« Cette répression accrue nous oblige à nous structurer » : Entretien avec Julien Le Guet

Khalie Guirado Publié le 18 janvier 2024 à 20:21 (mis à jour le 15 novembre 2024 à 18:36)
Photo prise durant le convoi de l'eau en août 2023. (Mathieu Le Coz/Hans Lucas)

Le tribunal de Niort a rendu ce mercredi 17 janvier sa décision à l’encontre de neuf personnes, représentants syndicaux ou associatifs dont Julien Le Guet. Porte-parole de Bassines Non Merci, nous l’avions interviewé quelques semaines avant ce procès. Ils étaient notamment poursuivis pour l’organisation de manifestations interdites contre les mégabassines en octobre 2022 et de mars 2023 à Sainte-Soline (Deux-Sèvres). Nous republions ici un article de notre numéro 37, “La guerre de l’eau est déclarée”

“La guerre de l’eau est déclarée”. C’est ce que nous titrions en septembre 2023 dans notre numéro papier. La guerre de l’eau est déclarée. Mais la guerre à ceux et celles qui osent demander une gestion juste de l’eau aussi. 

Le tribunal de Niort a rendu ce mercredi 17 janvier sa décision à l’encontre de neuf personnes, représentants syndicaux ou associatifs dont Julien Le Guet. Porte-parole de Bassines Non Merci, nous l’avions interviewé quelques semaines avant ce procès. Ils étaient notamment poursuivis pour l’organisation de manifestations interdites contre les mégabassines en octobre 2022 et de mars 2023 à Sainte-Soline (Deux-Sèvres). 

Basile Dutertre et Benoît Feuillu porte-parole des Soulèvements de la Terre, Nicolas Girod, ex-porte-parole de la Confédération paysanne ainsi que Julien Le Guet, écopent des peines les plus lourdes : six à douze mois de prison avec sursis, interdiction de territoire dans les Deux-Sèvres pendant trois ans et obligation restreinte aux communes de Mauzé-sur-le-Mignon et de Sainte-Soline pour Julien Le Guet. En plus de 24 000 euros (cumulés) de dédommagement.

Pour le juge, « les bassines participent à une meilleure gestion de la ressource hydrique. Il n’y a actuellement aucune certitude scientifiquement acquise concernant leur impact environnemental ». Le mouvement anti-bassines prépare d’ores et déjà quelques jours avant l’ouverture des JO de Paris les 20 et 21 juillet une nouvelle mobilisation.

L’entretien ci-dessous est issu de notre numéro papier numéro 37, “La Guerre de l’eau est déclarée”, paru en septembre 2023.

Entretien avec Julien Le Guet – « cette répression accrue nous oblige à nous structurer. Elle donne de la force à la lutte. »

Figure incontournable de la lutte anti-bassine, porte-parole du collectif Bassines Non Merci !, ce batelier, amoureux du marais-poitevin où il a grandi, lutte depuis plus d’une décennie contre les cratères bachés que s’obstinent à vouloir construire le gouvernement. Mis en garde à vue, en procès,  espionné – il avait retrouvé une caméra devant le domicile familial et un traceur GPS sous son véhicule, Julien Le Guet résiste. Contres vents et marées.

Le Poing : La lutte anti-bassine qu’on ne présente plus subit une énorme répression. Comment fait-on pour continuer à lutter malgré tout ?

Julien Le Guet : Cette lutte sur les bassines, elle agglomère énormément de solidarités, et même des assos structurés. On bénéficie donc du soutien de camarades par exemple sur les aspects juridiques. Il y a des solidarités qui s’opèrent également sur le plan financier. On peut aller chercher des avocats, etc. Pour l’instant, on n’est pas encore dans la phase où on a tous eu à subir les verdicts. Je pense que je t’en dirai plus le mois prochain après le jugement du huit (ndlr : le 8 septembre a eu lieu le premier acte du procès de neuf personnes -représentants syndicaux et porte-paroles de Bassines Non Merci ! – accusés d’avoir appelé à la manifestation de Sainte-Soline de mars dernier. Le tribunal de Niort a finalement annoncé une reprise du procès au 28 novembre 2023) . Pour l’instant, je suis sous contrôle judiciaire qui m’interdit de manifester et de fréquenter les communes de Sainte Soline et Mauzé. C’est clair que ça impacte déjà mon quotidien, par exemple, ne serait-ce que dans mon rôle de porte parole. Aller avec les journalistes sur les lieux pour constater l’avancée, etc, ça m’est aujourd’hui interdit. Ca pose plein de problèmes en liberté fondamentale, en liberté de la presse, de circulation, etc.

Et là, ça impacte le quotidien. Mauzé, C’est le chef-lieu de canton de là où j’habite, c’est là où il y a une de mes filles qui est scolarisée, c’est la banque, c’est handicapant.

Le jour où il y a des mesures d’éloignement qui seront prononcées, le jour où il y aura des bracelets de posés, là clairement ça impactera notre capacité à agir. Mais pour l’instant on n’est pas à cette étape là. Bassines Non Merci ! n’est pas dissoute et j’ai encore la liberté de mouvement.

Et puis je pense que le moteur principal est sur le côté fondamental de cette lutte. C’est une lutte pour la vie. C’est vital pour l’avenir de l’humanité. Je pense que le jeu en vaut la chandelle. A titre personnel je sais parfaitement pourquoi je fais ça. Je sais parfaitement jusqu’où je suis prêt à aller. Si on doit subir la répression de l’Etat, je la subirai. Et si Macron est prêt à faire des prisonniers politiques, qu’il fasse des prisonniers politiques, ça le placera dans l’Histoire. Un peu de souffrance quand ce qui est en jeu de l’autre côté c’est le bien être de toute forme de vie. Il n’y a pas photo bien sûr.

Tu as en toi, Julien, une grande douceur. Un déterminisme incroyable mais ce qui marque quand on te rencontre, c’est cette attention que tu portes à l’autre, aux autres. Cet apaisement que tu apportes dans un environnement de lutte qui est parfois loin de l’être. Lorsqu’on te tend un micro, tu finis toujours par demander à ce qu’il soit tendu aux autres camarades, aux autres organisations. C’est une qualité qui n’est pas si courante. Est-ce que cette articulation entre lutte et douceur c’est quelque chose auquel tu réfléchis, auquel  tu portes un soin tout particulier ?

Déjà, ça commence par un hommage vibrant, un témoignage de très forte reconnaissance à toutes les personnes qui s’investissent dans ce que l’on appelle aujourd’hui les bases arrière. Ces gens qui ne vont pas forcément aller au front et se risquer à subir directement dans leur chair les violences policières. Mais qui vont être là en amont pour s’assurer que les avocats seront mobilisables en cas de garde à vue par exemple. Et pas des avocats commis d’office, parce que c’est une véritable loterie. On peut vraiment tomber sur des pourris qui donnent de très mauvais conseils. C’est ce qui est arrivé au camarade Cédric S. (ndlr jugé en juin dernier pour jets de pierre lors de la manifestation de Sainte Soline de mars 2023). Malheureusement, on n’a pas eu connaissance de son interpellation. On n’a pas pu l’accompagner et lui donner tous les conseils de bon aloi. Et évidemment, il n’y avait aucun intérêt à déclarer quoi que ce soit. La police et la justice font avec les éléments qu’ils ont mais on n’a certainement pas à leur en donner. On n’a jamais, non plus, à parler des camarades, etc. Cédric s’est retrouvé avec un  commis d’office au bout de fil qui lui a dit de tout balancer en lui disant qu’il aurait une peine allégée, que ce serait bien vu du juge. Il a pris dix mois ferme.

Donc un un gros gros big up à tous ceux qui s’investissent dans les équipes médic, dans les équipes soins psy, dans les équipes cuisines, etc.

C’est pour ça que, paradoxalement, même si je pense que ce n’était pas l’objectif initial de Darmanin et de sa bande, cette répression accrue nous oblige à nous structurer et elle donne de la force à la lutte. Et elle permet aussi à des gens de trouver leur place. Parce qu’en effet, il y a besoin de tout le monde. On n’est pas tous égaux, égales, dans notre capacité à investir nos corps. C’est fondamental que chaque personne trouve sa place en toute tranquillité, en étant là pour recevoir, pour accueillir, pour soigner, etc.

Il y a quelque chose d’assez remarquable dans notre lutte, c’est qu’aujourd’hui, on est vraiment sur une alliance qui est très large. Si cette alliance est large, c’est qu’en effet, on a certainement des méthodes, des manières de faire. On est dans l’humain, sur des tensions folles et avec des enjeux aujourd’hui vraiment mastoc. Savoir se générer les espaces de parole, de régulation, de quand ça coince, avoir des formes de médiations qui peuvent se mettre à l’œuvre.

Pour moi, le principal enseignement, c’est d’apprendre à comprendre, d’arrêter de juger, capter qu’on agit tous, toutes dans le même sens et que c’est bien l’ensemble de la palette des outils, de l’activisme et du militantisme, qu’il soit légaliste ou plus en mode désobéissance civile, qui sont activés face au monstre qu’on a à affronter aujourd’hui. Quand je parle des monstres, je parle des lobbys agro industriels, des capitalistes, des accapareurs, mais je parle surtout de notre gouvernement. [Silence] Qui est prêt à tuer pour un trou.

Propos recueillis par Khalie Guirado.

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