Drones sur les plages, contrôles policiers, amendes : vers un été sous haute surveillance ?
A l’heure où les premières grosses chaleurs se font ressentir dans le Clapas en ces temps troubles de pandémie mondiale, on peut d’ores et déjà dresser un constat qui pourrait paraître évident : nous allons passer un drôle d’été. L’odeur du gel hydroalcoolique va-t-elle venir remplacer celle de l’ambre solaire sur les plages ? Aurons-nous tous des marques de bronzage dues aux masques sur le visage ? Plus sérieusement, va-t-on passer les vacances sous intense surveillance policière ? C’est le scénario qui semble se profiler sur certaines plages héraultaises, qui ont réouvert pour la plupart la semaine dernière. Patrouilles policières, amendes de 135 euros, drones de surveillance, réservation en ligne d’un carré de bronzette et infantilisation des vacanciers chez les politiques et dans les médias ; focus sur des vacances au parfum d’autoritarisme d’État.
Les « plages dynamiques » , ou la répression du farniente
C’est avec ce concept venu d’Australie que les maires des communes attenantes aux plages héraultaises ont convaincu les autorités de réouvrir les plages : seules les activités sportives (marche, baignade, course à pieds, pèche, voile) sont autorisées, mais il est interdit de poser sa serviette et de rester statique, soit-disant pour éviter la propagation du virus. Cette véritable répression du farniente (ou du « chill » comme disent les jeunes) s’accompagne évidemment d’un dispositif policier impressionnant, comme on le lisait la semaine dernière chez France 3-région : 25 policiers et agents municipaux mobilisés à la Grande-Motte, 40 à Carnon. A Sète, la « réserve municipale » sera chargée de la surveillance, pendant que la ville d’Agde utilise des drones pour surveiller les plages et éventuellement verbaliser les bronzeurs et bronzeuses.
Une proposition que soutient le député LREM héraultais Patrick Vignal « Je ne pensais pas que les Montpelliérains se jetteraient sur les serviettes. Je vais être clair et assumer. Ceux qui ne respectent pas, tant pis, c’est 135 euros. On applique la sanction. Et ça fera de l’argent pour les communes. » On espère que cet argent puisse servir à distribuer des masques gratuitement à la population….
La plage sous réservation à La Grande-Motte : une fausse bonne idée
Et pour les réfractaires à la plage « en marche », dynamique et innovante proposée par l’équipe de la start-up nation, celles et ceux qui veulent juste se dorer la pilule pourront éventuellement se rabattre sur les plages de la Grande-Motte, à condition d’avoir accès à une connexion internet (ce qui ne rend pas la chose accessible à tout le monde, vous l’aurez deviné). L’office de tourisme de la ville a en effet mis en place un planning de réservation en ligne (48h à l’avance) pour des tranches horaires de trois heures sur un espace délimité et quadrillé « pour deux à six personnes » comme le montrent ces photos, également prises par France 3.
Outre le fait de susciter une étrange sensation de parcage, cette initiative soulève plusieurs questions. L’espace de réservation du site de l’office de tourisme de la grande Motte se présente comme une boutique, où les réservations – bien que gratuites – sont présentées comme des articles avec un « prix de base » pour l’instant nul. Pourrait-on imaginer dans un futur proche une plage payante ? On verrait déjà presque venir l’argument d’une relance de l’économie touristique en péril à cause de la pandémie. Mais trêve de spéculations, revenons au concret.
Car ce système de réservation en ligne pose une autre question sensible, celles des données informatiques. Celle-ci mérite d’être posée au vue de l’actualité récente : entre les vifs débats autour du caractère intrusif de l’application StopCovid et l’ouverture d’une enquête administrative pour violation des données personnelles pendant la distribution de masques à la mairie de Montpellier, on pourrait se révéler frileux à l’idée de saisir ses informations personnelles sur ce site, et ce malgré le climat pré-caniculaire. La mention « informations sur la sécurité » du site de l’office de tourisme de la Grande Motte ne nous révèle pas beaucoup plus à ce sujet, si ce n’est que « le paiement en ligne est supporté par la Banque populaire » ; mais peu d’informations sur ce qui est fait de nos données.
Le gouvernement nous traite comme des gosses, les médias nous disent qu’on le mérite
A cette répression et ce contrôle proto-Orwelien viennent se rajouter les discours infantilisants de certains élus et médias locaux sur la question des plages. Les sudistes seraient-ils des irresponsables ? Le contexte sanitaire justifie t’il ce déploiement sécuritaire ?
Pour Yvon Bourrel, le maire de Maugio Carnon, il semblerait que oui : « Au départ, l’idée c’était l’accès à la mer, pas l’accès à la plage. Possibilité d’y aller pour pratiquer des activités les pieds dans l’eau. Mais interdire au gens de poser leur serviette, c’est comme promener un sucre d’orge sous le nez d’un enfant en lui disant de ne pas toucher » explique-t-il à France 3 au sujet des plages dynamiques.
Une rhétorique infantilisante également présente chez Metropolitain, qui parlait la semaine dernière de la possible re-fermeture des plages sur décision du préfet si les consignes de sécurité n’étaient pas respectées :
« Si les adeptes du sable se montrent encore indisciplinés, lundi, ils pourraient se retrouver déconfinés chez eux. Une punition à éviter si possible. Bien entendu, le préfet ne veut pas en arriver là. Le civisme est dans le camp des baigneurs. »
Pour France 3 encore, c’est la nature et le gène méditerranéen qui sembleraient justifier le déploiement massif de policiers et de drones sur les plages dynamiques : « le Languedocien est comme un lézard, il a besoin de se réchauffer au soleil, de préférence sur le sable de longues heures durant, pour engranger bonne humeur et vitamine C. Voilà, c’est comme qui dirait dans notre ADN ! »
Plus loin dans l’article, les journalistes demandent à david Bank, directeur général des services de la mairie de Maugio-Carnon, si ces « plages dynamiques » ne sont pas « trop éloignées de notre culture méditerranéenne », ce à quoi il répond : « Souvent, les gens ont une méconnaissance totale de ce qu’est la plage en mode dynamique. Chez nous, c’est plutôt huile solaire et chichis, mais ça va mieux dès qu’on leur explique. » Heureusement que l’État est là pour faire de la pédagogie…
Tout semble dire que les gens seraient par nature irresponsables, et pourtant, de l’aveu de France 3 même, photo à l’appui, les distanciations sociales entre groupes assis étaient respectées. Mais quelle leçon un gouvernement incapable de gérer une crise sanitaire a à donner au peuple en terme de responsabilité ?
Comme nous l’avions déjà évoqué dans un précédent article, « rappelons-nous que, comme le prouve d’ailleurs la réouverture des parcs dans tout le pays, et comme il est dit depuis le début de l’épidémie, les espaces de fortes contamination sont plutôt des espaces fermés. Comme ces fameux centres commerciaux, ou les rames de métro et leur cohorte de premiers de corvée, que le gouvernement presse de se remettre en branle au nom de la “raison” économique. » Les plages étant des espaces vastes et aérés, on en vient à se demander si le gouvernement n’est pas en train d’avancer les congés payés de certains policiers…
Bref, quand l’État bâtit une société de contrôle où le moindre recoin et espace de nos vies est en voie d’être quadrillé, on se dit que finalement, l’heure n’est peut-être pas propice à la bronzette….
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