Doula et douleurs : dans les Cévennes, l’accompagnement à la naissance accouche de dérives

Elian Barascud Publié le 16 juillet 2024 à 17:47 (mis à jour le 17 juillet 2024 à 11:29)
La pratique « d’accompagnante de naissance », est apparue en France dans les années 2000. (Photo d'illustration libre de droits, Gaëlle Bizeul)

À Ganges, territoire héraultais rural aux portes des Cévennes, l’association Humanly, qui organise « le festival YONIVERSEL», propose des services de doulas (accompagnante en naissance, une profession non-reconnue) et des stages sur l’accouchement naturel et autres thérapies alternatives teintées de développement personnel, autour de la figure de la doula Maria Libera, alias « madame Ocytocine ». Le Poing a récolté huit témoignages de femmes qui évoquent des dérives, de manière anonyme par peur de représailles

Article à retrouver dans le numéro 42 du Poing version papier, sorti le 12 juillet. Disponible sur notre boutique en ligne

Quand Jeanne* tombe enceinte, après une première grossesse difficile, elle décide d’accoucher à domicile, de manière « plus naturelle qu’à l’hôpital ». Pour ne pas être seule et pour avoir du soutien, elle se tourne vers une doula, une accompagnante en naissance qui assiste moralement et de manière pratique les femmes dans le processus de natalité, en complément de la sage-femme. Une profession apparue sous sa forme moderne la fin du XXe siècle, non reconnue en France et qui fait l’objet de controverses, notamment de la part du collège national des gynécologues et obstétriciens de France et du Conseil national de l’Ordre  des sages-femmes, qui s’inquiètent d’un potentiel exercice illégal de la médecine. 

“Doula Quantique”

Jeanne se tourne alors vers Maria Libera, une doula installée à Ganges, qui tient l’association Humanly. Celle qui se fait également appeler « madame Ocytocine »  [l’hormone de l’amour, NDLR] propose, en plus de son assistance à la naissance, des soins alternatifs, des massages et divers stages autour de la natalité, allant de la préparation à base de placenta à des « masterclass en naissance quantique » pour envisager la naissance de manière « holistique » comme un « voyage mystique et transformateur ». A noter qu’en France, il est illégal de récupérer et de conserver son placenta pour le transformer après l’accouchement. 

« Elle arrive tout de suite très séductrice, elle me touche les jambes, le visage, sans que je lui donne mon consentement. Quand je lui ai dit que je ne voulais pas être seule, elle m’a dit que pour 600 euros elle serait là. Moi, j’avais besoin de soutien post-partum, elle a juste pris l’argent mais ne m’a pas vraiment accompagné, elle passait juste en coup de vent. Je dois avouer avoir été séduite par ses regards, compliments, valorisation de ma personne, dans un moment où j’étais vulnérable… » Jeanne évoque même le terme « d’emprise ». Un terme qui reviendra dans deux autres de nos entretiens.

Une autre femme livre un témoignage similaire : «  Je souhaitais une préparation douce à l’accouchement, mais avec l’envie d’accoucher à la maternité.  Dans le département où je vivais avant, j’avais rencontré et fait appel à une doula très professionnelle, qui m’avait accompagné pour ma première grossesse. Un super souvenir.  Une boutique/association, Humanly, avait ouvert à Ganges. On m’avait dit que c’était une Doula qui accompagnait à la naissance qui tenait ça. J’étais de nouveau enceinte, alors je suis allée la voir.  J’ai rencontré une femme très charmeuse, qui m’a touché le ventre sans me demander, et posé des questions hyper intimes alors que je n’étais pas seule. Elle m’a directement parlé du tarif, du premier rendez-vous, du possible  forfait,  que j’ai trouvé exorbitant, de son manque de temps, car elle avait mille activités liées à la naissance. Et ensuite, j’ai eu droit à un discours anti médical à fond, qu’il fallait résister, ne pas faire confiance au corps médical, que les sociétés traditionnelles au Mexique ou en Afrique ont tout compris, et qu’elles avaient su garder tout le savoir pour faire des bébés naturellement et qu’en occident, c’était vraiment n’importe quoi d’aller faire des examens et des prises de sang pour tout, pour du diabète  et je ne sais quoi… Elle disait qu’on perdait notre vraie nature et notre lien à notre propre bébé en se pliant à leurs exigences. J’ai été dégoutée. Je suis partie en colère et je ne suis plus jamais retourné la voir. »

Un discours critique de l’hôpital que l’on retrouve dans la communication de l’association  Humanly sur les réseaux sociaux. « L’information c’est le pouvoir. Être informée te permettra de faire des choix en conscience. Découvre les différentes étapes de l’enfantement et renseigne-toi sur les protocoles hospitaliers et leurs conséquences. »  « Lis des récits d’enfantements naturels pour avoir une idée de ce qu’est VRAIMENT la naissance. Éloigne- toi des récits qu’on a pu te transmettre sur l’accouchement à l’hôpital. » « Éloigne-toi d’un entourage déstabilisant. Pense à mettre en pause les relations qui ne t’inspirent pas. » 

« Maria Libera est venue faire la promotion de l’accouchement à domicile pendant un rassemblement contre fermeture de la maternité de Ganges », se rappelle Jeanne. « Elle a fait de la pub pour son business. Cela a choqué beaucoup de monde. » « Maria dénonce avant tout les violences gynécologiques et obstétricales », tempère Cassandre*, qui a suivi quelques stages avec elle. 

Moulage de vulve et exploration du col de l’utérus au spéculum

Car le « business » de Maria Libera passe également par des stages sur la maternité, le féminin sacré, sur la « doula quantique » ou encore le Rebozo, une technique de massage mexicaine où la personne est enserrée dans des écharpes, symbolisant « une porte qui se ferme sur le passé » avec des traumatismes à emporter, et une autre qui s’ouvre vers le futur, selon une femme qui a assisté à ce rituel. 

Plusieurs témoignages que nous avons récoltés évoquent le fait que Maria Libera embaucherait des « assistantes » pour l’aider dans ces stages en échange d’une ristourne sur le prix de celui-ci, voire d’une participation gratuite. « Je l’aidais, et au lieu de payer 850 euros, j’en payais 600 » , détaille l’une des femmes. Une autre raconte que le domicile de Maria Libera aurait servi de lieu d’hébergement au stage, et que des « assistantes » y auraient fait le ménage à la place de Maria. Certaines auraient été payées, mais sans contrat de travail ou factures, pour l’assister durant ces évènements. 

Léa* affirme : « Sa technique est toujours la même, elle va rechercher dans ses collaborateurs un profil-type : toujours des femmes, de préférence avec enfant, célibataires si possible, plutôt vulnérables à ce moment-là de leur vie et surtout, dans des situations financières précaires. Elle leur fait miroiter des contrats d’embauche qui n’arrivent jamais, ou des petits jobs “bénévoles en échange de” et les malmène aussi longtemps que les intéressées le supporteront… » Une affirmation aussi décrite par Joséphine*, qui, comme Léa, évoque le fait que Humanly tiendrait plus de l’entreprise, avec Maria Libera en patronne, que d’une association.

Et dans les stages aussi, certaines pratiques posent question. « On venait pour un stage Rebozo, mais on a eu deux activités « surprises » qui n’étaient pas mentionnées sur la plaquette du stage », décrit Clarisse*. Jeanne raconte : « Moulage de la vulve pour toutes ! La personne qui faisait le moulage n’avait pas été présente du stage. Elle est venue que pour cela. Je me suis retrouvé en face d’une inconnue qui expérimentait nouvellement ce projet de moulage avec alginate et plâtre. Elle n’avait sans doute pas assez expérimenté et des femmes se sont retrouvées avec de la matière collée aux poils à devoir tirer en mode épilation pour que ça parte aux endroits les plus sensibles… Un moment fort désagréable où je n’ai pas su dire non, prise dans le stage, et parce qu’on nous disait que “c’est important que ce projet soit de nous toutes ” »

Autre activité : auto-exploration du col de l’utérus avec un spéculum, là non plus pas annoncée sur le programme de l’événement « On s’est retrouvé toutes ensemble dans un espace réduit où on se cachait comme on pouvait avec un  paréo, et du lubrifiant naturel qui brûlait. Des femmes se sont mises à pleurer, une à crier. C’était très violent. Maria continuait de parler et expliquer : “L’intérêt est d’être automne et de savoir le faire soi-même plutôt que de laisser faire le vieux gyneco barbu qui penche sa tête entre nos cuisses.”Une femme est allé en consoler une autre . Une autre est partie… Elle n’a pas géré les décompensations des gens. À la fin, elle a dit un truc du genre “Cette activité est une activité innovante et que je vous offre spécialement pour vous. La manière dont vous le vivez est un cadeau pour vous montrer ce que vous avez à régler dans cette vie.  Que ce soit doux et plein de plaisir excitant ou que l’expérience soit difficile ou violente, c’est que c’est ce que vous aviez à vivre exactement à ce moment-là, Remerciez l’univers de vous offrir cette expérience et moi !” J’étais venue pour apprendre une forme de massage traditionnel et je me suis retrouvée prise au piège dans une activité hyper intime que je devais partager avec 17 inconnues… »

Clarisse confirme le témoignage précédent et complète : « Certaines l’ont très mal vécu, Maria a fortement insisté pour qu’elles le fassent, en leur disant qu’elles passeraient à côté d’une expérience si elles ne le faisaient pas, où qu’elles seraient les seules à pas le faire. » 

L’association Humanly organise également « Yoniversel, le festival de la vulve », dont la dernière édition s’est tenu du 17 au 20 mai dernier en Aveyron. Un festival qui se veut « familial », avec des zones pour adultes interdites aux enfants où se pratiquent du tantra (massages spirituels d’origine indienne, souvent intégraux sur tout le corps), ou autres activités impliquant de la nudité.

 Lors de la première édition, des participantes décrivent des stands de boutiques d’objets sexuels à la vue des enfants. Une autre femme témoigne à propos de l’édition 2024 : « L’ambiance était très étrange. Parfois j’ai trouvé que c’était vraiment glauque. Cette année il y avait pas mal de mecs venus seuls, avec des intentions et recherches pas très saines  qui erraient dans le festivals en proposant des moments de douceurs qu’on retrouve dans les ateliers (massages, tantra(, ou en train de danser en mode gros lourd qui vient te coller… J’ai d’ailleurs l’impression qu’il y avait beaucoup plus de mecs que de femmes cette année. Du coup, avec cette ambiance et tous les enfants présents, j’ai eu des moments ou j’étais vraiment pas très à l’aise en tant que femme.  Je me suis dit que ça a attiré plein de pervers ! Moi qui trouvais le thème super, l’ouverture, l’idée que ce soit écrit partout festival familial, eh bien ça m’a bien refroidi grave. Et maintenant, je ne suis plus sûre que les enfants aient leur place au milieu de tout ça. »

Humiliations

Les témoignages récoltés évoquent également le caractère « tyrannique » de Maria Libera. « Elle n’hésitait pas à descendre quelqu’un en public, en lui disant des choses très violentes », souffle une participante à des stages, qui en est sortie choquée. Une autre décrit une scène qui se serait déroulée lors d’un stage sur la « doula quantique » : «  Lors d’un stage pour me former afin de devenir Doula, Maria Libera, l’organisatrice, avait fait appel à une femme pour traduire les propos de Whapio, une doula américaine, qui nous faisait une formation en viso. Maria s’est engagé à payer l’interprète, à payer ses frais de déplacements et la nounou pour son bébé. Et une fois sur place, elle a trouvé qu’elle n’était pas assez compétente à ses yeux et qu’elle avait en fait quelqu’un d’autre traduire à sa place. Elle est revenue sur ce qu’elle s’était engagée, l’a viré et humilié devant les stagiaires témoins avec une attitude totalement tyrannique. Avec d’autres stagiaires, on était choqué. Une partie des gens en formation étaient en présentiel et d’autres la faisaient en visio de chez eux. Le stage nous a coûté une blinde ( 850 euros de mémoire). On a décidé de faire une cagnotte et de la faire tourner avec ceux qui participaient en visio pour aider l’interprète pour les frais de route et pour rentrer chez elle, car elle habitait dans une autre région. On était choqué, la doula est celle qui est censée prendre soin de l’autre. Maria nous vend son expérience d’être une doula magique pour les femmes enceinte et on vient à un stage pour se former en ce sens. Voir la violence avec laquelle elle a traité cette femme, c’est horrible. » 

« Combien sont parties en pleurs ? », souffle Léa,qui ajoute : « Elle envoie des messages aux femmes avec qui elle fait ses stages à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Les messages ayant pour but de“recadrer” une personne arrivent très fréquemment, le soir, la nuit, et sont visibles de tous. »

Contactée, Maria Libera affirme ne pas être au courant de telles allégations à son encontre, et les qualifie de diffamatoires, « fausses, bancales », car portées « par des personnes jalouses du succès de l’association Humanly que je coordonne,et de la célébrité dont je jouis dans le petit milieu de la naissance à domicile. »

Elle précise : « Depuis six ans, je collecte régulièrement des témoignages de satisfaction enthousiaste de la part des femmes que j’accompagne, des stagiaires, des assistantes. Un cadre limpide est posé en début de chaque stage : respect et écoute de soi-même. Aucun atelier n’est obligatoire,il s’agit uniquement de propositions. Toute activité est annoncée en amont. Une attention particulière est donnée au concept de consentement. Des places à prix réduits sont proposées, lors de certaines formations uniquement, à des personnes souhaitant participer et ayant des difficultés financières : c’est notre engagement éthique pour rendre nos propositions accessibles.Les bénéficiaires de cette démarche offrent en échange quelques heures de bénévolat(aide logistique sur place, accueil des participantes, soin des espaces, gestion de la boutique, etc.) Un défraiement est proposé à nos collaboratrices, peu importe leur statut, et payé contre une note de frais et un justificatif de dépenses (ticket essence,etc. ), et notre trésorerie est impeccable. »

Pour une autre doula des environs de Ganges, les pratiques de Maria Libera « desservent notre métier, qui n’est déjà pas reconnu. » Cassandre résume : « Sa cause est noble, on voit qu’elle la porte dans son cœur, mais ses comportements ne l’incarnent pas. » Bref, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain.

*Prénoms modifiés

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