Continuité pédagogique, précarité et consignes sanitaires : pour les profs, l’insoluble équation

Le Poing Publié le 5 avril 2020 à 19:17 (mis à jour le 5 avril 2020 à 20:11)
Malgré les discours triomphants du ministre de l'Éducation nationale, la continuité pédagogique laisse de nombreux élèves sur le carreau

Pendant le confinement, tous les professeurs ne travaillent pas exclusivement à distance. Malgré les discours triomphants du ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, la continuité pédagogique donne lieu à de nombreux problèmes et impose à certains enseignants de se rendre dans les écoles plus ou moins régulièrement pour remettre des documents de travail aux parents d’élèves.

Des professeurs entre conscience professionnelle et conscience sanitaire

« Pour moi le fait de tout imprimer et de fournir en main propre les documents relève d’un choix, mais il faut dire que chez moi, j’avais des gants en quantité avant l’arrivée du virus, j’ai ce qu’il faut pour me protéger et protéger les autres », témoigne une enseignante de CP de l’agglomération de Montpellier. Ce choix, elle l’a fait pour des raisons d’organisation personnelle, mais aussi parce qu’un tiers de ses élèves seulement ont accès à une imprimante à la maison. « Pourtant je n’enseigne pas dans un milieu particulièrement défavorisé, j’imagine bien ce que ça doit être dans d’autres écoles. »

Laurence, elle, est enseignante de collège en classe-relais à Montpellier. Syndiquée à Force Ouvrière, elle est beaucoup plus directement confrontée à ce manque de moyens chez les familles : « Au nom de la continuité pédagogique, la hiérarchie académique nous demande de remettre en main propre certains documents de travail aux parents d’élèves. Ce type d’injonctions s’applique beaucoup aux professeurs de classes d’élèves considérées comme en difficulté, comme les nôtres, où on va rencontrer tendanciellement plus de problèmes techniques comme le manque d’imprimantes pour suivre les cours sur papier. C’est un problème, parce que par exemple, les familles nombreuses n’ont pas un ordinateur disponible pour chaque enfant. »

Les classes-relais sont des dispositifs de réorientation des élèves les plus éloignés de l’institution scolaire, qui durent en général quelques semaines et qui font appel à une coopération entre la protection judiciaire de la jeunesse et l’éducation nationale. Créé à la fin des années 1990, ce dispositif est révélateur du passage institutionnel d’une lutte contre les inégalités scolaires à une perspective disciplinaire faisant écho à la « menace intérieure » que sont censés représenter les quartiers populaires. C’est un bon exemple de ce que l’éducation néo-libérale peut réserver aux plus déshérités, et ce qu’il peut rester d’attentions pédagogiques à leur égard. Les élèves qu’on y trouve, bien souvent en situation de grande précarité, risquent d’être très lourdement pénalisés par la situation actuelle, que ce soit par l’absence effective de continuité pédagogique ou par les complications sanitaires.

Un autre enseignant, en REP (réseau d’éducation prioritaire) témoignait lui aussi dans un précédent papier du Poing d’un grand désarroi face à l’insoluble équation en milieu populaire : « Ordinateur, connexion internet à la maison… Selon un recensement effectué au début de la sixième, cela correspond à un peu moins de 20% de nos élèves… » De toute manière, l’accès à l’ENT (environnement numérique de travail) a dû être restreint par la mise en place de plages-horaires pour éviter la saturation, rendant encore plus difficile l’accès aux cours et aux consignes en ligne.

Ces problèmes cumulés contraignent ainsi des enseignants à se rendre dans les écoles pour y rencontrer les parents d’élèves. « On se retrouve avec des enseignants à qui on demande de sortir du confinement et d’interagir physiquement avec des parents d’élèves, sans avoir toujours de matériel de protection adéquat, donc avec des risques encourus », s’alarme Laurence. « Pour les profs, mais surtout pour les parents et leurs familles, puisqu’un enseignant infecté entrerait par ce biais en contact avec un nombre assez important de personnes. » Une angoisse compréhensible qui touche nombre de ses collègues dans les classes relais, et semble les laisser coincés entre des injonctions contradictoires, quand le discours des autorités sanitaires prône par ailleurs un confinement plutôt strict. « Limitez les contacts à cinq personnes par jour au maximum, chaque contact évité peut-être une vie sauvée », martèle d’ailleurs Olivier Véran, ministre de la Santé, depuis le début du confinement…

« Alors les collègues ne savent pas trop sur quel pied danser. Des retours que j’ai, beaucoup refusent d’appliquer la consigne de remise en main propre des documents pédagogiques. Pour prendre mon exemple personnel, d’un côté il y a une vérification de l’inspection à travers un suivi informatique de notre activité. De l’autre les inspecteurs avec qui j’ai pu aborder le sujet se montrent très compréhensifs, nous conseillent de prendre soin de nous, de nos familles, et d’éviter de répandre le covid-19. Pour le moment, au syndicat, on n’a aucun retour de sanctions académiques liées au non-respect de ces consignes. Pour combien de temps ? », s’inquiète notre syndicaliste.

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