«Nous revendiquons plus que jamais la radicalité» | Nathalie Oziol, députée LFI de l’Hérault

Le Poing Publié le 31 mai 2023 à 14:07 (mis à jour le 31 mai 2023 à 17:05)
Jean-Luc Mélenchon et Nathalie Oziol, le 6 mai 2023 à Marseille (photo empruntée au compte facebook de la députée)

Le Poing n’a pas l’habitude de parler aux élu·es. Rassurez-vous, les macronistes et l’extrême-droite, qui ont tout le loisir de s’épancher dans les médias des milliardaires, ne sont pas prêts d’avoir une tribune dans nos colonnes. On a préféré causer avec la députée La France Insoumise (LFI) de la 2e circonscription de l’Hérault. Dans une ville, Montpellier, qui a largement placé Jean-Luc Mélenchon en tête des dernières présidentielles, ce n’est pas inutile de savoir ce que pense Nathalie Oziol. Entretien.

Le Poing : Aux dernières présidentielles, Jean-Luc Mélenchon a failli se qualifier au second tour, malgré les insultes incessantes des candidats du Parti Communiste Français (PCF), d’Europe Ecologie Les Verts (EELV) et du Parti Socialiste (PS). Pourquoi avoir décidé de sauver ces astres morts en leur offrant des sièges de députés aux législatives via la Nouvelle Union Populaire Ecologie et Sociale (Nupes) ? Pourquoi tant d’acharnement à faire survivre le parti de Manuel Valls ?
Nathalie Oziol
 : Ce n’est pas forcément le parti de Manuel Valls qui nous intéressait… Aux présidentielles, LFI échoue de peu à se qualifier au second tour, avec un programme de rupture. A l’inverse, les candidatures de la gauche traditionnelle et leurs programmes d’accompagnement du libéralisme ne dépassent pas les 5%. C’est cette démonstration de force qui a permis l’union, sur des bases programmatiques claires. La Nupes, c’est 650 mesures de rupture avec le libéralisme. Un tiers des électeurs n’avait pas voté pour Emmanuel Macron ni pour Marine Le Pen. Nous avions le devoir de proposer une alternative. Et nous avons gagné le premier tour des législatives, ne l’oublions pas. Dans l’Hérault, les neuf candidats ont été qualifiés au second tour !

Lors des débats parlementaires sur les retraites, un député LFI avait qualifié le ministre du Travail d’« assassin » mais il s’est finalement excusé, notamment sous la pression du PS, d’EELV et du PCF. Ne pensez-vous pas que la Nupes nuit à votre image radicale ? Revendiquez-vous toujours cette radicalité ?
Plus que jamais. La base programmatique de la Nupes – enrichie des débats parlementaires sur les retraites, la nationaliste d’EDF, la protection des locataires, etc. –, c’est ce qui sert de cadre à notre action et il n’est pas question de l’édulcorer. Nous théorisons cette radicalité. Nous la revendiquons. Haut et fort. Et c’est la raison pour laquelle nous sommes attaqués de concert par les macronistes et le Rassemblement national (RN). Nous ne voulons plus de ce monde qui pourrit le bien-être des gens, l’environnement, la démocratie, et nous voulons encore moins d’une alternative fascisante.

Lors du mouvement social contre les retraites, LFI a suivi les consignes de l’intersyndicale et a joué sa carte parlementaire en acculant le gouvernement mais indépendamment de l’action des députés, quelle est la stratégie de LFI vis-à-vis des luttes sociales ?
LFI et plus largement la Nupes avons d’abord mené le combat à l’assemblée – je suis députée – en mettant le gouvernement face à ses contradictions. C’est nous qui avons mis en lumière le fait que la retraite minimale à 1200€ promise par les ministres n’était qu’une foutaise. En parallèle, nous avons grossi la colère populaire par notre présence partout en France dans les manifestations aux côtés de millions de personnes. Nous sommes parfaitement à notre place dans la rue, comme à l’assemblée. Nous ressentons et nous relayons la colère populaire. Pourquoi faire travailler les gens deux ans de plus ? Le droit au bonheur ne passe pas forcément par le travail, nous avons le droit au temps libre. Travailler jusqu’à la mort n’est pas source d’émancipation.

On l’a bien vu pendant les gilets jaunes et les manifestations post-49-3 : il n’y a plus de révolte sans feu, sans vitrines de banques cassées. Vous condamnez les « casseurs » ?
Je n’aime pas les injonctions à la condamnation aux violences matérielles. Il faut prendre de la hauteur. Lors des gilets jaunes, des gens qui se sont battus pour le pouvoir d’achat et la démocratie ont fini éborgnés, mutilés. Par dizaines. Cette répression violente, qui existait déjà dans les quartiers populaires et à la sortie des matchs de foot, s’est massifiée. Ce n’est pas le rôle de la police que de brutaliser des manifestants, comme on l’a encore vu lors du mouvement des retraites ou bien à Sainte-Soline. C’est insupportable. LFI a interrogé le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin à plusieurs reprises sur cette question et ses réponses sont toujours les mêmes : critiquer la police serait l’insulter. Ce n’est pas le sujet. Le ministre de l’Intérieur est garant de la sécurité des manifestants et des policiers. C’est sa responsabilité. La police ne devrait pas être que répressive, elle pourrait aussi jouer un rôle de facilitation sociale.

Le n°36 du Poing brandi par un manifestant le 1er-Mai 2023 à Montpellier

Vous croyez à l’hypothèse révolutionnaire, ici et maintenant ?
A LFI, nous revendiquons les symboles révolutionnaires. Nous portons la voie de 1789 et des Révolutions qui ont suivies. Nous nous inscrivons dans cette Histoire. Les macronistes, eux, réfléchissent comme des managers et ne comprennent pas l’histoire française. L’imaginaire du soulèvement du peuple contre une poignée d’oligarques brutaux nous anime. Nous faisons le parallèle avec les millions de personnes qui se battent pour ne pas travailler deux ans de plus. Nous revendiquons la Révolution citoyenne, qui passe notamment par les urnes, mais surtout par la mobilisation générale du peuple, pour passer à la VIe République.

Le préfet de l’Hérault Hugues Moutouh a successivement laissé des identitaires défiler à Montpellier puis interdit un rassemblement contre l’apartheid en Israël. Qu’en dites-vous ?
C’est scandaleux. Le préfet interdit une casserolade à Ganges et maintenant ce rassemblement associatif. Hugues Moutouh pratique les interdictions de manifestation à géométrie variable et ça s’inscrit dans une stratégie globale. Quand Gérald Darmanin reproche à Marine Le Pen d’être « trop molle » et qu’Elisabeth Borne déclare que le RN serait plus fréquentable que LFI, c’est une stratégie de banalisation de l’extrême-droite. La macronie s’effondre face à son propre échec et en s’effondrant, ouvre les vannes à l’extrême-droite. Le résultat, c’est un maire, à Saint-Brévin, qui se fait incendier sa maison pour avoir autorisé un projet d’ouverture d’un centre d’asile, sans que l’Etat ne prenne des mesures, malgré des alertes. Ça ne sent pas bon, ce n’est pas normal et il ne faut pas se laisser endormir. On ne fait pas entrer sans conséquence 88 députés RN à l’assemblée. L’alternative est urgente.

LFI est une machine de guerre électorale mais peine à maintenir un niveau intense d’activités hors période électorale. Quelle stratégie déployer face à cette situation ?
Nous restons très présents sur le terrain. Nous collons des affiches, multiplions les réunions publiques, nos cortèges sont très fournis lors des manifestations, les groupes d’actions s’activent. Nous distribuons régulièrement des tracts à la Paillade, pour dénoncer, entre autres, les passoires thermiques. Nourrir le lien avec les quartiers populaires fait partie de nos priorités. Nous sommes passé de 17 à 75 députés, donc LFI connait une nouvelle phase de développement, et ça va se traduire par l’acquisition de locaux, en priorité dans les départements dans lesquels nous n’avons pas été élus, comme les Pyrénées-Orientales et l’Aude. Nous allons nous implanter localement pour rappeler que le RN n’est pas une alternative au macronisme.

Quelles sont les batailles primordiales dans l’Hérault ?
Il y a eu des manifestations spectaculaires à Lodève, Clermont-l’Hérault, ou bien encore Béziers sur les retraites. Les batailles sociales ont été largement portées dans l’Hérault. Bien sûr, la question de la sécheresse domine. Certaines communes n’ont plus d’eau au robinet dans les Pyrénées-Orientales et ça nous pend au nez dans l’Hérault. Il suffit de se balader dans le Gard, en Lozère, pour se rendre compte que les cours d’eau sont au plus bas, avec un niveau de sécheresse digne d’un mois d’août. Il n’y a pas eu de neige cet hiver, donc pas de fonte de neige, donc pas d’alimentation en eau des cours d’eau et des nappes phréatiques. A LFI, nous avons ouvert la campagne présidentielle sur le sujet de l’eau. Le maire de Grabels René Revol a multiplié les réunions sur la nécessité d’avoir des régies publiques de l’eau.

Les prochaines élections européennes se tiennent en juin 2024 et EELV veut se présenter seul, sans la Nupes. Il y a du nouveau ?
Nous pensons, à LFI, que la gauche – ou plutôt, la voie populaire, tant le mot « gauche » a été dévoyé par le duo Valls-Hollande – a intérêt à ne pas se morceler. En Grèce et en Espagne, le morcellement de la voie populaire et les renonciations sur la sortie de l’OTAN et l’attitude à adopter face aux traités européens ont conduit à échecs. La réforme des retraites, c’est l’application d’une injonction européenne. Parlons-en. En 2019, les macronistes et le RN ont gagné les européennes. Ce scénario ne peut se reproduire. A EELV, des voix s’élèvent pour remettre en cause le choix de la secrétaire générale, Marine Tondelier, de se présenter sans la Nupes, et des jeunes écolos ont également remis en cause cette position. Nous ne pouvons pas prendre le risque que l’extrême-droite continue à gagner du terrain au Parlement européen car les conséquences directes, ce sont des politiques migratoires indignes. Et que l’on soit clair : si nous partons séparés aux européennes, ce sera compliqué d’avoir des listes Nupes aux municipales. Et dans certains bureaux de vote de Montpellier, au Petit-Bard ou à la Paillade, Jean-Luc Mélenchon a obtenu plus de 80% des voix.

François Ruffin 2027, c’est sérieux ? Est-il à la hauteur de la radicalité de l’époque ?
Il ne s’est pas clairement présenté. Il remplit son mandat de député de manière exemplaire et nous avons intérêt à avoir plein de François Ruffin qui émergent. Qui sait ce qu’il se passera d’ici 2027 ? Tout est très instable. Le RN passe son temps à dire aux gens : « calmez-vous, rentrez chez vous et rendez-vous en 2027 pour voter Marine Le Pen ». Nous n’avons pas intérêt à adopter la même stratégie. Nous sommes prêts à la dissolution de l’assemblée s’il le faut, nous ne voulons pas que le quinquennat d’Emmanuel Macron se déroule tranquillement.

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