Dénoncé sous anonymat, un gilet jaune prend 2 ans de prison pour l’incendie d’un véhicule de police

Le Poing Publié le 4 janvier 2020 à 11:00 (mis à jour le 4 janvier 2020 à 11:08)
Manifestation pour l'acte 43 des gilets jaunes, le 7 septembre 2019 à Montpellier

Place Pierre Flotte, en début d’après-midi, une certaine gravité se lit sur le visage de la vingtaine de soutiens et d’observateurs présents pour l’audience de ce vendredi 3. C’est que les faits jugés aujourd’hui sont loin d’être anodins. Rappelez-vous, c’était le 7 septembre dernier, pour l’acte 43 et la “rentrée” des gilets jaunes. Au cours d’une manifestation nationale organisée à Montpellier et qui rassemblera des milliers de personnes, une voiture de la police municipale s’enflamme au bas de la rue Saint-Guilhem. Comme un symbole du péril jaune qui s’éternise un peu trop, l’information fait le tour du pays, de médias en médias. À événement si spectaculaire, un coupable doit être trouvé, puisqu’il en va du sentiment même de puissance d’institutions, décrédibilisées comme rarement en France, la police et la justice ! Et l’audience qui va suivre en est une démonstration horrifiante !

Dénoncé, géolocalisé, perquisitionné !

Le prévenu, 45 ans, défendu par Mme Aude Widuch, placé en détention provisoire depuis le 25 novembre 2019, est accusé de destruction de biens par moyen dangereux, en l’occurrence le Dacia Duster des municipaux maladroitement stationné dans l’Écusson ce samedi, et la devanture d’un commerce que les flammes ont ensuite prise d’assaut. Il nie les faits, depuis le début. Se portent parties civiles la mairie de Montpellier et l’entreprise Couget-Bernadas qui exploite le commerce.

Le juge entame un rappel des faits ayant menés à l’ouverture d’une enquête. Tout commence par l’exploitation des images de la vidéo-surveillance de la rue Saint-Guilhem : autour de 15h20, après le caillassage par plusieurs dizaines de manifestants tous ou presque vêtus de noir du véhicule inoccupé, les caméras filment un individu en train de passer son bras par la fenêtre avant. Un jet de fumigène plus tard, l’incendie démarre. Deux mois après, le 9 novembre au soir, les policiers reçoivent un coup de fil, anonyme paraît-il, leur indiquant que l’auteur de l’incendie se trouve dans un kebab. Les fonctionnaires y débarquent, relèvent l’identité du suspect identifié. L’enquête est lancée ! Le portable du suspect est rétroactivement géolocalisé à proximité de l’incident du 7 septembre. Une semaine après, le 16 novembre, première perquisition au domicile de l’intéressé, en son absence puisqu’il est parti manifester à Paris pour le premier anniversaire du mouvement gilet jaune. On y trouve un casque gris ressemblant, d’après M. le Juge, à celui que l’on aperçoit au visionnage de la vidéo-surveillance. Une deuxième perquisition a lieu, au retour de cet ouvrier du BTP de la capitale, le 21 novembre, jour de son arrestation. Cette fois-ci, c’est un masque de plongée, un masque à gaz bleu et gris, des gants et un marteau qui sont saisis comme éléments à charge au domicile du quadragénaire. « Le parfait attirail du Black Bloc », commentera le juge. Très vite dans la séance, l’attitude du magistrat déroute, met mal à l’aise : on a l’impression d’assister à une réquisition de procureur, tant le ton se fait accusateur, avant même que l’avocate du prévenu n’ait le temps de prononcer un mot ! À la mention d’étoiles de ferrailles retrouvées pendant la seconde perquisition dans le véhicule de celui-ci, le juge entre dans une longue digression sur l’utilité supposée de ces pièces de métal, prétendant qu’on a retrouvé des artefacts similaires destinés à crever les pneus des véhicules de police sur la place d’Italie, théâtre de violents affrontements ce jour-ci. Avant de remettre l’accusé à sa place d’un très sec «On ne vous juge pas pour ces faits », suite à … la réponse à une question du juge :

« Pourquoi on a pas géolocalisé mon portable sur ce coup ? On aurait vu que je n’étais pas Place d’Italie à ce moment ! », tente de se défendre l’ouvrier. «Et comme tous les ouvriers du bâtiment, je fais de la récup de métaux sur les chantiers pour les revendre et arrondir les fins de mois », réussira-t-il a argué avant d’être à nouveau interrompu.

Et voilà que M. le Juge s’improvise expert en conduite de mouvement social : « Quand on se revendique gilet jaune, Monsieur, et qu’on veut lutter contre la précarité, on ne provoque pas plusieurs dizaines de milliers d’euros de dégâts pour le service public ! D’ailleurs, on a pas trouvé de gilet jaune chez vous ! » Admirez la finesse du raisonnement en forme de serpent qui se mord la queue : puisque vous êtes coupables, vous n’êtes pas gilet jaune, vous avez un profil de casseur, donc vous êtes coupable ! Ou quand les Shadocks président les audiences du TGI de Montpellier !

Le juge pointe ensuite les incohérences dans les déclarations successives du prévenu : il aurait dans un premier temps déclarer ne pas être sûr d’être présent à cette manifestation, jusqu’à ce que les policiers lui parlent de géolocalisation. « Vous savez, avec toutes ces manifs, à chaud, sur le moment, dans la foulée d’une perquisition et d’une mise en garde à vue surprise, me rappeler à laquelle j’étais ou pas… », tente de se défendre le prévenu. D’où l’importance de la fameuse formule « je n’ai rien à déclarer » en garde à vue, le temps de reprendre ses esprits et de consulter un avocat ! Il arguera aussi de l’utilité de certains des équipements trouvés chez lui dans un cadre professionnel, et de sa participation occasionnelle à des groupes de Streets Médics.

La réquisition du procureur sera assez courte, c’est que le juge l’a déjà en bonne part prononcée… La représentante du ministère public insiste sur la dangerosité de l’incendie, sur les « déclarations farfelues qui cachent certainement quelque chose ». Sur son propre mépris aussi, au moment de qualifier la manifestation de « meute arrivant rue Saint-Guilhem ». Peine réclamée : 30 mois de prison, dont 6 avec sursis et mise à l’épreuve de deux ans consistant en l’obligation de s’acquitter des dommages et intérêts, et trois ans d’interdiction de manifester sur tout le territoire français !

Les parties civiles réclament 3154 euros pour la devanture et plus de 35 000 pour la mairie, le montant d’un véhicule de la police municipale.

« On nous fait payer tellement cher pour notre révolte ! »

L’avocate de la défense entame sa plaidoirie, et c’est là que l’on commence à rire ! Jaune au vu de l’issue du procès. Même si elle défend la relaxe, elle commence par pointer du doigt, en cas d’entrée en voie de condamnation, la responsabilité collective de la destruction du véhicule : entre trente et cinquante personnes, selon la vidéo-surveillance, y ont participé, pourquoi son client devrait-il payer des dommages et intérêts pour tous ? Et puisqu’on parle de vidéo-surveillance, les procès-verbaux de leurs visionnages indiquent que l’incendiaire a le visage dissimulé, et n’est donc pas identifiable. Les équipements de protection sont portés par de nombreuses personnes, parfois en des modèles identiques. Peut-être pour éviter de finir comme un des 236 blessés à la tête recensés par le Mur Jaune depuis le début du mouvement ! L’avocate dit même avoir reconnu sur la vidéo-surveillance dans les instants précédents le sinistre trois autres combinaisons casques-masques rigoureusement identiques à celle portée par l’incendiaire ! Encore faudrait-il que le matériel porté par le pyromane identifié sur les images corresponde à celui saisi chez le prévenu. Matériel qui, rappelons-le, sert de preuve principale ! Les gants portés sur la vidéo sont noirs, ceux trouvés chez l’accusé sont blancs. Le casque porté sur la vidéo est gris, celui trouvé chez l’accusé est noir. « Mais c’est un casque de la police utilisé dans le cadre d’une reconstitution que nous avons en photos », s’exclame le juge ! « Non, Monsieur, s’il y a un bandeau estampillé “Police Nationale” dessus, c’est, qu’en temps que preuve mise sous scellé, il est enfermé dans un plastique, qui lui appartient à la police nationale ! », lui répond Mme Widuch. Lunaire, complètement lunaire !

Avant de revenir sur la géolocalisation de son client : « Les antennes permettent de géolocaliser parce qu’elles envoient des signaux sur une borne réceptrice, la position indiquée est approximative, c’est celle de la borne la plus proche. On peut même à certains endroits de la rue Foch être géolocalisé rue Saint-Guilhem ! » Elle tente même de répliquer au qualificatif « farfelu » utilisé par la procureure à propos des déclarations de son client, en rappelant que l’enquête de police a attesté que son client été allé vendre dans une casse une tonne de ferraille au mois de février…

Fort de ce solide argumentaire et le moment venu de la délibération, tout le monde parmi les soutiens mise sur la relaxe. Mais il semblerait que la justice française ne soit pas avare en rebondissements ! Et le juge, au moment où le tribunal annonce suivre toutes les réquisitions du ministère public, assène, rendant l’évidence encore plus flagrante : « Non, vous n’êtes pas condamné sur la simple base d’un témoignage anonyme ! Il est tout de même plus qu’étrange que l’on ait trouvé tout cet équipement chez vous et dans votre véhicule ! » Deux ans derrière les barreaux, n’est-ce pas un peu cher payé pour avoir provoqué un sentiment d’étrangeté chez un magistrat ? L’indemnisation des parties civiles est renvoyée à une audience ultérieure.

Côté soutiens, cette douche froide provoque une explosion de colère, des larmes de rage, et une exclamation, touchante de vérité : « On nous fait payer tellement cher pour notre révolte, c’est une honte ! » Si bien que la salle est évacuée après des menaces de procès en outrage de part de la magistrature…

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