Le RN contre le blocage des loyers en commission des finances : l’histoire d’une querelle de riches
En commission des finances de l’assemblée nationale, les députés du Rassemblement National ont voté contre un amendement à un projet de texte de loi visant à bloquer les loyers. Un vote défavorable aux intérêts de la majorité des personnes vivant en France et qui n’ont pas d’autres moyens de subsistance que leur travail, ou que les allocations de solidarité qu’il reste encore aux privés d’emplois. Mais qui fait écho à certains points du programme du RN. Lesquels nous permettent de réaliser que derrière l’opposition que prétend incarner le RN se cache aussi des querelles entre bourgeoisies. Petit décryptage.
L’article du projet de loi sur le pouvoir d’achat concernant les loyers examinés en commission des finances
Comme chacun sait, les conditions de vie des classes populaires se dégradent à vive allure ces dernières décennies. Avec une franche accélération ces dernières années. La fatalité a bon dos : les géants du CAC 40 français ont dégagé des profits record de près de 160 milliards d’euros en 2021, et les milliardaires français ont vu leur patrimoine exploser de 439 % entre 2009 et 2020. De la même manière, Michel-Edouard Leclerc, patron et représentant du groupe E.Leclerc admettait lui même le 30 juin 2022 qu’au moins la moitié de la montée des prix est imputable à de la spéculation.
Avec les souvenirs cuisants du mouvement des gilets jaunes, et la multiplication inédite des grèves sur les salaires ces derniers mois, le gouvernement d’Elisabeth Borne marche sur des œufs, et se voit contraint de lâcher un minimum de lest au travers de ce projet de loi sur le pouvoir d’achat, par ailleurs ambivalent sur de nombreux points (revalorisation des pensions et allocations ne suffisant même pas à compenser les hausses de prix les plus récentes, primes exonérées de cotisations sociales pour les salariés qui remplacent de vrais augmentations des salaires directs et indirects, mettent en péril les caisses de sécu, chômage, retraites, et justifieront donc de nouveau reculs sociaux etc… )
Ce lundi 11 juillet un premier examen de l’article 6 du projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, lui-même présenté par le gouvernement le 7 juillet, a eu lieu en commission des finances de l’Assemblée Nationale.
Concernant plus précisément le logement, cet article 6 portait trois propositions du gouvernement : avancer exceptionnellement la revalorisation annuelle des allocations logement, qui sont indexées sur l’Indice de Référence des Loyers (IRL) lui-même indexé sur le prix de la vie, augmenter par des arrêtés le montant des APL, jusqu’à quelques dizaines d’euros par mois pour certains foyers, et plafonner l’augmentation annuelle des loyers, elle aussi calquée sur l’IRL, à 3,5%, que ce soit pour le parc privé ou le parc social, et ce jusqu’en juin 2023. Les propriétaires ou bailleurs ont effectivement le droit de revaloriser les loyers qu’ils exigent de leurs locataires chaque année, dans la limite de cet indice, à la date anniversaire d’un bail dans le privé, ou au 1er janvier dans le parc social. La signature d’un nouveau bail autorise le propriétaire à fixer un nouveau loyer, encadré dans certaines villes ou zones particulières, là où les bailleurs sociaux sont soumis à des restrictions plus importantes.
Une proposition face à l’urgence sociale : bloquer le prix des loyers
Trois amendements ont été proposés à cet article 6. On parlera d’abord rapidement des deux amendements proposés par le député de la 1ère circonscription de Haute-Corse Michel Castellani, élu sous la bannière Femu a Corsica (formation autonomiste corse, dont le leader Gilles Simeoni a été accusé par le Canard Enchaîné d’accords en sous-main avec Macron, qu’on pourrait qualifier de social-libéral, étant entendu qu’un François Hollande était libéral tout court, plus ou moins en désaccord avec le reste du nationalisme corse, à la fois sur la conduite à tenir face aux négociations ouvertes avec le gouvernement Macron sur le statut de l’île, le degré d’autonomie ou d’indépendance dont devrait bénéficier la Corse, et l’épaisseur du programme social). Le premier entendait remplacer le plafond de 3,5% pour l’IRL proposé par le gouvernement par un plafond à 1% en ce qui concerne le parc locatif privé, plus favorable aux foyers modestes alors que la Corse est confrontée à une intense spéculation immobilière qui impacte à la hausse les loyers. Avec maintien à 3,5% pour le parc social, jugé dans de trop grandes difficultés financières. [NDLR : la Corse a peu de logements sociaux, malgré la situation] Il aura été rejeté. Le second amendement proposé par Castellani visait à autoriser le ministre chargé de la transition écologique et de la cohésion des territoires à faire évoluer l’IRL, et donc la hausse des loyers et APL, en fonction de critères comme le niveau d’inflation, les disparités de niveaux de vie, le taux de pauvreté, au cas par cas sur chacun des 400 bassins de logement en France métropolitaine et dans les territoires d’outre-mer, pour mieux s’adapter aux réalités locales. Celui-ci sera rediscuté plus tard, après un travail de reformulation.
Le troisième amendement à l’article 6 a été proposé par la député France Insoumise de la deuxième circonscription du Val de Marne Clémence Guetté, affiliée à la coalition de gauche NUPES. Lequel proposait de geler complètement l’IRL jusqu’à la fin de l’année 2023. Une proposition plus avantageuse que la proposition du gouvernement pour tous les locataires qui ne vivent que de leur travail, ou de leurs allocations de solidarité pour les privés d’emplois, puisque l’augmentation des loyers qui va avec celle de l’IRL est toujours plus importante que celle des allocations logements (3,5% de 500 euros de loyer ce sera toujours plus que 3,5% de 200 euros d’APL). Voilà donc la proposition somme toute toujours assez modeste, revendiquée de longue date par diverses associations de locataires comme la Confédération Nationale du Logement (CNL), Consommation Logement et Cadre de Vie (CLCV), l’Union Nationale des Locataires Indépendants (UNLI), le Droit Au Logement (DAL), qui se cache derrière l’expression « blocage des loyers. »
Le RN avec les macronistes contre le blocage des loyers
La proposition de la NUPES aura été rejetée par les députés de la commission des finances. Et il semblerait que l’amendement de Mme Guetté soit déjà trop osé socialement pour les élus du Rassemblement National, qui ont d’une seule voix participé à sa mise à l’écart.
Mais comment s ‘expliquer ce vote du RN, qui a fait une bonne partie de sa campagne sur le thème du pouvoir d’achat (« rendre leur argent aux français ») ? Alors que les dépenses liées au logement sont passées au tout premier plan dans le budget des français, de 12% en 1959 à 23% en 2019, que selon l’Observatoire des Inégalités le montant total des loyers perçus en France a été multiplié par 2,2 entre 1984 et 2018 après prise en compte de l’inflation et pour une augmentation de la population de l’ordre de 20% seulement ? Le tout pour 4 millions de français non ou mal logés (insalubrité, surpopulation, logement de fortune) et 14,6 millions de personnes fragilisées par la crise du logement, selon le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre.
Certains argumentaires avancent que le blocage des loyers aurait pour effet de réduire la quantité de logements disponibles sur le marché, et donc à terme d’aggraver la crise du logement et la situation des plus exposés : personne ne construirait pour louer à bas prix, d’où pénurie. La crise du logement n’est absolument pas liée à une pénurie de biens immobiliers : pour chaque nouvel habitant deux logements sont construits en moyenne chaque année en France. Et en 2021 il y avait environ 3 millions de logements vides, pour 300 000 SDFs.
Notons aussi que de 1914 à 1986 les prix des loyers étaient réglementés partout en France, dès leur mise à disposition sur le marché et avant la signature d’un bail. Comme on l’a vu, la fin de ces réglementations se superpose dans le temps avec le début d’une crise plus aiguë du logement, même si la situation avant le milieu des années 80 n’était pas non plus idéale.
Le logement social peut être financé par l’État, les collectivités territoriales, la Caisse des dépôts et consignations (CDC), Action logement (l’organisme chargé de gérer le 1% logement versé par les employeurs) ou encore le bailleur lui-même. Si l’on sait que les finances de certains bailleurs sociaux ne sont pas au beau fixe, d’autres solutions existent que de faire payer toujours plus des locataires aux revenus faibles ou modestes. A vrai dire, les moyens financiers offerts aux bailleurs sociaux ont été méticuleusement réduits d’années en années par les gouvernements successifs. A l’automne 2017 une loi finance provoque une baisse des ressources des bailleurs sociaux de 1,7 milliard d’euros. Un an plus tard la loi ELAN du 23 novembre 2018, portée par le gouvernement Macron, porte l’ambition d’accélérer les ventes de HLM à des entreprises privées. Bref, aucune fatalité là non plus.
Les droits des petits rentiers sont régulièrement opposés à des mesures type blocage des loyers : ils en paieraient injustement les conséquences, eux qui misent sur leur loyer pour s’assurer un indispensable complément de revenus.
Il faut donc examiner un peu plus précisément le marché de l’immobilier. Les propriétaires bailleurs du parc privé sont, pour une grande majorité d’entre eux, dans une situation financière qui leur permet d’accepter largement un tel plafonnement. La proportion dans la population totale de multipropriétaires, qui ont plus de cinq logements mis en location et détiennent ensemble plus de la moitié du parc locatif, est d’environ 3,5 %. Si l’INSEE ne fournit pas d’indicateurs sur leur niveau de vie, on sait que d’une manière générale, plus on a de logements en location, plus le niveau de vie est élevé : ils sont plus aisés, ont pu se constituer un patrimoine plus important en raison de revenus plus importants, et réciproquement, ce patrimoine augmente leur niveau de vie en raison de revenus locatifs plus élevés. Et on a déjà des données sur le niveau de vie des multipropriétaires qui possèdent cinq logements ou plus, qu’ils soient en location ou pas (environ 40% de ces logements sont effectivement en location, et à peu près 18% sont vacants), c’est à dire sur une tranche de la population qui a toutes les raisons d’être moins aisée que ces fameux 3,5% qui possèdent plus de la moitié du parc locatif : seuls 13 % sont pauvres ou modestes (moins de 1600 euros mensuels par personne dans le ménage), tandis que 29 % sont considérés comme plutôt aisés (entre 1900 et 3000 euros mensuels par personnes), et 44 % sont aisés (plus de 3000 euros mensuels par personne).
De son côté le Crédit Foncier sortait en 2017 une étude intitulée « Qui est l’investisseur locatif en 2017 ? » [NDLR : c’est à dire quelqu’un qui va acheter un bien en sachant à l’avance qu’il va le mettre en location]. Résultat : 79% de cette catégorie d’investisseur avait un revenu de 4000 euros par mois ou plus.
Même en dehors de ces assez gros rentiers, et malgré le nombre relativement élevé de propriétaires, la propriété des logements, qu’ils soient destinés ou non à la location, est relativement concentrée. Ainsi, les 24 % de ménages multipropriétaires possèdent deux tiers du parc de logements détenus par des ménages. La moitié des ménages multipropriétaires, soit 13 % des ménages, détiennent exactement deux logements et possèdent près d’un quart du parc de logements détenu par des particuliers. Les ménages restants, propriétaires de trois logements ou plus (11 % des ménages), possèdent quant à eux près de la moitié du parc (46 %). En particulier, les ménages détenteurs de 10 logements ou plus (0,6 % des ménages) possèdent 8 % du parc, soit quatorze fois leur part dans la population, et les détenteurs de 20 logements ou plus (0,1 % des ménages, soit environ 30 000 ménages) détiennent 2,4 % des logements, vingt-quatre fois plus que leur part dans la population. Plus on possède de logements, plus on va avoir tendance à mettre ses logements en location, plus on est aisés, et plus on appartient à des couches de la population qui concentrent entre leurs mains une part du patrimoine immobilier disproportionnée au regard de leur poids dans l’ensemble de la population. En clair, la rente immobilière est un mécanisme de redistribution des richesses, du bas vers le haut, des pauvres vers les riches.
Quant aux petits propriétaires bailleurs dans le privé, puisqu’on voit bien qu’il y en a quand même, leurs charges sont essentiellement composées d’après l’INSEE de remboursements d’emprunts, indifférents à l’inflation puisqu’il s’agit d’emprunts à taux fixe : leur garantir une hausse des loyers perçus indexée sur l’IRL, comme le voudraient La République en Marche, Les Républicains, le RN, ce n’est donc pas leur garantir une stabilité de leur niveau de vie, mais bien plutôt leur garantir un enrichissement sur le dos de la population des locataires, qui elle vit, survit de plus en plus, de son travail, ou des mécanismes de solidarité pour lesquels on cotise tous par le travail.
Comment le RN fait passer des embrouilles de riches pour des mesures favorables aux plus modestes
Le vote des députés du Rassemblement National contre le blocage des loyers fait écho à certains points du programme présenté par le parti pour l’élection présidentielle 2022 : la suppression de l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI), financé par la création d’un Impôt sur la Fortune Financière (IFF). Deux types d’éléments de langage sont utilisés par le RN pour défendre cette mesure, et plus largement pour donner des accents populistes à un programme en bonne partie au service des riches, destinés à séduire, à escroquer deux types de sensibilités, d’adhésions à un système de valeurs, qui parfois se recoupent et s’auto-entretiennent.
Premièrement, on va trouver une logique de l’enracinement, opposée à une logique dite cosmopolite ou mondialiste, qui brouille les frontières entre légitime colère face à la mondialisation capitaliste et rejet de l’étranger. L’Impôt sur la Fortune Immobilière sera présenté comme une mesure qui sanctionne l’enracinement, tandis qu’il conviendrait plutôt de sanctionner le cosmopolitisme du monde de la finance mondialisée en instaurant l’Impôt sur la Fortune Financière. Pourtant cette opposition ne semble pas vraiment tenir la route à l’examen des faits : les riches d’autres pays investissent aussi dans l’immobilier en France, parfois pour des résidences principales, parfois pour des résidences secondaires, parfois pour mettre en location sur le marché de l’immobilier, participant ainsi avec les riches français à la montée des prix des loyers : c’est ce qu’on appelle la spéculation immobilière. On pense par exemple aux riches anglais en Vendée ou en région parisienne, aux riches belges, allemands, néerlandais, dans les Cévennes ou en Ardèche.
Un second type d’éléments de langage est mis en œuvre par le Rassemblement National sur ce type de questions : l’Impôt sur la Fortune Immobilière défavoriserait des couches moyennes de la population, opposées dans une union avec les classes populaires plus appauvries aux gros de la finance. Encore une fois, cette opposition ne tient pas vraiment la route. On l’a déjà vu plus haut, oui il y a de petits rentiers dans l’immobilier, mais ils sont peu nombreux, la plupart sont des gros. D’ailleurs il y a aussi de petits actionnaires, on peut aller squatter le forum du site Boursorama pour s’en convaincre, mais comme en matière de rente immobilière ils sont peu nombreux. Et si certains ménages modestes accèdent à la propriété de leur logement par l’épargne et le crédit, ils se retrouvent sur le marché en position d’acheteurs incapables de revendre avant la fin d’un remboursement qui s’étale souvent sur des décennies. Ils subissent les prix fixés par plus riches qu’eux et le marché de l’immobilier que le RN voudrait encore plus déréguler en supprimant l’Impôt sur la Fortune Immobilière.
Reste une catégorie des ménages dont on pourrait se dire qu’ils pourraient se retrouver dans cette mesure : les ménages modestes qui ont accès à la propriété autrement que par le crédit. Et il y en a : d’après l’INSEE, même chez les ménages au niveau de vie le plus bas, c’est à dire chez ceux qui ont le moins accès au crédit, la proportion de propriétaires de leurs propres lieux d’habitation ne descend jamais beaucoup en dessous des 30%. Pas si étonnant que ça, quand on sait que la proportion de paysans propriétaires pauvres ou modestes a été très forte en France jusque tard dans le 20ème siècle, et que les concessions en terme de redistribution des richesses qui ont dû être faite aux classes populaires pendant les Trente Glorieuses ( obtenues sous la pression des mouvements sociaux, bien qu’en partie financées par le pillage des colonies), puis les politiques menées pour favoriser l’accès aux crédits immobiliers (et donc un accès encore plus important à l’enrichissement pour les banques) ont permis à certains de ceux qui vivent, même chichement, de leur travail de se mettre à l’abri du marché immobilier, eux et leur descendance, parfois via l’héritage. Sauf que. Dans la réalité, l’Impôt sur la Fortune Immobilière que le RN veut supprimer ne concerne que les ménages qui ont patrimoine immobilier net supérieur à 1,3 million d’euros.
Posons nous la question : si vraiment le Rassemblement National voulait favoriser une plus juste répartition des richesses, pourquoi ne pas appliquer la suppression de cet impôt uniquement aux ménages à revenus modestes propriétaires de leur résidence principale ? Pourquoi participer activement de l’enrichissement de propriétaires déjà riches aux dépends des locataires ?
Et puisqu’on parle d’enracinement, qu’en serait-il en cas de suppression de l’Impôt sur la Fortune Immobilière de l’enracinement, déjà difficile, de tous ces travailleurs qui ne trouvent plus de quoi se loger au Pays Basque ou dans les Landes, à cause de la multiplication de résidences secondaires utilisées quelques semaines seulement dans l’année par de riches français ou étrangers en quête de sauvage et d’authentique, et qui ont déjà tout saccagé sur la Côte d’Azur, à grands coups de grillages, systèmes de vidéo-surveillance, privatisation des plages etc ? Emmanuel et Brigitte Macron devraient d’ailleurs remercier Mme Le Pen et le RN, pour l’exonération d’impôts qu’elle propose sur leur propriété du Fort de Brégançon. Qu’en serait-il donc de l’enracinement d’une population corse toujours plus en difficulté pour se trouver un logement sur l’île ailleurs que chez la famille, à cause d’un marché immobilier soumis à une pression spéculative intense, à force de résidences secondaires pour la jet-set française, à force de rachats d’habitats, de magouilles pour contourner les interdictions de construire, le tout voué à la location touristique et aux profits de riches français, scandinaves, chinois ? Qu’en serait-il du droit à vivre et travailler au pays, voire du droit à vivre tout court ? Au delà des discours, pas de priorité nationale quand il s’agit d’attirer à soi le pognon. La priorité nationale, c’est contre ceux d’en bas. Qu’en serait-il de l’enracinement de tous ces habitants de quartiers populaires encore proches des centre-ville, de plus en plus menacés à chaque fin de bail par la spéculation immobilière qui entraîne la hausse des loyers, comme à Figuerolles à Montpellier ? Tout ça sera-t-il compensé par l’instauration d’une priorité nationale dans l’accès aux logements sociaux, qui joue souvent contre tout aussi ou plus pauvre que soi ? On le voit, en matière d’immobilier, le seul enracinement réel que le RN propose, c’est celui des profits d’une riche bourgeoisie immobilière, d’où qu’elle vienne…
Derrière les appels répétés à ceux qui n’en peuvent plus de ne pas vivre décemment, aux classes désargentés et modestes, c’est dans une querelle de bourgeoisies que le RN prend parti. C’est de la que vient le tout premier électorat du parti, avant la massification de son audience. Jusqu’à peu on pouvait travailler, à deux pas de Montpellier, pour le plus grand propriétaire terrien viticole de Frontignan, spécialisé dans le muscat. Lequel ne se cachait ni de sa proximité avec le parti, ni de son statut de propriétaire d’une dizaine de logements loués à Montpellier. Le tout entre deux envolées gueulardes, dans le genre père fouettard, destinées à booster la motivation de ses équipes de travailleurs agricoles, l’une avec carte d’identité, l’autre sans et plutôt basanée, parce que la soi-disant priorité nationale à l’emploi, c’est quand même bien pratique pour faire vivre ses salariés dans la peur, leur faire accepter, sans broncher, l’inacceptable.
Il est intéressant d’aller lorgner du côté du programme d’Eric Zemmour en matière de logement, puisqu’une bonne partie de l’électorat riche du Rassemblement National est passé aux dernières présidentielles à ce candidat qui propose en même temps qu’un retour aux sources ultra-réactionnaire de l’extrême-droite française un programme néo-libéral d’une rare violence, et que le RN souhaite le récupérer. Que propose Reconquête en matière de logement ? En plus de la priorité nationale au logement social, une radicalisation de la loi ELAN élaborée par les macronistes : détricotage radical du service public du logement social, tant dans ses financements que dans les droits qu’il offre aux plus précaires, une mesure pour obliger les offices HLM à vendre leur patrimoine au privé dans les villes qui comptent plus d’un tiers de logements sociaux (mesure classée sans honte dans la catégorie « je remettrais le logement social au service des français les plus modestes »), faire passer de 30 à 15 ans la durée de détention d’un bien qui permet une exonération totale d’impôts et de prélèvements sociaux sur la plus-value immobilière, ramener de 18 à 6 mois le délai de traitement des recours en matière d’urbanisme pour la construction de logements, alors que comme on l’a vu plus haut la crise du logement n’est absolument pas liée à une pénurie, mettre fin à de nombreuses normes, histoire de soulager les rentiers de certains efforts, et de faire payer aux locataires par une hausse des frais d’énergie les conséquences de logements mal isolés par exemple : bref, du pain béni pour les profiteurs de la spéculation immobilière.
La montée de l’extrême-droite peut être en partie analysée sous l’angle d’une rivalité (voir ici, ici et ici) en terme de commerce et d’influence entre le milliardaire Bernard Arnault, qui mise plutôt sur le macronisme, et le milliardaire d’extrême-droite Vincent Bolloré, véritable Trump à la française, qui préfère visiblement les jeux d’influence à l’engagement direct en politique, propriétaire d’un empire médiatique qui fait la part belle aux idées et candidats proches de Reconquête et du RN (Canal+, CNews, Europe 1, Paris Match, JDD, Capital, Télé Loisirs). Si Zemmour est son poulain favori, le RN fera l’affaire vu le peu de succès que rencontre pour le moment l’ancien éditorialiste du Figaro. Un point commun attire d’ailleurs l’attention dans les programmes du RN et de Reconquête à la présidentielle 2022 : le projet de privatisation de larges pans de l’audio-visuel public, soit-disant pour soulager le pouvoir d’achat des français de la redevance télé. Allez, prenons les paris : en cas d’accès au pouvoir d’un des deux candidats de l’extrême-droite, on ne laisse pas plus de cinq ans à l’empire Bolloré pour mettre la main sur l’ancien service public de l’audio-visuel. Et oui, si les riches savent eux se montrer unis dans la défense de leurs intérêts communs face au reste de la population, ils se livrent de féroces guerres d’influence entre eux.
De la même manière, ce que cache la politique et les votes à l’assemblée du RN en matière de logement, sous une rhétorique qui en appelle au peuple, c’est une embrouille de riches, ceux qui ont les mains dans la finance contre ceux qui ont les mains dans l’immobilier. D’autant moins intéressant pour nous que quand on a vraiment le pognon, on l’a aussi pour payer d’autres personnes chargées de placer et déplacer ses intérêts au gré des évolutions des politiques des gouvernements.
Voir plus loin que la NUPES
Revenons à nos histoires de loyers. Au-delà des propositions de la coalition de gauche NUPES, on peut s’interroger : pourquoi nous bassine-t-on à longueur de journée avec l’injonction au travail, le mérite, les croisades contre l’assistanat, pour qu’au final soit posé comme un droit extrêmement important celui d’échanger de l’argent, donc du travail pour l’immense majorité des locataires, contre le droit d’avoir un toit sur la tête ? Le tout en récompense de l’harassante et peu productive tâche qui consiste à hériter de plusieurs logements, à payer quelqu’un d’autre (des agences la plupart du temps) pour gérer la location de ses différentes propriétés… Pourquoi a-t-on visiblement le droit de vivre à l’aise, voire très à l’aise, sans produire, quand on est riche, et pas celui de vivre de peu tranquillement, sans être insulté à longueur de journée de média en média, quand on veut prendre le temps de trouver le boulot qui nous correspond, de monter un projet qui n’est pas directement viable économiquement mais peut le devenir, ou tout simplement quand il n’y a pas assez d’emplois pour tout le monde ou qu’on veut prendre un peu de temps pour profiter de la vie en mettant en pause la construction de nos futurs troubles musculo-squelettiques et autres troubles anxieux managérialement suscités ?
Est-on obligés de laisser entre les mains de riches pas si méritants que ce qu’on nous dit nos moyens de subsistance les plus élémentaires ? Pour au final se retrouver avec un système d’attribution des logements par la loi du marché et de l’argent, qui génère des effets absurdes. Les discriminations quand on cherche un logement sont largement documentées, notamment envers les couples non-hétéros ou les personnes de couleur, ou encore envers tous ceux qui n’ont pas d’emploi stable en CDI, payé au moins trois fois le montant du loyer, et des personnes dans l’entourage pour se porter garants. D’après l’Agence nationale de la cohésion des territoires, la distance moyenne entre domicile et travail est passée de 9 à 14,7km entre 1982 et 2008, une moyenne qui cache d’ailleurs de grande disparités et des situations assez extrêmes. Avec tout l’impact écologique négatif que l’on sait, qui s’ajoute à de sacrés trous dans le budget en cette période d’inflation pour ceux qui doivent prendre la voiture.
Même quand la propriété qu’on met en location est le fruit d’une épargne patiente et pleine de sacrifices sur le fruit de son propre travail, la rente est-elle pour autant légitime ? Il y une différence entre s’offrir du bon temps avec l’accumulation de son travail, et le fait d’utiliser son travail accumulé pour se mettre à partir d’un certain point à accumuler le fruit de celui des autres, sous forme de loyer, en échange de ce qui peut être considéré comme un droit fondamental, celui d’avoir un toit au dessus de la tête. La question est d’une actualité d’autant plus brûlante que la société française reprend le chemin d’une société de rentiers. Retour au 19ème siècle, dans la foulée de la start-up nation.
Ne peut-on pas imaginer, revendiquer, imposer par les luttes sociales et construire nous-même un système de distribution collectif des logements qui se fasse en fonction de critères plus rationnels, sans discriminations ? Avec un pan du service public qui permettrait à des propriétaires de mettre temporairement à disposition des locataires un logement dont ils n’ont pas l’usage dans l’immédiat, mais qu’ils ne souhaitent pas pour autant abandonner définitivement. Le tout rémunéré à hauteur du travail réellement fourni par le propriétaire en question (travaux d’entretien par exemple). Un système de cotisation sur les salaires permettrait d’instaurer une Sécurité Sociale du logement, pour ne plus avoir à présenter quarante mille garanties, pour pouvoir se mettre à l’abri en cas d’accident de la vie qui nous empêcherait temporairement de payer nos loyers ?
Les proprios sont des parasites, vraiment ?
Preuve que le regain de mobilisations sociales populaires de ces dernières années donne des ailes et de l’audace, un hashtag évocateur a connu un certain succès sur Twitter dans les jours suivant la séance de la commission des finances du 11 juillet : #LesPropriosSontDesParasites. Levées de bouclier immédiates sur le réseau social, qu’on aurait peut être tord de mettre exclusivement sur le compte de la mauvaise fois du privilège illégitime qui cherche à se conserver. Suivies de tout un tas d’explications, parfois polies et didactiques, parfois nettement plus méprisantes et agressives : quand on parle ici de proprios, on ne parle pas de personnes qui exercent leur droit à la propriété d’usage de leur propre logement, mais bien de ces rentiers qui vivent du travail des autres. Alors pourquoi ne pas lancer plutôt le hashtag #LesRentiersSontDesParasites (expression qui déjà porte d’inévitables ambiguïtés, quand on pense au cas de propriétaires qui voudraient mettre à disposition un bien qu’ils n’utilisent pas pour le moment, sans pour autant vouloir s’en séparer définitivement). S’il est vrai que le mot rentier n’est pas des plus connus, admettons que l’ambiguïté est plus facile à lever, seul derrière son écran, à l’aide d’un dico en ligne par exemple.
La question a des enjeux, en terme de luttes sociales. Pendant le premier confinement, alors que de plus en plus de locataires éprouvent de graves difficultés à payer leur loyer, diverses initiatives se lancent en France. Dont une campagne autour de l’idée de grève des loyers. Si l’initiative n’a pas vraiment prise, l’idée était intéressante, et l’avenir qui s’annonce socialement difficile nous demandera peut-être d’y revenir. Le Poing y avait consacré un papier. Notre interlocutrice à Caen témoignait de la chose suivante : le collectif local menant la campagne autour de cette idée de grève des loyers, avait été contacté par de nombreuses personnes ayant accédé à la propriété de leur résidence principale par le crédit, et qui souhaitait se joindre à la lutte naissante. Rien d’étonnant : ces personnes sont en quelque sorte les locataires de la banque auprès de laquelle elles ont contracté le fameux crédit, et se retrouvent à débourser l’équivalent d’un loyer, non seulement pour rembourser la banque, mais aussi pour lui verser les taux d’intérêts qui s’ajoutent à ce remboursement. Et par les temps qui courent, les garanties minimales demandées par les banques pour un crédit immobilier sont loin d’assurer un niveau de vie princier, ce qui peu fortement motiver à participer aux luttes sociales.
Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :