Béziers : la justice administrative valide le couvre-feu pour les mineurs promulgué par Ménard

Elian Barascud Publié le 15 mai 2024 à 17:12
Sophie Mazas, avocate de la Ligue des Droits de l'Homme de l'Hérault, à l'origine du référé, dénonce "une vision d'extrême-droite du pouvoir, qui viole l'Etat de droit" en parlant de l'arrêté du maire de Béziers Robert Ménard, qui instaure un couvre-feu pour les mineurs de moins de 13 ans dans les quartiers prioritaires de Béziers. ("Le Poing")

Ce mercredi 15 mai, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la requête de la Ligue des Droits de L’homme de l’Hérault, qui demandait l’annulation d’un arrêté du maire Robert Ménard, pris le 22 avril, instaurant un couvre-feu pour les mineurs de moins de 13 ans entre 23 heures et 6 heures du matin dans trois quartiers prioritaires de la ville

Excès de pouvoir et instrumentalisation politique ou protection des mineurs ? Là se situent les principaux arguments du débat entre Sophie Mazas, avocate de la Ligue des Droits de l’Homme de l’Hérault et Alexandre Bellotti, avocat engagé par la mairie de Béziers, ce mercredi 15 mai au tribunal administratif de Montpellier.

En cause : un arrêté municipal pris par Robert Ménard, maire d’extrême-droite de Béziers, pris le 22 avril, instaurant un couvre-feu entre 23 heures et 6 heures du matin pour les mineurs de moins de 13 ans dans trois quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) : le centre historique et ses abords, la Devèze et Iranget-Grangette, et ce jusqu’au 30 septembre.

Pour rappel, Alexandre Bellotti avait déjà été confronté à la Ligue des Droits de l’Hérault en justice, mais dans un tout autre contexte : ce dernier avait porté plainte le 30 juillet 2021 avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction, pour “complicité de diffamation publique envers un particulier”, pour des propos que Jean-Jacques Gandini, membre de la LDH 34 a tenu lors d’une émission organisée par les médias indépendants de Montpellier, le soir du 20 mai 2021, alors qu’il rendait compte du suivi de l’audience commando de la fac de droit devant le tribunal correctionnel de Montpellier, à laquelle il assistait pour le compte de la Ligue des Droits de l’Homme.

Les propos tenus le 20 mai 2021, et diffamants selon Alexandre Bellotti, étaient les suivants : “Le Président a clos la journée en lisant les procès-verbaux des victimes pour bien mentionner et rappeler que, l’air de rien en donnant des noms, et les noms notamment de Demaison, Bellotti [qui était étudiant à la fac à l’époque, NDLR] et Vialla, que, par conséquent, il n’y a peut être pas tous les membres du commando ou éventuellement qui étaient présents.” Jean-Jacques Gandini avait finalement été relaxé.

“Instrumentalisation politique”

Pour rappel, Robert Ménard avait déjà promulgué un arrêté similaire en 2014, annulé devant le Conseil d’État quatre ans plus tard, à l’initiative de la Ligue des Droits de l’Homme. Un fait que rappelle à la barre Sophie Mazas, avocate de l’association : “Cet arrêté avait été cassé car il fallait justifier de risques précis vis-à-vis des mineurs de moins de 13 ans.”

Et pour elle, le nouvel arrêté pris par le maire en avril 2024 soulève la même problématique. “La mairie de Béziers viole l’autorité de la chose jugée, c’est la même chose pour les crèches de Noël. La justice interdit, lui il récidive. La justification de cet arrêté est un incendie en 2019 et les émeutes après la mort du jeune Nahel, tué par la police, en juin dernier, mais il n’y a pas de critères précis concernant les mineurs de moins de 13 ans.” Des justifications que n’a pas repris Alexandre Bellotti dans son argumentation.

“Pourquoi cet arrêté ne protège pas les enfants des autres quartiers ?“, questionne l’avocate de la LDH, cet arrêté, qui dénonce une “instrumentalisation politique” visant à stigmatiser les habitants des quartiers populaires, qui seraient “assignés à résidence”. Ce n’est pas parce qu’on vit dans un quartier populaire qu’on a pas le droit de vivre, qu’un mineur ne peut pas rentrer d’une boom ou d’un entrainement sportif”, tonne l’avocate. “Cet arrêté intervient en été. Donc il faudrait laisser les touristes consommer en enfermant les mineurs de moins de 13 ans ? quand il fait 35 degrés ou 40 degrés et que les gens n’ont pas la clim, ils vont dehors.”

“Le substitut de l’amour absent”

De son côté, Alexandre Bellotti, l’avocat de la mairie de Béziers, argue avant tout du côté “protecteur pour les mineurs” de cette mesure, en citant une phrase du juriste Louis Constant, qui l’aurait marqué durant ses études. “Le droit est le substitut de l’amour absent. Et en effet, le droit est le substitut de ceux qui sont absents, les parents défaillants. Robert Ménard a endossé sa responsabilité pour se substituer aux parents défaillants et aux politiques nationales pour garantir la sécurité et la tranquillité. On touche une population de mineurs qui peuvent manquer de discernement et qui peuvent avoir du mal à distinguer le bien du mal. Ils sont plus facilement influençables et peuvent être utilisés par des narcotrafiquants par opportunisme pénal. Le bon sens dit qu’ils n’ont rien à faire dehors la nuit, et même si cette mesure concerne un mineur par mois, c’est toujours salutaire pour prévenir des fugues, des errances ou des dégradations.”

“Il faut arrêter de faire croire que les parents des quartiers populaires ne savent pas s’occuper de leurs enfants, c’est un fantasme”, rétorque Sophie Mazas.

Alexandre Bellotti poursuit : “Il y a une adhésion générale à cette mesure, les bénéficiaires sont persuadés du bien-fondé de cette mesure, la preuve, personne, à part la Ligue des Droits de l’Homme, qui exerce une vigilance accrue sur cette commune, ne l’a contesté, même pas les parents.”

Bataille de chiffres

Pour argumenter du bein-fondé de cette mesure “de protection”, l’avocat de la Ville de Béziers s’est appuyé sur des chiffres : un taux de victimes de la délinquance légèrement supérieur dans les villes moyennes comme Béziers et des éléments récents fournis par la police de la ville, mais sans préciser combien de mineurs ont été concernés, ni leur âge, ni les motifs des contrôles.

Des données contestées par Sophie Mazas : “Les chiffres sur l’augmentation de la délinquance présentés par le maire de Béziers sont nationaux, il n’y a pas ceux de Béziers.” Et toujours à propos de chiffres, Sophie Mazas pointe “les violences intrafamiliales qui augmentent à Béziers : un mineur seul dans la rue la nuit, on ne le ramène pas chez ses parents si c’est pour qu’ils le frappent encore plus fort.”

C’est notamment en se basant sur des chiffres que le tribunal a rendu sa décision, en rejetant la requête de la LDH : “Compte tenu, notamment, d’une part, des données chiffrées versées à l’instruction par la commune de Béziers révélant un fort taux du nombre de victimes d’infractions pour 1 000 habitants à Béziers ,supérieur à la moyenne française en 2023 pour les infractions de destructions et dégradations, trafic de stupéfiants, coups et blessures volontaires et vols sans violence ainsi que des rapports des services de police municipale depuis janvier 2024 établissant la présence de mineurs, y compris de moins de 13 ans, interpellés entre 23 heures et 6 heures dans les quartiers visés par l’arrêté attaqué, caractérisant ainsi l’existence de risques de troubles à l’ordre public auxquels les mineurs, en particulier de moins de 13 ans, seraient exposés ou dont ils seraient les auteurs, d’autre part, de la portée de l’interdiction de circulation contestée, circonscrite géographiquement à trois secteurs de la commune classés en quartiers prioritaires de la ville, sur un créneau horaire de 23 heures à 6 heures, pour une période du 22 avril au 30 septembre et ne visant que les mineurs de moins de 1 3 ans, particulièrement vulnérables compte tenu de leur jeune âge, non accompagnés d’une personne majeure. Les moyens ainsi soulevés par la Ligue des Droits de I ‘Homme ne sont manifestement pas propres à créer, en l’état de I instruction, un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté du maire de Béziers du 22 avril 2024. Par suite, sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la commune de Béziers ni de se prononcer sur I ‘existence d’ une situation d’ urgence justifiant que soit suspendue I ‘exécution de cette décision, il y a lieu de rejeter les conclusions aux fins de suspension présentées par la Ligue des Droits de I’Homme”, peut-on lire dans la décision.

La Ligue des Droits de l’Homme a annoncé saisir le Conseil D’État et maintenir cette procédure en annulation de cet arrêté.

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