Montpellier : inquiétudes et tensions en vue de la réouverture des écoles

Le Poing Publié le 7 mai 2020 à 13:14 (mis à jour le 7 mai 2020 à 15:17)
Sur Montpellier, la communauté pédagogique s'inquiète de la reprise des écoles à partir du 11 mai

Inapplicables, les consignes sanitaires font lourdement question sur le fond. Le flou entretenu par Philippe Saurel, maire de la ville, n’arrange rien.

Une hirondelle ne fait pas le printemps. Mais elle y contribue. Sur ce mode, on a perçu la soudaine réactivation de la mailing list de l’inter-pro montpelliéraine, issue du mouvement des retraites. Ouverte à quiconque, actif.ves ou retraité.es, syndiqué.es ou non, gilets jaunes, toute personne impliquée et désireuse de débattre, cette assemblée éphémère, réunie aux soirs des plus grandes manifestations de rue, était l’un des rares moments où confronter les infos du terrain, de toutes les composantes de la lutte, sans exclusive.

Dans l’action à la porte des établissements, c’est déjà sur des questions scolaires que l’inter-pro s’était montrée concrètement efficace, pour le blocage du nouveau baccalauréat. Puis la mailing list s’est assoupie, au rythme du confinement, jusqu’au réveil soudain, lundi et mardi derniers, avec un crépitement de mails. Ainsi prenait-on connaissance d’un courrier d’un collectif de directeurs d’écoles, adressé conjointement à l’Inspecteur d’Académie et au Maire de la Ville de Montpellier.

Posément argumenté, une semaine après les annonces présidentielles, une semaine avant la réouverture annoncée, ce courrier daté du 4 mai, pointe un manque cruel de réponses à quantité de questions très concrètes se posant en vue de la réouverture des écoles. Il y en a cent-vingt-six dans la ville. Trente mille enfants sont concernés. Devant ce flou généralisé, les directeur.ices affirment que « la responsabilité juridique, concernant les garanties sanitaires en cas de nouvelle épidémie, ne peut relever des équipes enseignantes et en particulier des directeurs, si les risques persistent. C’est pourquoi nous sommes dans l’attente de consignes précises préalables à toute organisation d’une reprise, de la part de notre hiérarchie et souhaitons rapidement connaître les modalités d’engagement de la Mairie dans chaque école, afin de pouvoir assurer les conditions sanitaires et de sécurité et d’éviter tout risque de contamination ».

Rappelons que l’enseignement est de la responsabilité de l’État, mais la logistique, l’entretien, les cantines, sont de la responsabilité municipale. Le paragraphe suivant poursuit : « Nous directeurs d’école ne serons pas en mesure d’ouvrir les écoles à compter du 11 mai, si les tests ne sont pas réalisés, comme il était prévu, si les écoles ne sont pas nettoyées et désinfectées, si les personnels territorial et enseignant sont insuffisants ». En as de la com, Philippe Saurel avait passé sa semaine précédente à squatter les medias nationaux pour se dresser contre la décision présidentielle de réouverture. Mais en praticien du “en même temps”, revenu sur le terrain montpelliérain, il va néanmoins obtempérer, alors que d’autres maires ont eu le courage d’aller jusqu’au bout de leur refus.

A partir de quoi, la lecture de la presse locale mainstream nous apprend que toutefois il se « réserve le droit de fermer les écoles où il y a le moindre doute ». Ce serait le cas d’une dizaine, certaines avec des locaux anciens empêchant la mise en place des distanciations, d’autres proches de ce qui fut des foyers d’infection par le COVID. On note aussi qu’une désinfection générale préalable a été commandée à une société spécialisée œuvrant habituellement dans le secteur hospitalier. Le temps d’accueil anticipé du matin ne sera pas assuré (consacré à un nettoyage quotidien). Mercredi soir on ne savait rien de la garde en soirée, dépendant du personnel disponible. Plus généralement la date d’ouverture au mardi 12 semblait pouvoir s’échelonner « au long de la semaine ».

Sur le terrain, les “Conseils de maîtres” ont pris connaissance du protocole sanitaire hallucinant, par lequel le Conseil scientifique qui suit l’épidémie, semble vouloir justifier son refus initial de rouvrir les écoles, bravé par le gouvernement soucieux de renvoyer les parents au travail. On croirait presque que les consignes ont été pensées pour rendre la manœuvre de terrain la moins réalisable possible.

Évelyne (prénom modifié), enseignante en secteur REP, a ouvert ce protocole, et nous assure : « tu arrêtes de le lire au bout de quatre pages ! » (il en fait cinquante-quatre). La distanciation et la séparation parents-enfants à l’entrée ? « Impensable à gérer, affectivement, mais déjà concrètement. Nous aurions une queue de plus de cent mètres sur un trottoir, d’ailleurs inexistant. Il y aura forcément attroupement ». Les espaces nécessaires de séparation à l’intérieur ? « Ma classe est déjà trop petite en temps normal. Même réduite à quinze élèves, il faudrait déménager le mobilier. Qui va le faire ? Pour le mettre où ? Dans le couloir, facteur aggravant de contamination lors des circulations ? »

Après tout geste barrière enfreint par un enfant, celui-ci doit aller impérativement se laver les mains, accompagné. « C’est moi qui vais l’accompagner ? Le couloir, descendre d’un étage, etc. Qu’est-ce qui se passe en classe pendant ce temps ? ». Et ainsi de suite, avec le nettoyage et désinfection systématique de tout objet, ouvrage, accessoire ayant été surface de contact à l’usage, pendant toute la journée. Sans parler du nettoyage quotidien intégral impératif. « Nous avons théoriquement cinq agents d’entretien municipaux, ramenés à trois dans les faits avec les divers congés, rotations, et arrêts maladie. Bref, en temps normal, on fonctionne déjà en-dessous des moyens humains nécessaires pour assurer le régulier. Comment assure-t-on l’ultra exceptionnel qui se présente là maintenant ? »

Limitation des effectifs. Répartition par groupes. L’enseignement ne sera pas assuré à plein temps. Ni pour tous. Un casse-tête pour quantité de parents, particulièrement ceux qui travaillent, bien obligés de planifier leur organisation de garde des enfants ; cela avec des incidences financières. Sans compter le vrai tracas d’Évelyne : « Occupée en classe avec un groupe limité, comment continuer d’accompagner en même temps les élèves restés dans leurs foyers, souvent en difficulté, qu’il faut suivre à distance ? »

Sur la liste inter-pro, les échanges vont plus au fond : l’école qui s’annonce à partir du 12 mai, ne sera-t-elle pas transformée en « un lieu aseptisé, ultra contraignant, dépourvu de toute chaleur humaine » que dénonce un communiqué du syndicat CNT ? A propos de cet univers sécuritaire ultra contrôlé, un autre contributeur estime que « le pire, c’est que certains enfants vont accepter ce niveau de contraintes, réussir à l’école, trouver un poste à responsabilité, et rejoindre la masse de nos élites sociopathes formées à la docilité complète ». Là, le débat s’anime.

Retour au concret quotidien. Évelyne pense que le confinement aura eu un bienfait paradoxal dans l’équipe enseignante : « Dans mon école, tout le monde a eu tout de suite un vrai mouvement de fond, pour continuer d’entretenir le lien avec les élèves, avec les familles. On s’est tous trouvés sur le pont, à bricoler comme on a pu, se dépêtrer avec Internet ». D’où le constat : « Chacun.e a vite vu la distance entre les propos lénifiants du ministère sur la continuité pédagogique, et la réalité de s’être longtemps senti seul.e a devoir se débrouiller comme on a pu ».

C’est une prise de conscience qui se rattache aussi bien à la question des masques, des tests, etc. Bilan : « Curieusement pour un secteur en REP, mes collègues n’étaient guère militants, ni politisés, pour ne pas dire franchement macronistes. Ils ont été vaccinés. Maintenant ils voient tout de suite l’état de délabrement du service public, à commencer par le leur et ne se font plus aucune illusion sur ce type de parole politique ». Évelyne l’a relevé : « les documents précisent que le droit de retrait s’applique en cas de péril grave imminent et ils ont le cynisme d’indiquer qu’une contamination par le COVID ne serait pas considéré comme un péril grave et imminent ».

On est bien dans la France de Blanquer. De Macron.

Toutefois Sud-Education appelle clairement à l’exercice de ce droit de retrait et considère que sa mise en pratique est tout à fait possible. Des conseils pour son application sont disponibles ici. Le syndicat a également déposé un préavis de grève en cas de blocage de l’exercice de ce droit.

Nota : cet article a été rédigé dans la matinée du 7 mai. Certaines données factuelles sont susceptibles d’évoluer d’heure en heure. Par ailleurs, le prénom d’Évelyne a été modifié.

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