Hérault : le Département suggère la pratique de la biodynamie pour remettre en culture le foncier public

Elian Barascud Publié le 29 octobre 2024 à 18:14 (mis à jour le 29 octobre 2024 à 18:40)
L'agriculture en biodynamie est surtout présente dans la viticulture. (Photo de Camille Biodynamite, reproduite avec l'autorisation de l'autrice.)

Dans un appel à projet lancé à destination des collectivités pour créer des cultures nourricières locales et respectueuses de l’environnement, le Département de l’Hérault encourage les modèles bio, d’agroforesterie ou… de biodynamie, via le label Demeter. Un mode de culture aux résultats non prouvés scientifiquement qui vient de l’anthroposophie, doctrine ésotérique régulièrement épinglée par la Miviludes

“La mobilisation du foncier constitue un des principaux freins à l’installation ou l’extension de cultures nourricières (maraîchage, arboriculture fruitière, petit élevage). Pourtant, nombre de communes sont détentrices de foncier classé en zone A qui reste non exploité.” Face à ce constat posé par le Département de l’Hérault, celui-ci à lancé un appel à projet pour valoriser le foncier public afin de créer des cultures nourricières à destination du marché local (circuit-court, restauration collective…).

Maraîchage, raisin de table, arboriculture, légumes secs ou petit élevage, les formes que peuvent prendre le projet sont variées. Les “pratiques agricoles à privilégier” pour le Département sont elles aussi multiples : agriculture biologique, agroforesterie, agriculture à “Haute Valeur Environnementale” ou encore la biodynamie, via le label Demeter. Cette dernière n’a rien d’anodine, puisqu’elle se base sur des croyances spirituelles issues d’une doctrine ésotérique très controversée : l’anthroposophie.

La biodynamie : un concept anthroposophe

Mouvement spirituel et ésotérique fondé au début du XXe siècle par l’occultiste autrichien Rudolph Steinner, l’anthroposophie a fait l’objet de nombreuses saisines auprès de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Ce courant ésotérique se décline en plusieurs aspects, notamment des thèses raciales (les « blancs » et « aryens » seraient plus capables que les autres de s’élever spirituellement), la médecine (la maladie découle d’une destinée karmique, indissociable des erreurs et des pêchés commis par le patient dans l’une de ses vies antérieures), ou encore l’éducation, par le biais des écoles Rudolf-Steiner, souvent accusées d’endoctrinement, d’abus ou de racisme.

Et cette doctrine a aussi un champ d’application dans les questions agraires, avec l’agriculture biodynamique, développée par Steiner en 1924 dans une série de huit conférences dénommées “Cours aux agriculteurs”. Une méthode qui n’a, selon la littérature scientifique rédigée sur le sujet, jamais prouvé son efficacité en terme de rendement ou de qualité des récoltes par rapport à d’autres méthodes d’agriculture.

Grégoire Perra, ancien anthroposophe devenu lanceur d’alerte sur le sujet, voit en la biodynamie une “propagande pour l’anthroposophie”, et décrit la pratique en ces termes sur son blog : “J’ai souvent entendu dire, lorsque j’étais anthroposophe, qu’il fallait toujours mettre en avant, quand on parlait de la Biodynamie, le respect de la nature et de l’environnement, l’absence d’usage de pesticides, l’observation des cycles des saisons, etc. Par contre, on nous disait d’éviter de mentionner le fait que cette méthode se base sur les influences astrales des signes du Zodiaque, sur des procédés magiques consistant à tuer et à brûler certains animaux en dispersant leurs cendres sur les champs durant la nuit pour éloigner la vermine, sur des rites consistant à pratiquer certaines méditations pour entrer en contact avec les « âmes-groupes » des animaux pour leur demander leur coopération invisible, sur des incantations, sur l’utilisation de cornes de vaches remplies de substances diverses remuées en imprimant au liquide la forme d’une lemniscate, cornes que l’on enfouit ensuite dans le sol, comme autant de capteurs d’énergies spirituelles pour réaliser des « préparations biodynamiques », etc.”

Aujourd’hui, le cahier des charges du label Demeter (cité par le Département de l’Hérault), prend en compte certaines de ces croyances, notamment les cornes enfouies dans le sol, en citant Steiner et ses conférences sur l’agriculture. On peut par exemple y lire : “La dynamisation des préparations biodynamiques doit être faite en réalisant un vortex énergique créé à partir de la périphérie du récipient, suivi par un mouvement immédiat dans l’autre sens, causant un chaos bouillonnant et un vortex à nouveaux dans l’autre sens, puis après, un chaos inverse, puis un vortex, etc… Pendant une heure complète.”

En 2018, le journaliste Jean-Baptiste Malet, dans un article du Monde Diplomatique, décrit le label Demeter comme faisant partie d’un réseau de la galaxie anthroposophe, au même titre que les cosmétiques Weleda, ce qui le pousse à parler de l’anthroposophie comme d’une “multi-nationale de l’ésotérisme. Selon lui, l’antenne Demeter International a même son lobby à Bruxelles pour défendre ses intérêts : l’Alliance européenne d’initiatives pour l’anthroposophie appliquée – Eliant.

Une porte d’entrée vers un système de croyances ?

Camille B., plus connue sous le pseudo de Camille Biodynamite, a travaillé plusieurs années pour des vignerons en biodynamie, avant de s’en éloigner et de rentrer dans les sphères de la pensée critique, en collaborant notamment avec le collectif Pensée Magique. Dans un témoignage qu’elle a rédigé pour l’Union Nationale de Défense des familles et de l’individu victime de sectes (Unadfi), puis dans un article paru sur Agrigenre, elle raconte que cette pratique est “un terrain glissant vers un système de croyances.”

“Lorsque Rudolf Steiner, et par extension les fondateurs du label Demeter parlent de “forces” , ils font  référence aux forces invisibles, cosmiques et étheriques. Il en va de même pour l’idée de “perception” . A noter également qu’il est question de spiritualité anthroposophique. Il est difficile, dans ces conditions, d’affirmer qu’on peut être en biodynamie sans embrasser des croyances mystiques, à moins de faire preuve d’une grande mauvaise foi. Ainsi, dès le début de sa conversion, l’agriculteur est impliqué dans les croyances liées à l’anthroposophie. En pratique, il devra, pour répondre aux exigences du label, appliquer les traitements qui ne sont  rien d’autre que des potions magiques. Il devra, par exemple, enterrer des cornes de vaches remplies de bouses à la période hivernale afin qu’elles se chargent des énergies cosmiques enfouies dans les  sols à  ce moment de l’année. Puis, il devra les déterrer et les diluer à dose infinitésimale en créant des vortex afin que l’eau puisse conserver une mémoire de ce “principe actif” ( la fameuse dynamisation ), avant de la pulvériser dans ses champs et d’observer des résultats imaginaires. Comment peut-on avoir de telles pratiques sans s’auto-persuader qu’elles sont justifiées ? Comment peut-on s’auto-persuader de ça sans adhérer malgré soi à une forme de pensée magique ?”, écrit-elle. “Finalement, il est possible de savoir si oui ou non, les agriculteurs en biodynamie sont anthroposophes, en ayant un regard extérieur et éclairé sur ce qu’est ce mouvement. […. La plupart d’entre eux peuvent avoir la plus grande foi du monde en affirmant qu’ils ne sont pas anthroposophes, tout simplement parce qu’ils ne le savent pas eux-mêmes ! L’art du secret se pratique entre gens du métier.”

Contacté, le Département de l’Hérault n’a pas donné suite à nos sollicitations.

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