Art engagé : des expos sous haute tension à Montpellier

Le Poing Publié le 12 mars 2020 à 00:04 (mis à jour le 12 mars 2020 à 12:22)
Ernest Pignon et son travail sur le poète Mahmoud Darwich

La poésie dans une main et la matraque dans l’autre : Philippe Saurel, maire de Montpellier, se lance dans le Palestine Washing. Et à la gare, un artiste activiste ironise en format géant sur le Green Washing


Les aventures de Pavlenski au rayon des sextapes politiques ont placé brutalement sur le devant de la scène les questions de l’art en lien avec le politique. Pavlenski se revendique totalement artiste. Genre pratiqué : la performance. C’est à dire : une action directe dans le monde, qui modifie le monde. Cela sans effectuer le détour de le représenter. Lorsque Pavlenski passe une année en détention préventive dans les geôles de Poutine, il annonce que cela fait partie intégrante de son oeuvre d’artiste.

Retour sur la scène montpelliéraine. D’abord du banal. Scandaleusement banal. Ce samedi 7 mars 2020 sur la Comédie, comme après des dizaines d’autres samedis, le stand du comité local BDS (lequel appuie l’appel de la société civile palestinienne au boycott, au désinvestissement et aux sanctions comme moyen de lutte non-violente à l’encontre de l’occupation israélienne), ce stand reçoit la visite de la police muncicipale de Montpellier. Procès-verbal. Contravention.

Moins banal : cet acharnement de Philippe Saurel à l’encontre des militants pro-palestiniens passe un cran supplémentaire, avec l’intervention de quarante policiers et gendarmes d’État, qui eux procèdent au démontage du stand et à la confiscation de son matériel (hors ouvrages et brochures – mais allez sonder le mental policier quand la carte issue du scandaleux projet Trump de “règlement” du conflit, est toutefois emportée, comme s’il s’agissiat d’une pièce à conviction).

La police en train de démonter le chapiteau de BDS le 7 mars

Il faut déjà s’alarmer de cette surenchère répressive. Mais aussi se frotter les yeux pour le croire. Le croire et le voir sous l’angle artistique… Artistique ? Mais oui : ar-tis-ti-que !!! Ce même samedi 2020 à Montpellier, moins de trois heures auparavant, à deux cent cinquante mètres de là, l’adjointe à la culture de la municipalité de Philippe Saurel – mais la pauvre, en apparté, croit pouvoir se dire de la “gauche de gauche” (sic) – procédait au vernissage d’une magnifique exposition en hommage à Mahmoud Darwich, le poète national palestinien, qui fut à son peuple de la deuxième moitié du XXe siècle, ce qu’un Victor Hugo put être au camp républicain français de la deuxième moitié du XIXe.

Comment atteindre un tel niveau de cynisme au moment d’insulter une mémoire ? Comment en est-on arrivé là ? Mahmoud Darwich (1941-2008) est donc un immense poète de l’ère contemporaine et de portée universelle. Et il n’a jamais défailli dans sa position de “voix de la Palestine”, du reste reconnu avec ferveur par ses compatriotes, tout en refusant d’être réduit à un “porte-parole”. Or Béthleem est cette année désignée “capitale de la culture arabe”. A Montpellier – jumelée avec Bethléem de manière si fervente qu’on ne s’en était jamais rendu compte jusqu’à cette occasion – l’Association de solidarité France-Palestine (sans rapport aucun avec BDS), a élaboré tout un programme culturel à cette occasion. Fort bien.

Parmi lequel, la tenue de la fameuse exposition, du reste splendide, qui restitue en photographie les interventions du plasticien Ernest Pignon-Ernest sur les traces de Mahmoud Darwich dans les rues de Palestine occupée. Cet artiste français, dont la sincérité de l’engagement ne fait aucun doute, réalise des sérigraphies de grands formats, reprenant des icônes des mémoires populaires, qu’il colle ensuite telles des affiches sur les murs. Ses interventions autour d’Arthur Rimbaud, ou de Pasolini, sont fameuses. Restituées au quotidien de la rue parmi les gens, ces figures retrouvent un sens social et politique qui les sort des bibliothèques, musées ou livres scolaires, tout en leur conférant une sorte d’aura sacrée.

C’est marquant, passionnant, mais on voit comment les activistes de la politique sioniste montpelliéraine, maire en tête, ont pu se frotter les mains devant l’occasion d’inventer un Palestine Washing, permettant de détourner les yeux, au seul fait que l’association organisatrice a cru bien faire de solliciter l’utilisation la salle Saint-Ravy comme écrin suffisamment digne pour les artistes qu’il s’agissait d’honorer. Pour la municipalité, voici de la com à peu de frais, sucettes Decaux à l’appui, et dernière de couverture plein format du journal municipal… Comment un poète pourrait-il déranger ? semblent-ils s’être dit. Trahison !

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Pendant ce temps-là, quantité de passants ont dû se frotter les yeux devant de gigantesques barbouillages d’un vert prairie fluorescent hyper cru, tout le long du rez-de-chaussée de l’immense immeuble du parking de la gare Saint-Roch au ras du Pont de Sète. S’étalant sur plus de cent-vingt mètres, cette intervention s’est annoncée comme Green Watching, par son auteur, l’artiste activiste Stéphane Barron. Soit un clin d’oeil ironique et critique à l’encontre du Green Washing, qui veut qu’aujourd’hui, absolument tout et n’importe quoi soit repeint en vert, pour s’assurer une virginité écologique de surface.

“Green Watching” de Stéphane Barron

On pourrait concevoir cette intervention comme une sorte de gigantesque tag militant, oui mais avec la démesure, la singularité, la portée un peu mystérieuse, que s’autorise un artiste. Le geste est magistral. Mais il ne se réduit pas à la sécheresse évidente d’un slogan peint sur un mur. A chacun sa manière, sa projection et son univers. Ironie du lieu : derrière ce paravent de peinture se cachent des dizaines d’instruments d’une salle géante d’une chaîne low-coast de gymnastique en salle, qui s’apprête à ouvrir, et complètera le tableau du monde marchandisé qui bousille nos vies.

Stéphane Barron n’en est pas à un coup d’essai. Il a même franchement une dent contre le circuit officiel de l’art à Montpellier, qui le lui rend bien par son ostracisation. C’est qu’on est là à deux cent cinquantre mètres du MOCO, le centre d’art contemporain flambant neuf, où Stéphane Barron n’hésite jamais à braver les vigiles intimidants pour tenter de faire connaître la modeste communication de ses propres initiatives d’origine non contrôlée.

En haut-lieu, on semble ne pas avoir apprécié, et encore moins oublié, le jour où il a noyé de fumée verte la cour intérieure de la Panacée, pour dénoncer et concrétiser l’enfumage artistique en quoi consistait – pense-t-il – une très docte exposition sur la perte du permafrost, où il s’agissait, voyez-vous, pour les artistes en Cour, de « s’emparer de différents régimes esthétiques, formels et narratifs, pour brouiller les frontières entre passés lointains et futurs proches, ères géologiques et chaînes de production, en cherchant à élaborer des systèmes esthétiques répondant aux enjeux de notre temps, comme formes de résistance ».

Et Stéphane Barron résiste. Très direct. A sa façon.

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