Montpellier : en colère et en grève, les animateur.ices rejoignent le Caasos
Ce mardi 31 mai, de nombreux travailleurs sociaux se sont mis en grève et mobilisés à Montpellier. L’appel avait été lancé par le Caasos (Collectif des Actrices et Acteurs du Social et des Oublié.e.s de la Société). Ce collectif, créé en octobre dernier, et soutenu par la CGT et Sud Santé Sociaux, réunit des travailleureuses du médico-social, dans un fonctionnement autogestionnaire (une personne une voix) tous les quinze jours, rue Lakanal (lire ici l’article du Poing).
Et cette quatrième journée d’action marque un élargissement. Le secteur de l’Animation se joint au mouvement, qui englobait déjà les secteurs du Social, du Médico-Social et du Sanitaire. Car les souffrances et la logique sont les mêmes : surcharge de travail, sous-effectif, manque de moyens financiers, perte de sens, dévalorisation, précarité…
Ce mardi matin, ils sont une soixantaine à se rencontrer au Peyrou. Une bonne dizaine de journalistes sont présents et recueillent les interviews. Une corde à linge et des feuilles A4 proposent à chaque travailleur social d’indiquer ses « difficultés », ses « besoins », et ses « propositions ». Parmi les difficultés : « être baladé de structure en structure du jour au lendemain », « la solitude, la charge, mentale », « un métier non reconnu et pourtant essentiel », « passer 40% de mon temps à justifier mes actions pour quelques sous »… Les besoins : « davantage de temps pour être bien-traitante », « des perspectives d’avenir après mon apprentissage », « des collègues pour mieux accompagner les personnes et alléger la charge mentale », « regarder les personnes autrement que comme des données quantifiables ». Les propositions : « la fin des contrats d’apprentissages abusifs », « travailler et négocier avec les écoles qui n’ont pas de moyens, qui deviennent maltraitantes avec des enfants précaires », « création de postes et reconnaissance (humaine et financière) », « la revalorisation »… Ces feuilles sont valables pour tant de secteurs…
L’animation en est un bien malmené, peu écouté, et peu habitué aux mobilisations aussi. Qui traine encore une image Pour certain.e.s, c’était la première journée de grève. C’est sûr, tout le monde n’était pas là. « Nous, on est à 35 heures, on peut être là, on peut parler. En fait, le point de départ, c’est que l’animation fonctionne avec des contrats de volontaires, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un engagement militant, à la différence des contrats professionnels, et cela permet le développement de contrats fourre-tout très arrangeants pour les employeurs ».
Pendant que le barbecue se prépare, l’assemblée générale donne la parole libre à qui la veut. Chacun.e témoigne dans une écoute bienveillante de conditions de travail désastreuse. Comme cette jeune animatrice en centre de loisirs, qui évoque le taux d’encadrement. « À l’école, c’est 1 adulte pour 18 enfants. Un midi, je me suis retrouvée seule avec 98 enfants ! »
Elisa, formatrice dans l’animation, manifeste pour la première fois avec le Caasos « parce qu’on en a gros ». Elle dénonce « l’utilisation à outrance des contrats d’engagement éducatif (CEE), qui ne sont pas soumis au droit du travail, permettant de travailler en centre de loisirs ou en périscolaire, payés 28 € la journée. Si on fait une journée de dix heures, repas pris avec les enfants et déduit de la rémunération, ça fait une paie de 2,80 € l’heure. C’est un type de contrat qui a été fait pour les colos, mais pour des situations périscolaires, c’est illégal… Ce type de contrat est censé être limité à 80 jours par an. Ce n’est pas respecté. Personne ne contrôle. Le secteur de l’animation ne fonctionne qu’avec des stagiaires en contrat d’apprentissage pendant un an, un an et demi. Et à la fin, pas d’embauche, on rempile avec d’autres contrats. On change d’animateur précaire plutôt que d’embaucher celui qu’on a formé ».
Au-delà de ces contrats obsolètes l’animation subit aussi la mise en concurrence des structures. Sur les appels à projets, les contrats aidés, les subventions… « On est dans une escalade de souffrance, reprend Elsa, avec des gamins pas bien encadrés. Les directeurs de centres de loisirs, qui sont encore plus formés à la pédagogie, ne font plus que de la gestion de flux. »
Sa voisine, directrice de centre de loisirs, confirme faire « du remplissage de tableaux. On est en sous-effectifs, à trois au lieu de six, et sur les trois, deux ne sont pas formés. Alors qu’on est en responsabilité d’enfants. Du coup, t’es maltraitant, et frustré tout le temps car t’as pas le temps de bien faire ton boulot ».
Ceux qui aiment leur métier le vivent mal. « Ça donne des burn-out, des arrêts maladie, des dépressions », rappelle un militant du Caasos. Et « quand on appelle à l’aide, il n’y a plus personne », dénonce ce moniteur-éducateur d’Adages, syndiqué CGT, qui se sent plus « exclu » qu’« oublié ». Un autre militant CGT intervient timidement pour lâcher une phrase. « Entendu en réunion de direction, en centre de loisirs : « Ceux qui font un burn-out s’inventent des problèmes ». Je voulais juste dire ça. » Ces travailleureuses précaires entendent souvent la marotte « si vous êtes fatigués, vous n’êtes pas faits pour ce métier ». Même chose parfois chez le médecin : « vous faites un burn-out ? Mais vous êtes animateur, vous faites que surveiller les enfants ? ».
Un moniteur-éducateur en Mecs (Maison d’enfants à caractère social), en CDI depuis neuf mois, avoue que son travail aussi est « éclaté. On suit tous des formations. On a tous des connaissances, des projets de ouf, et on ne peut rien faire. On se fait claquer, et on revient en prendre une. Parce qu’on aime ce qu’on fait, on y croit. Et quoiqu’il en coûte, mon métier, je l’aime […]. On m’avait dit « attention, les murs, c’est violent ». J’avais pas compris. Les trois jours avant mon entretien annuel, j’arrive avec 45 minutes d’avance. Le jour de l’entretien, j’arrive dix minutes en retard. Il y avait ce virage serré à droite sur la route… Je leur ai dit : « J’avais envie de mourir, et quand je prends la voiture pour aller au travail, des fois j’ai envie d’aller dans le ravin ». On m’a répondu « c’est violent ce que vous dites »… Ils vont vous dénigrer. Quand j’ai dit que j’avais envie de mourir… On a parfois cette pulsion de mort quand on fait mal son travail […] A la médecine du travail, on m’a dit « vous ne pouvez pas sauver vos enfants, sauvez-vous vous, ce sera déjà pas mal ». Ma mère me dit : « Tu vas faire quoi maintenant ? ». Elle ne comprend pas. Mon travail, je le fais par passion. Les gens ne comprennent pas ce que c’est que l’engagement. « T’es trop engagé, prends du recul ». Plus on se désengage, plus on est de bons travailleurs aux yeux de la société ».
Tatiana, qui a été assistante sociale puis animatrice – « et je pars » – se réjouit que la réflexion ne se fasse pas « de manière sectorisée ». Pour elle, « lutter ensemble pour nos conditions de travail, c’est aussi repenser le pourquoi et le comment on travaille. Avant, les travailleurs militants étaient politiques. Aujourd’hui, il n’y a plus de rapport de force politique ».
Dans chaque secteur, ces maux sont communs et répondent à des décennies de politiques sociales destructrices et guidées par le chiffre. Lucas est éduc’ spé au Samu Social : « Nos conditions de travail sont compliquées, tous les infirmiers partent. Quand on dit aux financeurs qu’on n’arrive pas à recruter, ils nous répondent… « mais vous avez vraiment besoin d’infirmiers ? » Avec des logiques comme ça… Et ça ne fait qu’accélérer. On est repartis pour un quinquennat d’attaques sociales, contre les chômeurs, le RSA, les retraites… ». Pour lui non plus, il n’y a pas le choix. « Il faut être sur un rapport de force. Notre action nécessite de s’inscrire dans la durée, il faut mobiliser les collègues, s’organiser, penser des plans de bataille, gagner la lutte qui s’impose à nous ».
« Avant, 51 % de la Sécu était financée par les patronats, aujourd’hui c’est 30 % », râle un délégué CGT Santé Privée. Le CICE a été créé pour créer des emplois, et il est parti dans les dividendes. 200 milliards ont été donnés au patronat sans contreparties. »
Un militant du Caasos répète le dénominateur commun. « Le Caasos s’est créé en octobre 2021 sur le constat qu’on manque de tout. De matériel, de temps, de moyens humains, financiers… On nous demande souvent le boulot de plusieurs personnes pour un salaire précaire. Ça finit en burn-out, en arrêts maladie, en dépression. Nos publics sont stigmatisés, accablés par les politiques publiques de l’Etat. Le social, c’est l’humain, dans les associations c’est pareil, ce sont les mêmes politiques qui nous accablent. On va arrêter d’être des super-héros. Nos revendications sont de meilleures conditions de travail, des salaires décents pour tous les secteurs, un taux d’encadrement décent, et on ne veut plus de la mise en concurrence des publics, et des travailleurs. »
Aujourd’hui, la situation est catastrophique du côté des conditions de travail et des salaires des professionnels, mais également du côté du recrutement dans ces filières : 45 % d’inscrit.e.s en moins à l’IRTS (Institut régional du travail social), 1500 passages des concours il y a 10 ans, seulement 500 aujourd’hui. Le secteur de l’animation appelle à une réunion le 2 juin à 18 h 30 en vue de la création d’un syndicat Sud Santé Sociaux. « On n’a jamais été syndiqués, rappelle Elsa. Ça fait vraiment plaisir de s’unir, car nos problématiques sont similaires et complémentaires ».
Après la grillade revendicative, environ 500 personnes étaient présentes pour la manifestation de l’après-midi. Le cortège a pris la rue du Faubourg Saint-Jaumes pour se diriger vers la DRJSCS (Direction Régionale Jeunesse Sports et Cohésion Sociale), et y accrocher la corde à linge. Une feuille A4 y demande à la DRJSCS de répondre au téléphone lorsqu’on lui signale des non-respects du taux d’encadrement. Des haltes ont également été faites au service territorial de la PMI (protection maternelle infantile) et des assistantes sociales, rue Proudhon, devant un CADA et au Zinc (boulevard Pasteur), qui est un service d’accompagnement des personnes en addiction. Maintenant, reste à savoir si les pouvoirs publics entendront enfin les travailleureuses sociaux. Pour elleux, « faut que ça évolue vers une professionnalisation reconnue des métiers dans un respect qui garantira un avenir professionnel à chacun.e. »
Texte : La Mule et Le Poing
Photographies : Photocratie et Le Poing
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