La campagne Boycott Désinvestissement Sanctions, une campagne de citoyen.ne.s ici en France pour la justice en Palestine
Le Poing était présent au 8ème week-end dse Rencontres Nationales de la Campagne BDS France les 14 et 15 Janvier 2023 pour traiter le fond de son actualité, ses objectifs et la stratégie de cette campagne internationale
En 2009, des citoyen.ne.s, associations, organisations syndicales et politiques, ont décidé de s’engager activement dans la Campagne internationale de BDS, appelée par la société civile palestinienne en 2005. Cette campagne est non =-violente, éthique et antiraciste, elle respecte les personnes et les biens, elle existe sur tous les continents. C’est un acte de dénonciation politique qui se poursuivra jusqu’à ce qu’Israël s’engage clairement dans le respect du droit international, la fin de l’occupation et de la colonisation en Palestine ainsi que le retour des réfugiés, avec une charte disponible ici.
Elle comporte trois axes :
Boycott : culturel, économique, militaires, universitaire, syndical, sportif et informatique…
Désinvestissement : de tous les partenariats et coopérations publics ou privés avec l’état d’ Israël.
Sanctions : par la Cour Pénale Internationale et isolement d’Israël par les institutions internationales.
Tout cela tant que l’État d’ Israël ne respectera pas les conventions internationales et les principes universels des droits de l’homme, sachant que le boycott de l’apartheid israélien est légal !
Ce mouvement est encouragé par sa croissance au niveau mondial et par la création de groupes locaux, régionaux et nationaux affiliés à la campagne à travers le monde. C’est le Comité national palestinien – le BNC qui en assure la direction politique à travers le monde.
Le BNC souscrit aux paroles de Martin Luther King, « l’injustice où que ce soit est une menace pour la justice partout. Nous nous efforçons d’être moralement cohérents dans notre lutte, c’est pourquoi nous continuons à avoir une tolérance zéro pour toute forme de racisme ou desectarisme. »
Pour la campagne européenne et française, le Poing a rencontré Fiona, coordinatrice en Europe qui travaille en lien direct et dans le cadre défini par le BNC palestinien.
Qu’est ce que les dernières élections israéliennes ont changé pour les palestinien.ne.s ?
« Le masque est tombé, la dernière étape d’un long processus qui déclarait “Israël comme la seule démocratie au Moyen-Orient” a permis de dévoiler la réalité. L’étape est franchie, l’hypocrisie occidentale a le nez dans ses stéréotypes, rien ne change, si ce n’est que tout est aussi pire qu’avant. La crainte actuelle c’est que tout s’accélère sur le terrain en Palestine : une augmentation généralisée, des arrestations, des destructions de maisons, des occupations de terres et des raids. – voir le dernier raid dans le camp de réfugiés de Jénine qui a fait au moins 10 morts-. Les risques ont toujours été là pour toutes celles et ceux qui résistent à la colonisation et au régime d’apartheid mais maintenant les choses sont évidentes.
Il faut ajouter que les empêchements d’actions de la Solidarité Internationale, organismes et militant.e.s, dont la société civile palestinienne est très dépendante vont se multiplier : interdiction d’entrée, de témoigner, de mettre en pratique toute forme de soutien internationaliste sous peine d’être taxé d’antisémitisme. »
Peux tu nous préciser le cadre fixé par le BNC pour les actions de BDS ?
« La racine de toute action, ce qui guide les objectifs de toute campagne, c’est la fin de la complicité internationale. C’est l’objectif commun de toutes nos activités concrètes. Toute opportunité d’action permettant de dénoncer l’hypocrisie occidentale, sa complicité avec l’État d’ Israël, permettra aussi de mettre le doigt sur le racisme structurel européen. La reconnaissance d’un état palestinien ce n’est pas la priorité, la priorité c’est la complicité ; d’abord on démantèle le système d’oppression et on met fin à la colonisation, puis on laissera les palestinien.ne.s décider de la forme de leur État. Le BNC n’a rien à dire sur l’organisation de la société palestinienne.»
Quelle est l’actualité du BDS dans le monde ?
« Depuis 17 ans, le mouvement a grandi, il est représenté maintenant sur tous les continents, en Europe il est présent dans tous les pays de l’ Europe de l’Ouest, c’est plus compliqué dans l’ Europe de l’ Est, où la question de l’ Ukraine a mangé toutes les autres causes.
Devant les succès obtenus par le mouvement international BDS, les gouvernements israéliens successifs organisent une vaste campagne mensongère et diffamatoire contre le mouvement BDS, afin de faire taire toute critique de leur politique, de masquer le régime d’apartheid imposé aux Palestiniens, et de faire oublier la Palestine. Ce qui amène les différents gouvernements européens et particulièrement la France à des agressions répétées et à une répression bien orchestrée pour délégitimer, criminaliser et empêcher l’expression publique de la solidarité internationale avec la Palestine. »
Du coup, quelles sont les campagnes à mener en Europe ?
« Les grandes campagnes européennes actuelles donc aussi françaises sont :
Celle contre Axa : la multinationale française d’assurances qui investit près de 7 millions de dollars dans trois banques israéliennes finançant les colonies illégales d’Israël. Elles sont citées dans la base de données des Nations Unies sur les entreprises complices des colonisations illégales israéliennes.
Celle contre la CAF, banque espagnole qui finance le tramway à Jérusalem avec une participation opaque dans les marchés publics.
Celle contre PUMA, principal sponsor de l’Association israélienne de football (IFA). L’IFA, tel que documenté par Human Rights Watch, qui comprend des clubs des colonies illégales.
Celle contre Carrefour qui démarre, car cette enseigne vient de signer un accord de franchise avec deux entreprises israéliennes qui sont dans les colonies. Le BNC demande la fin de ce partenariat commercial ainsi que de cesser toute vente de produits issus des colonies israéliennes dans les milliers de supermarchés et magasins de proximité qu’il exploite dans le monde.
Et enfin, celle pour chasser les logiciels espions israéliens type Pegasus d’ Europe. La cyber surveillance représente un énorme potentiel intersectionnel qui menace les mouvements sociaux à une échelle planétaire.
Quelles sont les difficultés aujourd’hui du BDS en Europe ?
« Le défi européen, c’est que le BDS sorte de sa zone de confort, d’un entre soi dans la solidarité palestinienne : être plus visible, plus créatif, plus médiatique, devenir incontournable. La cause palestinienne permet de mettre en lien beaucoup de luttes et de défis actuels notamment, avec les luttes migratoires, anticapitalistes et climatiques.
La tendance individualiste européenne liée à des années de néo-libéralisme a fracturé la solidarité internationale, l’activisme et le militantisme doivent évoluer, accepter certains compromis. En Europe, on fonctionne sur des figures emblématiques, en Palestine il n’y a pas ce système, la mise en place de la résistance est collective, la lutte est un phénomène collectif : les peuples colonisés ont toujours eu tendance à se battre collectivement là où le capitalisme est le règne de l’individualisme. »
Un grand pas a été franchi récemment avec le rapport international d’Amnesty, quels sont ses effets ?
« La reconnaissance du crime d’apartheid commis par Israël avec ce rapport a permis que le niveau monte d’un cran : que l’on puisse entamer une vraie bataille juridique avec des sanctions ciblées légales, imposer un embargo militaire etc… À Ramallah, en Cisjordanie, a eu lieu la première conférence anti-apartheid en présence de l’OLP, du ministre de la justice de l’autorité palestinienne, du BNC, des organisations palestiniennes des droits humanitaires, de journalistes. Cette conférence a appelé d’autres États à faire de même. Le changement viendra du Sud du monde, nous devons faire grandir cette vague de façon à ce qu’elle emporte tous les pays sans que plus personne n’ait le choix que de condamner l’état d’ Israël. Un grand plaidoyer qui emportera tout ! »
D’autres choses ?
« La cyber surveillance avec le logiciel espion Pegasus c’est quelque chose qui nous vient d’ Israël. Des nouveaux projets d’extraction de gaz en mer suite à l’arrêt du gaz russe, alors qu’il y en a très peu en Israël. Toutes ces nouvelles folies connectent l’Europe avec Israël et mettent à l’ordre du jour la lutte pour un mouvement de justice climatique, il y a un gros travail en chantier ! Il ne faut pas oublier aussi les 30 succès qu’a remporté la campagne BDS en 2022 !
En France, la campagne BDS est structurée autour d’un groupe d’animation et de différents collectifs dans les villes : une quinzaine de comités étaient représentés lors de ce week- end ainsi que différentes associations, groupes ou syndicats signataires de la campagne, une cinquantaine de personnes. »
Quelle est la réalité de la campagne BDS en France, ses comités ?
« La campagne est un mouvement qui agrège différent.e.s courants, associations, organisations politiques, collectifs, qui sont signataires de la charte donc de la campagne. Par exemple, selon les villes l’ Association France Palestine est signataire de la campagne ou pas : à Lyon, Lille, Nîmes Clermont – Ferrand ou ailleurs c’est le cas, à Paris ou Montpellier, cela ne l’est pas.
C’est la même chose pour certaines sections syndicales qui ont rejoint la campagne – Solidaires, la CGT – mais c’est loin d’être le cas partout, donc au cas par cas le mouvement doit fédérer et gagner les militant.e.s perdu.e.s avec des actions concrètes dans les campagnes menées, car jouer « cavalier seul » pour la Palestine, c’est très difficile et inefficace.
Dans certaines villes comme Lyon ou Toulouse il existe des collectifs qui regroupent tous les courants de soutien à la Palestine, dans d’autres, le comité BDS agit seul. Tout cela fait qu’on ne peut pas vraiment mesurer sa réalité effective, mais la campagne BDS est présente dans de nombreuses villes françaises. Notre chance, c’est le leadership palestinien, car la solidarité internationale aujourd’hui est en grande difficulté. BDS est une campagne au long cours parfois à bas bruit, où il faut savoir tout le temps utiliser les aubaines politiques ou sociales de la complicité européenne permettant de jouer sur le rapport de force en dénonçant Israël ; c’est une campagne nécessaire qui peut faire mal à l’État d’ Israël et permettre de rejouer les cartes des dominations internationales. »
« Décoloniser nos esprits »
Un moment fort de ce week end s’est tenu autour d’un atelier « Décoloniser nos espaces et nos esprits, du sol au sous sol », animé par Sihame Assbague et Omar Slaouti, militant.e.s décoloniaux
D’où la nécessité de re-penser collectivement notre manière de militer avec nos corps et nos âmes sachant que le fait colonial structure toute la société. « la modernité coloniale capitaliste modifie notre rapport au monde et justifie la domination en parlant de race : il y a une essentialisation de des marqueurs raciaux. Avant on parlait d’une dimension génétique et biologique, maintenant c’est un concept culturel de la race et de sa naturalisation : on convoque la nature pour légitimer les inégalités et les discriminations. On ne peut pas contester la nature, par nature, ça devient un constat objectif qui légitime tout et valide les missions civilisatrices. C’est un rapport social de domination producteur de hiérarchisation sociale relevant de l’infériorisation d’un groupe par rapport à un autre comme l’expliquait Franz Fanon. Le racisme post colonial convoque en permanence cette logique avec l’envoi de brigades de reconquête républicaine dans nos quartiers, tu n’es pas chez toi chez toi ! Être blanc c’est une norme de pouvoir, tout cela explique la résonance dans les quartiers de la cause palestinienne », expliquait O. Slaouti dans son exposé
Décoloniser nos pratiques militantes, c’est repenser la question de l’universalisme et de la République, se défaire des mythes aliénants, ce roman national avec un sujet mythifié qui n’existe pas et qui serait le français ! Il s’agirait d’émancipation sociale et d’émancipation politique.
Pour aller plus loin :
- L’article de Gideon Levy – chroniqueur et membre du comité de rédaction du Haaretz – qui permet de comprendre que le nouveau gouvernement obligera l’ Occident à regarder Israël et à reconnaître, du moins intérieurement, qu’il s’agit d’un État d’apartheid.
- Le communiqué adopté à l’issue du week end de la 8ième Rencontre Nationale
- La dernière déclaration du chef de la diplomatie européenne du parlement de l’UE Joseph Borell à propos notamment de la qualification d’apartheid appliquée à l’État d’Israël.
- Des nombreuses campagnes et projets évoqués lors de cette rencontre, on retiendra « Musiciens pour la Palestine » évoqué par Stefan Christoff, qui produit et organise des concerts dans le monde entier en soutien aux droits des Palestinien.ne.s et du BDS.
- Le dernier communiqué de BDS concernant la venue de Benyamin Netanyahou à Paris.
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