par exemple, quelques semaines avant, je discutais avec le désinsectiseur qui passe dans la résidence. Il me raconte que la fille d’une amie proche, sur Nîmes, habite dans le quartier des Costières, une partie populaire de la ville qui a mauvaise réputation. En étude, elle cherchait un stage pour être avocate, et elle essuyait refus sur refus. Du coup il l’a domicilié chez lui pour ses demandes, et là pour le coup, elle s’est trouvé une place assez vite… Alors moi j’aimerais bien ne pas rester coincer ici ! »
« Chez les bailleurs sociaux, les demandes de mutation sont complètement à l’arrêt avec le confinement, ce qui justifierait en soi le gel des loyers, puisqu’un des services essentiels n’est pas du tout assuré ! », estime Sébastien. Fort de son expérience de militant du DAL, il voit des gens littéralement coincés dans des logements, insalubres parfois, souvent pas ou plus adaptés aux besoins des familles qui les habitent. Quand ils ont la chance d’avoir une affectation ! « D’une manière générale, au DAL, on a des gens qui ont fait des demandes depuis dix ans auprès des organismes HLM, qui n’obtiennent rien, et qui finissent à la rue ou dans des foyers. » Un constat corroboré par des témoignages de montpelliérains dans Politis ou Midi Libre.
« Le quota légal pour les HLM est respecté à Montpellier, mais ça n’a pas l’air de suffire. Et les villes autour, comme Castelnau, ne le respecte pas du tout. » Le taux de logements sociaux atteint 16% des objectifs fixés selon les chiffres de 2016 dans l’ensemble des communes de l’agglomération Hérault-Méditerranée. De manière générale, la construction de nouveaux HLM s’essouffle dans l’Hérault, selon les dernières données de l’ADIL.
Dans l’ensemble du pays, les objectifs en termes de construction de logements sociaux ne sont pas atteints.
Face à un marché immobilier en tension avec l’accroissement démographique, l’Occitanie ne produit toujours pas assez d’habitats à loyer modéré. Beaucoup moins encore que dans le reste du pays. Conséquence, seulement 30% des demandes sont satisfaites. Fin 2018, 145 027 ménages étaient en attente après une demande d’HLM dans la région Occitanie. Soit un nombre de personnes difficile à estimer, mais beaucoup plus important encore. Toujours dans la région, 21 000 ménages ont demandé un hébergement d’urgence durant l’année 2017. Sur Montpellier début 2019, on en était à 24 000 demandes de logement social en attente. 40 284 dans l’Hérault au premier janvier 2017, selon l’ADIL. Malgré les promesses du maire Philippe Saurel, on compte à Montpellier sept demandes en moyenne pour un logement social : un taux record ! Mais malheureusement à peu près comparable aux dernières données de l’ADIL concernant l’ensemble du département.
Les loyers, comme celui d’Hamed, sont souvent jugés trop importants par les locataires. Et pour cause… En 2017, toujours selon l’ADIL, 75% des demandeurs de logements sociaux sont éligibles à un logement très social (PLAI), avec une attention encore plus grande portée à de bas prix. Cependant et depuis 2015, seulement 29% des logements mis en service relèvent de ce financement. Le décalage est important entre les revenus des demandeurs et l’offre nouvelle qui est constituée très majoritairement, à 66%, de logements PLUS.
Les responsabilités de chacun des acteurs de l’action publique se diluent, entre municipalité, département, État, Justice, organismes HLM, ce qui freine l’action publique, puisque chacun se renvoi la balle.
Depuis deux ans que Hamed essaie de se dégoter un autre logement social ailleurs, et après de nombreuses visites dans les bureaux des gestionnaires de la résidence, il n’arrive pas à obtenir une explication satisfaisante. « Leur réponse, je ne la comprends pas : ils me donnent l’argument du prix, parce que les locations que je demande à Castelnau ou dans les locaux tout neufs qu’ils ont construits à Baillargues, ça coûte entre vingt et cinquante euros de plus tous les mois. Mais pour ce prix, franchement, ça ne fait pas une grande différence pour moi, j’ai le droit de vouloir mettre quelques dizaines d’euros de plus dans mon logement pour avoir quelque chose de plus propre, de moins délabré, dans une zone qui a meilleure réputation ! Pour ce qui est des autres bailleurs, pareil, pas de réponse ! »
Lui soupçonne le bailleur social de s’adonner à une forme de fichage ethnique : « Dans cette résidence du Logis des Pins, c’est simple, il n’y a que des arabes et des gitans, quelques polonais et quelques russes aussi. À mon avis, ils gardent tous les bons bâtiments pour les gens un peu moins pauvres, ou moins basanés que nous ! Les quelques blancs qui passent ici, ils obtiennent une mutation assez vite. En plus, le nombre d’habitants de mon foyer augmente : j’ai déjà un gosse, en 2019 un second est né, et ma femme est venue habiter avec nous, depuis la Loire. Elle est enceinte. Elle est venue s’installer ici pour qu’on soit près l’un de l‘autre mais aussi pour des raisons de santé, parce qu’elle a des problèmes de cœur et d’hypertension, et qu’elle a besoin qu’on s’occupe d’elle par moment. De base, elle voulait prendre un appartement pour elle. Au niveau de la préfecture, quand elle a fait une demande au niveau du DALO (dispositif droit au logement opposable), ils ont jugé que sa situation ne le nécessitait pas ! » L’ADIL 34 notait pour l’année 2017 une baisse de 7% des réponses positives à ce dispositif, censé rendre prioritaire sur les listes d’attribution logements ceux qui ont des problèmes à ce niveau-là. Une baisse installée dans le temps, puisque les années précédentes ont suivies la même dynamique.
« Résultat : on va se retrouver à quatre, bientôt cinq, dans un F3, donc avec deux chambres ! Si on veut se garder une chambre pour nos deux, on aura les trois gosses entassés dans la même pièce. Ça devrait justifier de pouvoir changer de logement social quand même ! » s’emporte-t-il. Selon la définition de l’Insee, la famille d’Hamed s’apprête à rejoindre la catégorie des locataires en état de surpeuplement dit modéré, comme 4 299 000 autres personnes modestes . Selon l’étude de l’ADIL 34, le nombre moyen de pièces proposées dans le parc social du département est inférieur au nombre de pièces moyen demandées par les futurs locataires.
934 000 personnes sont condamnés aux petits espaces et vivent dans des conditions de surpeuplement accentué. Ce qui signifie à quatre dans 30m², ou à deux dans 9m². Ou encore avoir deux pièces de moins par rapport aux normes de logement.
Un appel aux retards de paiement pour obtenir un moratoire sur les loyers
Alors, depuis le début du confinement, ça s’agite sur les questions liées au logement. Dans une lettre adressée au ministre du logement Julien Denormandie dès le 21 mars, le DAL et d’autres organisations demandent des mesures fortes à la hauteur de la crise, comme, par exemple, prononcer un moratoire sur les loyers pour les locataires, sur les traites dues aux banques dans le cadre de crédits pour les accédants à la propriété. Et ce pendant toute la durée de l’épidémie. Avec, en prime, la réquisition de tous les logements vides en France.
« On demande une exonération des loyers dans le parc locatif social, dont les acteurs partout en France ont réduit les services à destination des locataires ces derniers temps » développe Sébastien. Chez les bailleurs sociaux, quand un carreau est cassé, il n’est pas remplacé avant des semaines, parfois des mois… Dans le même temps les prix ont augmenté de 10 à 14% ! » Dans sa résidence du Logis des Pins, Hamed est de la partie : « Quand on entend parler de moratoire sur les loyers, ou de ne plus les payer, c’est vrai qu’on y est sensible ! Déjà en temps normal on n’a pas envie de payer un loyer pour des taudis pareil. Mais là, avec le confinement, les gens ont moins de revenus… Et puis on dépense plus : aux Halles de Saint-Paul, les tomates sont passées de un à trois euros le kilo ! »
Autour de la campagne, un site internet, Loyers suspendus, centralise les informations et développe des revendications. On y apprend que le mouvement demande notamment la création d’un fond d’urgence de deux milliards d’euros pour couvrir les frais d’impayés des locataires précarisés. Souhaitée aussi, l’annulation de toutes les sanctions liées aux impayés, comme la suspension des APL au bout de deux mois, les frais de procédure de cent euros qui accompagnent une mise en demeure de payer, ou encore les frais bancaires pour rejet de prélèvement. Troisième point : une mobilisation des services sociaux et des tribunaux d’instance pour prononcer l’exonération partielle ou totale des loyers impayés en fonction des revenus du ménage et un éventuel échéancier pour les locataires et accédants les plus aisés seulement. Avec des mesures comparables destinées aux accédants à la propriété écrasés par leur crédit, et un plan d’aide aux proprios qui ne loueraient qu’une seule habitation.
Le levier d’action et de pression privilégié par les participants à la campagne, c’est de retarder les paiements de son loyer, en soutien à ceux qui seront dans l’incapacité totale de le payer. « Vous suspendez votre loyer par solidarité, pour demander le moratoire, et mettez l’argent de côté, pour rembourser à la fin de la crise sanitaire ou quand des mesures auront été prises par le gouvernement. » S’en suivent toute une batterie de conseils pratiques, sur les risques encourus, les démarches à suivre, et que l’on peut consulter directement ici. Une pétition est également disponible. Prudents ou frileux, selon le point de vue, les participants à la campagne avertissent : « Il est plus prudent de reprendre le paiement du loyer à la fin du premier mois, ou au début du deuxième mois, aucune autre sanction que les frais de mise en demeure ne pouvant être appliquée à ce stade. » En l’état actuel, le site de la campagne ne propose d’ailleurs que peu de conseils pour les gens désireux de s’engager dans une grève des loyers plus dure.
« Je serais favorable à une grève plus dure, dans l’idée », regrette Sébastien. Après, là où ça coince, c’est plus dans le concret : au foyer Adoma où je suis par exemple, on l’a déjà expérimentée, ça a assez mal tourné, on a eu des gens, qui dès qu’ils avaient plus de 480 euros sur leur compte, se faisaient saisir, avec le gros inconvénient qu’on ne sait même pas quand ça tombe, que ça prend au dépourvu et que ça peut rendre caduque les tentatives d’organiser son budget ! D’autres sont passés devant les tribunaux, et ont perdu. Même histoire au Petit Bard, avec des grèves tournées contre les bailleurs sociaux du coin. Des techniques existent pour mener à bien ce type de mouvement, en ne payant qu’une petite partie de son loyer par exemple, mais elles sont assez complexes et nécessitent pas mal d’explications, pas mal d’accompagnement. Parce que la pratique de la grève est très différente selon si on loue chez un bailleur social, ou dans le privé, en agence, ou à des particuliers, qui peuvent avoir de leur côté des revenus assez variés. » Avant de regretter la quasi-absence de traditions de luttes sur les loyers en France : « En Espagne, ils y sont plus habitués, c’est un type de mouvement qui a repris beaucoup d’ampleur avec les effets de la crise de 2008, et qui laisse donc une base importante toute prête à se mobiliser sur la question ! »
Le collectif altermondialiste V de Vivienda dans les années 2000, puis la PAH, plateforme populaire lancée en 2009 pour empêcher les expulsions de ménages endettés – et dont est issue l’actuelle maire de Barcelone, Ada Colau –, ont rappelé la vigueur du mouvement pour le droit au logement en Espagne. Sans oublier le mouvement squat, particulièrement puissant en Catalogne.
Pour tout le monde, la distanciation sociale imposée par l’épidémie de coronavirus semble être un obstacle de taille. Hamed et Sébastien, chacun de leur côté pointent la difficulté à vraiment discuter avec leurs voisins, à nouer des liens de confiance forts. Et puis les mobilisations physiques ne sont pas encore à l’ordre du jour…
« Moi je ne veux contaminer personne, je fais mes courses et je rentre directement à la maison. Plusieurs voisins étaient d’accord avec moi dans la résidence, mais va savoir qui serait vraiment là s’il se passait quelque chose au niveau des loyers ! » déclare Hamed. Même constat chez Sébastien : « Avec le confinement, on n’a très peu de possibilités d’interactions. Même pour faire signer notre demande de moratoire et provoquer des discussions sur ce sujet, c’est assez galère. Les réseaux sociaux, ça n’apporte pas le sentiment de solidarité charnelle que les gens développent en se fréquentant, et ce serait pourtant un élément indispensable à une grève des loyers plus dure. Puis autant dans certaines barres HLM les réseaux sociaux sont pas mal utilisés, autant par chez nous, par contre, avec notre public de chibanis, c’est pas dans leur culture. Et vu leur fragilité face à une infection, on ne va pas s’amuser à leur faire prendre des risques inconsidérés en faisant du porte-à-porte ! » Loin de sonner le glas de toute tentative de mobilisation, ce constat pousse Sébastien et ses comparses à adapter leurs formes d’action, par exemple en faisant de l’affichage autour des points de distribution alimentaire de Montpellier, où se concentrent un nombre croissant de travailleurs pauvres ou de chômeurs, potentiellement en difficulté face au paiement de leur loyer.
De leur côté, des associations de locataires comme la Confédération nationale du logement réclament elles aussi des mesures, parmi lesquelles on compte l’exonération des loyers pour les étudiants, ou la création d’un fond d’indemnisation des habitants, pour couvrir par exemple les frais d’énergie supplémentaires générés par la surfréquentation du foyer ces dernières semaines, et financé par les amendes pour non-respect du confinement et par une taxe spécifique sur le chiffre d’affaires des plateformes de commerce en ligne et des groupes de la grande distribution, qui voient celui-ci exploser avec la crise sanitaire en cours. Sur la question du moratoire, en dehors des étudiants, la CNL semble plus timide, envisageant d’ores et déjà un simple étalement des échéances de paiement. Elle met à disposition sur son site internet des modèles de lettres-type pour demander un échéancement du paiement des loyers.
« Ni loyer, ni facture, on ne paie plus ! »
C’est le slogan affiché au fronton de la page Facebook « Onnepaieplus31 ». Visiblement adeptes d’une grève des loyers plus dure, des collectifs essaient de se monter un peu partout en France via les réseaux sociaux. Le Poing a passé un coup de fil à Clémence (prénom modifié), étudiante sur Caen et mobilisée dans les réseaux de coordination et d’organisation de cette grève des loyers. « De la mi-mars à la mi-avril, on a surtout fait beaucoup d’efforts pour recueillir et compiler des éléments de défense juridique fiables, et faire de l’agitation auprès de la population via des affiches, avec les maigres moyens dont on dispose actuellement avec le confinement. » La campagne – unie sous le slogan « On ne paiera pas leur crise », comme en Espagne avec le Plan de choque social revendiqué par les grévistes – se veut incluse dans une plateforme beaucoup plus large. Au programme, l’arrêt de toutes les formes de travail, y compris à distance, des fournitures de protection sanitaire pour tout le monde en nombre suffisant, la libération des prisonniers, ou encore la mise à disposition directe à la population des logements vides.
« Les outils nationaux sont surtout tournés vers du matériel commun de défense juridique et de propagande » poursuit Clémence. On a un site internet qui devrait bientôt être prêt, une page facebook, un compte twitter et un canal telegram pour regrouper les gens de tout le pays. Maintenant, on entre dans une phase un peu plus concrète. L’organisation se fait plutôt à l’échelle locale, via une multitude de pages facebook ou de comptes twitter centrés sur une ville. Sur Caen c’est mi-figue, mi-raisin… On a lancé des groupes de discussion sur les réseaux sociaux, avec un succès mitigé. Pas mal de gens viennent poser des questions, par contre on n’a pas tant de personnes que ça qui sont dans la perspective de s’y engager réellement, en dehors des cercles habituels de militants. De nombreux propriétaires sont venus pour nous pourrir sur les réseaux, certains sont même passés aux menaces et aux intimidations. Ce qui, avec en plus la peur de la justice, doit rebuter les gens, avec qui on n’a pas trop l’occasion de tisser des relations de confiance avec le confinement… Par contre, on a eu des retours d’accédants à la propriété, qui eux voudraient arrêter de payer le crédit auquel ils ont souscrit auprès d’une banque pour obtenir leur maison ou leur appartement. Même si beaucoup de proprios sont des gens assez riches, et qui dans tous les cas vivent sur le travail de leurs locataires, on remarque bien qu’on a un capital sympathie bien plus élevé quand il s’agit de ne pas payer auprès d’un bailleur social ou d’une agence de location, encore plus quand il s’agit de banques ! D’autres retours viennent de petits commerçants qui aimeraient rejoindre la mobilisation, pour obtenir plus que le simple report de leurs loyers annoncé par le gouvernement au début du confinement. Avec leurs recettes qui baissent drastiquement, ils sont très inquiets de la sortie de la crise sanitaire. Mais pour le moment on n’arrive pas forcément à trouver des moyens de les intégrer concrètement au mouvement qui essaie de prendre forme. »
Clémence, qui elle a les moyens de payer son loyer le mois prochain, mais aimerait participer à la grève en soutien à ceux qui ne les ont pas, a réussi à discuter de la grève avec ses voisins. Mais concède qu’elle est peut-être dans une situation particulière, puisque dans son bâtiment il y a une longue histoire d’entraide et de petites solidarités. Beaucoup de ses amis partisans de la grève ont, comme Sébastien et Hamed, beaucoup de mal à échanger autour du mouvement, à cause des mesures de distanciation sociale. « Dans beaucoup de ville ça a encore du mal à s’installer, mais à Toulouse par exemple ça prend relativement bien. »
Le mouvement toulousain, organisé autour notamment de la page facebook et du groupe telegram « Onnepaieplus31 », met à la disposition un guide d’astuces, nettement plus poussé que celui du site de la campagne Loyers suspendus pour ceux qui voudraient s’engager dans une grève dure. La méthode se veut proche de celle évoquée par Sébastien de Montpellier. Il s’agit de payer une petite partie du loyer, autour de 10%, pour retarder les procédures des proprios. Pour qui le veut, de se serrer la ceinture pour mettre de côté le montant dû, au cas où l’affaire tournerait mal. « De la manifestation à l’occupation d’agences, nos moyens sont nombreux. Une méthode qui a fait ses preuves consiste à afficher les propriétaires et les bailleurs qui expulsent » : après le confinement, les grévistes du loyer misent sur la force de l’action collective dans la ville rose pour assurer les arrières des participants. Le groupe revendique pour le moment une liste assez fournie d’agences dont certains locataires se sont manifestés pour prendre part à la fête : Foncia, Century 21, Bonnefoy Immobilier, Altéal, Atrium, Patrim&Co, Soprim, Cythia Immobilier et Rothey Cazaux Immobilier !
Sur Montpellier, des propagateurs de la grève des loyers collent des affiches autour du quartier Rondelet, et proposent soit d’en donner, soit de prendre en charge les frais d’impression pour celles qu’on leur proposerait. Pour les contacter, écrivez un mail à l’adresse du média montpelliérain Le Pressoir : lepressoir@riseup.net
Un rapport de forces en train de s’installer ?
Premier effet de ces mobilisations, des institutions commencent, timidement et parfois en se contentant d’un effet d’annonce, à chercher à rassurer les locataires ou habitants. Comme EDF, qui depuis quelques semaines envoie des mails titrés « EDF prend des mesures inédites » à ses clients. On peut y lire les choses suivantes : « Fidèles à nos valeurs de responsabilité et de solidarité, nous mettons en œuvre des mesures inédites pour aider nos clients particuliers dans les circonstances difficiles qu’ils peuvent rencontrer avec la crise sanitaire du Covid-19. EDF garantit la fourniture d’énergie à l’ensemble de ses clients particuliers et suspend, jusqu’au 1er septembre 2020 [soit plusieurs mois après la fin de la trêve hivernale reportée au 31 mai par le gouvernement], toute réduction ou interruption d’énergie ainsi que toute pénalité de retard. Nous nous engageons par ailleurs à assouplir les échéances de paiement pour nos clients qui seraient en situation difficile. Nous espérons ainsi leur apporter un peu de sérénité pour le paiement de leurs factures. »
Par ailleurs, on apprend ce 19 avril que la mairie de Paris a annoncé un moratoire sur les contentieux dans les logements sociaux, avec possibilité de mettre en place un échéancier des paiements, alors que, toujours selon la mairie, un parisien sur quatre vit dans un logement social et a vu ses revenus baisser depuis le début de l’épidémie.
À Berlin, à Barcelone ou à Lisbonne, la décision a été prise par les pouvoirs publics, de suspendre les loyers de l’habitat social. En Espagne, sous la pression des associations de droit au logement, le gouvernement de Pedro Sánchez a décidé d’un moratoire sur les expulsions immobilières, durant les six mois suivant la fin de la pandémie. Avec un prolongement automatique des contrats locatifs qui viennent à terme ces jours-ci, et qu’en temps normal, les propriétaires espagnols peuvent rompre facilement. Des mesures qui toutefois restent bien en-deçà des enjeux de la crise actuelle.
Le gouverneur démocrate de l’État de New York Andrew Cuomo n’a pas été plus impressionnant. Pour régler ce qu’il appelle « le problème du loyer », il s’est contenté d’annoncer, en mars, un moratoire de trois mois sur les expulsions, comme l’ont fait d’autres gouverneurs. Cette mesure ne satisfait guère les représentants de locataires qui font remarquer que rien n’empêche l’expulsion des grévistes à l’expiration du moratoire. Ils ne sont pas non plus favorables au report des paiements. « Les locataires seront certainement contraints de rembourser les loyers impayés. Or, s’ils n’ont pas l’argent aujourd’hui, ils ne l’auront pas plus dans trois mois », affirme un d’eux, cité par Médiapart.
Alors, en France comme ailleurs, les locataires en difficulté sauront-ils imposer leurs propres conditions au dé-confinement ? La suite au prochain épisode…
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