Pour affaiblir Wikipedia, Delafosse à nouveau dans le camp des réactionnaires

Le Point (et non Le Poing) a lancé une campagne visant à intimider les contributeur.ices de l’encyclopédie en ligne Wikipedia. L’hebdomadaire n’apprécie pas que la fiche, très longue et étayée, qui lui est consacrée, décrive par le menu sa dérive éditoriale le rapprochant des thèses nationalistes identitaires. Michaël Delafosse a choisi de rallier une clique de figures médiatiques, majoritairement réac, en appui au Point. Dans un contexte de guerre culturelle animée par l’extrême-droite, sa signature entache l’image de Montpellier dans le paysage intellectuel
Décidément, il n’en loupe pas une. Depuis son installation en mairie de Montpellier, Michaël Delafosse construit son image de “maire atypique”. Cela en multipliant les signes d’engagement prioritaire sur les thèmes de la sécurité, l’insistance sur des menaces séparatistes islamistes, la production d’une laïcité dévoyée en modèle para-identitaire excluant, la chasse aux soutiens de la cause palestinienne, etc.
“Atypique” doit donc s’entendre comme proche des thèmes favoris de la droite dure et de son extrême. On aura lu les acclamations que cela lui a aussitôt valu, de la part de l’hebdomadaire Valeurs actuelles, le relais de cette “pensée” assurée par des collaborateurs du Figaro, ou encore les alertes para-complotistes lancées par L’Opinion.
C’est maintenant au Point que le maire de Montpellier peut compter ses nouveaux copains. Depuis la mi-février, cet hebdomadaire s’est lancé dans une campagne de dénigrement et d’intimidation à l’encontre de l’encyclopédie Wikipedia. Situons l’ambiance : Outre-Atlantique, Elon Musk – un grand intellectuel épris de liberté, comme on sait – ne cesse d’en appeler à en finir avec ce qu’il appelle “Wokepedia“. Situons l’enjeu : Wikipedia est désignée pour cible dans la guerre culturelle déchaînée par l’extrême-droite à l’échelle planétaire. Le maire d’une grande ville française doit savoir se situer, dans cela…
Wikipedia compte parmi ces quelques fleurons magnifiques qu’il faut reconnaître parmi les acquis très positifs de la révolution Internet. Il s’agit d’une encyclopédie collaborative, totalement internationale, intégralement gratuite, qui ne cesse de s’écrire et de se corriger par l’apport bénévole de milliers d’expert.es sur la planète. A ses débuts, on y vit le risque d’errements incontrôlés dans la formalisation et la diffusion de savoirs échappant aux cadres de certification scientifiques institués. Or, une immense communauté des savoirs s’est constituée à travers elle, qui ne cesse d’enrichir, amender, et évaluer la qualité de ses contenus.
Parmi des millions et millions de fiches publiées en près de trois cents langues, l’une est donc consacrée à l’hebdomadaire français Le Point. Très développée, étayée et référencée, cette fiche décrit toute l’histoire de cette publication, son fonctionnement économique, la composition de sa rédaction, et bien entendu l’évolution de sa ligne éditoriale. C’est là que le bât blesse.
S’adressant à un lectorat de cadres et personnalités institutionnelles influentes, les rédacteurs de cette fiche repèrent que le contenu des articles du Point accompagne l’évolution idéologique de ce milieu, en dérivant de plus en plus nettement vers les thèses proches d’un nationaliste identitaire. D’où le mail menaçant reçu par FredD, l’un de ses rédacteurs, qu’un journaliste du Point a su repérer derrière son pseudonyme (le caractère collaboratif de la rédaction collective des contenus de Wikipedia passe par cet usage des pseudos).
Depuis 18 ans, FredD a rédigé plus de trente mille apports de contenus à l’encyclopédie en ligne. Le journaliste l’avertit que l’hebdomadaire s’apprête à publier un article à charge, révélant son identité, son activité professionnelle, sollicitant l’avis de son employeur, et lui intimant un ultimatum daté pour répondre à ses questions. Ces méthodes sont immédiatement perçues comme se rapprochant de celles de l’extrême-droite, consistant à menacer, intimider et faire pression.
Elles sont dénoncées comme telles dans un appel signé par plus d’un millier de collaborateur.ices français.es de l’encyclopédie. Elleux rappellent que leur fonctionnement fait que tout désaccord sur un contenu se discute sur une page ad-hoc rattachée à la fiche ; et qu’il est très courant que ce type de discussion se solde, dans les plus brefs délais, par l’apport de corrections, voire par le retrait des éléments publiés.
C’est le fonctionnement normal du débat intellectuel, dans cette encyclopédie libre et plurielle, où aucune autorité institutionnelle et/ou politique, aucun pouvoir financier, n’est en mesure d’imposer sa vérité à l’encontre de la communauté savante. Or Le Point s’y connaît dans le maniement des mécanismes d’influence. Il lance un contre-appel, dont plusieurs points flirtent avec la diffamation.
L’activité de la plateforme encyclopédique abriterait des « campagnes de dénigrement systématique et sans contradicteurs », et des contributeur.ices en sont décrits comme des « militants anonymes », animés d’une « volonté d’entacher les réputations », en opérant sur les contenus « des modifications malveillantes ». Dans la polémique qui se déchaîne, on note le procédé usuel à l’extrême-droite, du renversement de l’incrimination, puisque la communauté savante se livrerait à des activités dignes de trolls de réseaux sociaux.
Les quatre-vingt signataires de cet appel n’ont que rarement quelque chose à voir avec une communauté scientifique digne de ce nom. Elle tient plus d’une clique de figures médiatiques à divers titres, représentative de l’éditocratie et de la toutologie (les spécialistes de tout et de rien blablateurs pour l’info continue), succédanés de philosophes, responsables de rédactions de droite, anciens ministres, ex-soixante-huitards en complets-vestons, chroniqueurs de l’air brun du temps, figures de la social-démocratie anti-gauche, agitateurs anti-woke fébriles, féministes terf, souverainistes, printaniers républicains, sionistes aveugles en génocide, commentateurs para-libéraux.
On y retrouve des Sophia Aram ou Thierry Ardisson, des BHL et des Cohn-Bendit (faut bien rire), des Blanquer et des Dominique Reynié (soit-disant politiste qui se ridiculisa en menant une liste de droite à la catastrophe à des municipales à Montpellier). Alain Minc et Julien Dray. Caroline Fourest, Natacha Polony et Elisabeth Badinter. Philippe Val et Jean-Pierre Sakoun. Raphaël Entoven, Pascal Perrinneau, etc.
Et donc Michaël Delafosse, qui a tout de suite flairé son camp. Ce qui est un geste grave, qui entache l’image de Montpellier, ville de référence en matière de recherches et d’activités intellectuelles. Une ville qui n’a pas besoin que son premier magistrat s’affiche dans le camp de bateleurs visant à affaiblir Wikipedia, à l’instar d’un Elon Musk disait-on.
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