La Région Occitanie fait intervenir une “coach en hypnose et constellations familiales” pour ses agents

Elian Barascud Publié le 30 mai 2024 à 17:59 (mis à jour le 30 mai 2024 à 18:04)
L'hôtel de Région Occitanie. (image d'illustration libre de droits/ Fabrice Bon, 2019)

Fin 2023, les agents de la Direction de Économie Locale, du Tourisme, de l’Agriculture et de l’Alimentation (DELTAA) de la Région Occitanie, qui s’estimaient en souffrance au travail, ont eu droit à l’intervention d’une Coach et thérapeute en « hypnose spirituelle et Ericksonienne et constellations familiales », des pratiques surveillées de près par la Mission Interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes)

Dans un courrier d’octobre 2023 adressé aux agents de la Direction de l’Économie locale, du tourisme, de l’agriculture et de l’alimentation (DELTAA), la direction de ce service les informe de l’intervention d’une « coach » via des « entretiens exploratoires », pour « faire le point sur le fonctionnement de la DELTAA ».

Parmi les questions posées lors des entretiens, on peut citer « Comment décrivez-vous le fonctionnement actuel de la direction dans ses aspects favorables et dans ses aspects inconfortables (histoire, source, valeurs, atmosphère, ce qui rassemble, ce qui favorise les divergences…) ? », « Si vous étiez en charge de changer quelque chose d’important ou de moins important dans les fonctionnements actuels, quelle serait votre priorité ? Que feriez-vous ? », ou, plus étonnant : « Spontanément, quelle métaphore animale vous vient pour décrire la DELTAA ? »

Des pratiques décriées

La coach choisie par la Région pour animer ces entretiens se nomme Anne-Laure Boselli. Elle se présente sur son site Internet comme « coach et thérapeute, praticienne en hypnose spirituelle et Ericksonienne, constellations familiales et thérapies brèves », mais également en « quête de vision » : « C’est moi qui “voyage” pour vous, dans votre terre intérieure, vos archives akashiques, vos mémoires, pour recueillir les informations délivrées pour vous : messages, images, rituels », peut-on lire sur son site. Elle dit accompagner « tout au long de votre transformation personnelle, de votre guérison émotionnelle et de votre quête spirituelle. »

Un choix critiqué par le syndicat Sud Collectivités Territoriales Région, qui a réagi par la voie d’un communiqué : « Concernant les équipes de la DELTAA, elles ont ouvertement fait part de leur souffrance lors d’un “audit”. Cet “audit” a été mené non pas par une experte en organisation du travail mais par une “coach” qui pratique “l’Hypnose Spirituelle et symbolique, l’Hypnose Ericksonienne, les Constellations systémiques et familiales, les Quêtes de vision, la Communication bienveillante, l’analyse transactionnelle…”, bref autant de spécialités qui ne devraient pas être mobilisées par une administration mais plutôt faire l’objet d’une saisie de la Miviludes ! »

En effet, la pratique des constellations familiales (une méthode pseudo-scientifique de thérapie familiale transgénérationnelle développée dans les années 1990 basée sur la mise au jour de l’inconscient familial par le biais de jeux de rôles et de psychodrames qui auraient le pouvoir de résoudre les conflits) est recensée par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Elle est considérée comme faisant partie « des pratiques non évaluées ou rattachées à des théories repérées comme présentant un danger pour les patients ». Concernant l’hypnose Ericksonienne, la pratique, qui prétend utiliser les capacités naturelles du cerveau humain à modifier son état de conscience, est notamment critiquée par l’Ordre des infirmiers, qui interroge son efficacité scientifique et qui rappelle que cette pratique a fait l’objet de 48 saisines auprès de la Miviludes, en 2020.

Plus loin dans le communiqué, le syndicat dénonce, outre le manque de pistes concrètes d’amélioration à la suite de l’intervention de la coach, un format de restitution des entretiens « très malaisant, pointant avant tout des dérives managériales personnelles mais omettant de traiter les dérives institutionnelles et/ou organisationnelles », telles que « le turnover élevé, les très nombreux postes vacants, les sous-effectifs chroniques malgré la charge de travail élevée, les moyens en baisse budgets en berne » ou encore le « sentiment que l’expertise tant des cadres que des gestionnaires et instructeur.trice.s est sous-estimée par la collectivité, en termes de rémunération notamment ou encore manque de reconnaissance ».

Tendance générale

Sur l’Intranet de la Région Occitanie, il est proposé aux managers de la Région des ateliers de développement personnel nommé « le manager, ce héros » ? pour « réfléchir aux personnages qui nous inspirent », « mieux les identifier, mieux se connaitre, pour mieux manager ? ». On y trouve également des formations « gestions des émotions : ressourcement et management » qui proposent des initiations à la méditation en pleine conscience. L’analyse systématique de recherches sur cette pratique montre des effets faibles à modérés sur le stress psychologique (anxiété, dépression, douleur) tandis que sur d’autres troubles, aucun effet significatif n’est démontré. Aujourd’hui, cette pratique présente des risques de dérives sectaires, selon le rapport 2021 de la Miviludes.

Toujours sur l’Intranet de la région, les agents ont à disposition des liens Youtube vers des vidéos de « respiration carrée » pour diminuer son stress. Elles sont réalisées par un média géré par des promoteurs de la naturopathie, une autre pseudo-science/médecine parallèle dans le viseur de la Miviludes pour ses potentielles dérives (à noter par ailleurs que la Région finance des formations pour devenir praticien en naturopathie).

Une stratégie ?

En novembre 2022 déjà, Sud CT Occitanie alertait par le biais d’un guide à destination des agents sur des méthodes de management qui relevaient selon eux de la « manipulation » : les syndicalistes avaient identifiés deux méthodes employées par la direction qui ont selon eux « comme objectif d’obtenir l’assentiment des agents ». Ils parlent de « lean-management », à savoir des concertations organisées par les managers « dont l’objectif est au final que les agent.e.s proposent elles.eux mêmes ce que la direction souhaite mettre en place, avec comme objectif d’“améliorer les process” » et de « nudge », « qui revient à influencer les décisions des personnes pour que la solution semble venir d’elles-mêmes, sans toujours organiser un temps de concertation dédié, ou affiché comme tel ».

Ils prennent comme exemple de cette stratégie la réorganisation des services post-fusion des deux anciennes régions (Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées), qui a entrainé le « bureau nomade », ou « flex-office » dans le jargon de l’entreprise, ainsi que le développement du télétravail. Le syndicat y voyait une suppression du bureau fixe pour des raisons d’économies budgétaires dans un contexte d’accroissement du nombre d’agents au même endroit, et a alerté, dès les premiers « groupes de travail » sur le télétravail et la dégradation matérielle des conditions des salariés. Le syndicat dénonce par ailleurs une novlangue utilisée par la direction auprès des employés qui « inverse le sens des mots » : « tenir compte des enjeux actuels de sobriété », par exemple, pour ne pas dire « faire des économies ». Le but de cette stratégie de « concertation », selon Sud, est « de contourner les syndicats et le dialogue social » en s’adressant directement aux agents, pour « faire adhérer en évitant les sujets qui fâchent. »

Cette stratégie de recherche, voire de fabrication du consentement, est d’ailleurs théorisée dans un guide dédié aux managers des équipes de la Région Occitanie, que Le Poing a pu se procurer. « Transformer un changement imposé en un changement désiré, beau challenge que ce guide va vous aider à réussir ! », peut-on lire en introduction. Il est conseillé aux managers de pratiquer la « concertation » avec leurs équipes pour parvenir au changement, avec un plan clé en main : lister les insatisfactions, « s’assurer que les individus impactés par le changement ont bien conscience qu’une transformation est nécessaire », « s’assurer que les collaborateurs ont une réelle envie d’améliorer la situation, et donc d’opérer un changement faire émerger les raisons et l’envie d’aller vers du mieux ». Plus loin, on peut lire : « L’objectif est que cette vision de l’avenir soit non seulement partagée par tous les membres de l’équipe, mais que ces derniers se l’approprient pleinement et en deviennent les ambassadeurs. Peu importe d’où la vision émane. L’important est que cette vision devienne celle de tous. » Le but de cette stratégie est que « les forces en faveur du changement soient supérieures aux résistances », car, selon le guide : « Les organisations ne résistent pas. Ce sont les individus qui s’opposent au changement »

L’arrivée des méthodes de développement personnel à la Région serait-elle la continuité de cette stratégie managériale ?

Contactée, la Région n’a pas donné suite à nos sollicitations.

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